CVII NUIT.

« D’abord que j’aperçus le jeune marchand j’allai au-devant lui ; je le conjurai de descendre et lui demandai s’il ne voulait donc pas que je lui comptasse l’argent que j’avais à lui. « Cela ne presse pas, me répondit-il d’un air gai et content, je sais qu’il est en bonne main ; je viendrai le prendre quand j’aurai dépensé tout ce que j’ai, et qu’il ne me restera plus autre chose. » À ces mots, il donna un coup de fouet à son âne, et je l’eus bientôt perdu de vue. « Bon, dis-je en moi-même, il me dit de l’attendre à la fin de la semaine, et selon son discours je ne le verrai peut-être de longtemps. Je vais cependant faire valoir son argent, ce sera un revenant-bon pour moi. »

« Je ne me trompai pas dans ma conjecture : l’année se passa avant que j’entendisse parler du jeune homme. Au bout de l’an il parut aussi richement vêtu que la dernière fois, mais il me semblait avoir quelque chose dans l’esprit. Je le suppliai de me faire l’honneur d’entrer chez moi. « Je le veux bien pour cette fois, me répondit-il, mais à condition que vous ne ferez pas de dépense extraordinaire pour moi. – Je ne ferai que ce qu’il vous plaira, repris-je ; descendez donc, de grâce. » Il mit pied à terre et entra chez moi. Je donnai des ordres pour le régal que je voulais lui faire, et, en attendant qu’on servît, nous commençâmes à nous entretenir. Quand le repas fut prêt, nous nous assîmes à table. Dès le premier morceau je remarquai qu’il le prit de la main gauche, et je fus fort étonné de voir qu’il ne se servait nullement de la droite. Je ne savais ce que j’en devais penser. « Depuis que je connais ce marchand, disais-je en moi-même, il m’a toujours paru très-poli : serait-il possible qu’il en usât ainsi par mépris pour moi ? Par quelle raison ne se sert-il pas de sa main droite ? »

Le jour, qui éclairait l’appartement du sultan des Indes, ne permit pas à Scheherazade de continuer cette histoire ; mais elle en reprit la suite le lendemain, et dit à Schahriar :

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