VII Accouchement

Le baron François des Ygrées quitta Munich au moment ou la baronne Macarée connut que s’avançait l’heure de la délivrance M. des Ygrées ne voulait pas d’un enfant né en Bavière ; il assurait que ce pays prédispose à la syphilis.

Ils arrivèrent, avec le printemps, au petit port de la Napoule, que dans un calembour lyrique du plus bel effet, le baron baptisa pour l’éternité :

 

La Napoule aux cieux d’or.

 

C’est là que s’accomplit la délivrance de Macarée.

 

– Ah ! Ah ! Aïe ! Aïe ! Ouil ! Ouil ! Ouilles ! Les trois sages-femmes du pays se mirent à deviser agréablement :

 

PREMIÈRE SAGE-FEMME

 

Je songe à la guerre.

Les hommes sont libres (en apparence), tes grands yeux ont souvent contemplé les étoiles, tes mains ont feuilleté les grimoires, tes pieds ont connu les grandes routes. Tu ne t’illusionnes pas sur les pouvoirs du pentagramme.

O mes amies, les étoiles qui scintillent aux belles nuit, les avez-vous comptées ?

O mes amies, vous souvenez-vous seulement des titres de tous les livres que vous avez lus et du nom des auteurs ?

O mes amies, avez-vous songé aux pauvres hommes qui firent les grandes routes ?

Les pâtres de l’âge d’or laissaient paître leurs troupeaux sans craindre l’abigeat, ils ne redoutaient que les fauves.

O mes amies, que pensez-vous de tous ces canons ?

 

DEUXIÈME SAGE-FEMME

 

Ce que je pense de ces canons ? Ce sont de vigoureux priapes.

O mes belles nuits ! Je suis heureuse d’une corneille sinistre qui m’enchanta hier soir, c’est de bon augure. Mes cheveux sont parfumés à l’abelmosch.

O ! les beaux et raides priapes que sont ces canons. Si les femmes avaient dû faire le service militaire, elles auraient servi dans l’artillerie. La vue des canons doit être étrange pendant la bataille.

Un grand vent qui se lève amènera la pluie. J’ai longtemps cru être la plus impudique des femmes, je m’en étonne, Pourtant malgré moi et la réalité, je crée souvent à l’occasion la pudeur des hommes et des femmes, mais je sais bien qu’elle n’existe pas et je préfère cela.

Les lumières naissent sur la mer au loin.

Réponds, ô Zélotide, réponds de ta voix douce.

 

TROISIÈME SAGE-FEMME

 

J’aime ses yeux dans la nuit et il mes cheveux et leur odeur. Dans les rues de Marseille un officier m’a longtemps suivie, Il était bien vêtu et de belles couleurs, il y avait de l’or sur ses habits et sa bouche me tentait, mais j’ai fui ses baisers en me réfugiant dans mon ou ma bed-room du ou de la family-house où j’étais descendue.

 

PREMIÈRE SAGE-FEMME

 

O Zélotide, épargne les tristes hommes comme tu épargnas ce mirliflor. Zélotide, que penses-tu des canons ?

 

DEUXIÈME SAGE-FEMME

 

Hélas ! Hélas ! je voudrais être aimée.

 

TROISIÈME SAGE-FEMME

 

Ils sont les instruments de l’ignoble amour des peuples. O Sodome ! Sodome ! O le stérile amour !

 

PREMIÈRE SAGE-FEMME

 

Mais nous sommes femmes, et que dis-tu de Sodome ?

 

TROISIÈME SAGE-FEMME

 

Le feu du ciel l’a dévorée.

 

DEUXIÈME SAGE-FEMME

 

Je veux être aimée.

 

PREMIÈRE SAGE-FEMME

 

Non, les canons n’enfantent rien.

 

TROISIÈME SAGE-FEMME

 

Tant mieux, ô mes amies. Mais vous savez bien qu’ils sont destinés à tuer.

 

PREMIÈRE SAGE-FEMME

 

Je sais aussi qu’ils ne tuent rien.

 

DEUXIÈME SAGE-FEMME

 

Je veux être aimée.

 

TROISIÈME SAGE-FEMME

 

O Sodome ! Sodome !

 

PREMIÈRE SAGE-FEMME

Mais dis-moi, que dis-tu de Sodome ?

 

TROISIÈME SAGE-FEMME

 

Le feu du ciel l’a dévorée.

L’ACCOUCHÉE

 

Quand vous aurez fini vos simagrées, si cela vous agrée, n’oubliez pas de vous occuper de la baronne des Ygrées.

 

Le baron dormait sur quelques couvertures de voyage, dans un comme un chien. Il fit un pet qui fit rire aux larmes sa moitié. Macarée pleurait, criait, riait, et quelques instants après, mettait au monde un enfant bien constitué du sexe masculin. Alors, épuisée par tous ces efforts, elle rendit l’âme, en poussant un hurlement semblable à ce que pousse l’éternelle première femme d’Adam, lorsqu’elle traverse la mer Rouge.

En rappelant ce qui précède, je crois avoir élucidé l’importante question du lieu natal de Croniamantal. Laissons les 123 villes1 dans 7 pays sur 4 continents se disputer l’honneur de lui avoir donné naissance.

 

Nous savons maintenant, et les registres de l’état civil sont là pour un coup, qu’il est né du pet paternel, à La Napouleux cieux d’or, le 25 août 1889, mais fut déclaré à la mairie seulement le lendemain matin.

C’était l’année de la Grande Exposition le Paris et la tour Eiffel, qui venait de naître, saluait d’ une belle érection la naissance héroïque de Croniamantal.

 

Le baron des Ygrées refit un pet qui le réveilla auprès du lit macabre où se carrait le machabée de Macarée. L enfant criait, les sages-femmes gloussaient, le père sanglotait, en criant :

– Ah ! la Napoule aux cieux d’or, j’ai tué ma poule aux yeux d’or !

Puis il ondoya l’enfant du sexe masculin, l’appela d’un nom qu’il inventa aussitôt et qui n’appartient à aucun saint du Paradis : CRONIAMANTAL. Il partit le jour suivant, après avoir réglé les funérailles de son épouse, écrit les lettres nécessaires pour recueillir sa succession et déclaré l’enfant sous les noms de Gaëtan-François-Étienne-Jack-Amélie-Alonso des Ygrées. Puis avec ce nourrisson dont il était le père putatif, il prit le train pour la Principauté de Monaco.

 

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