VI Gambrinus

Le baron et la baronne des Ygrées, en prenant des billets pour Monaco, pensaient arriver à cette station qui est une des premières quand on va d’Italie en France et la seconde d’un petit état enclavé dans les et appelé Pinci-

Le nom de Monaco est proprement le nom Italien de cette Principauté, bien qu’on l’emploie aujourd’hui en Français. Les désignations Françaises. Mourgues et Monéghe étant tombées en désuétude.

 

Or, la langue italienne appelle Monaco, non seulement la principauté de ce nom mais aussi la capitale de la Bavière que les Français nomment Munich. L’employé avait délivré au baron des billets pour Monaco-Munich au lieu de ceux pour Monaco-Principauté. Lorsque le baron et la baronne s’aperçurent de l’erreur, ils étaient à la frontière de la Suisse et après s’être remis de leur étonnement, décidèrent à d’achever le voyage de Munich afin de voir de près tout ce que l’esprit anti-artistique de l’Allemagne moderne a pu concevoir de laid en fait d architecture, de statuaire, de peinture et d’art décoratif...

 

Un froid mois de mars laissa grelotter le couple dans l’Athènes de carton pierre...

La bière est bonne pour les femmes enceintes, avait dit le baron des Ygrées.

Il emmena sa femme à la brasserie royale du Pschorr, à l’Augustinerbraü, au Munchnerkindl et dans d’autres brasseries.

Ils gravirent le Nockerberg où est situé un grand jardin. On y boit, tant qu’elle dure, la bière de mars la plus fameuse, la Salvator, et elle ne dure pas longtemps, car les Munichois sont de francs buveurs.

 

Lorsque le baron entra dans le jardin avec sa femme, ils le trouvèrent envahi par la foule des buveurs déjà saoûls qui chantaient à tue-tête, dansaient en branle et brisaient les chopes vides.

Des marchands vendaient les volailles rôties, les harengs grillés, les bretzels, les petits pains, la charcuterie, les sucreries, les bibelots-souvenirs, les cartes postales. Il y avait aussi Hannès Irlbeck, le roi des buveurs. Depuis Perkeo qui à Heidelberg buvait par jour dix sept litres de vin d Palatinat tirés du grand tonneau, on n’avait vu pareil boi-sans-soif. Au temps de la bière de mars, puis en mai, au moment du Bock, Hannès Irlbeck buvait ses quarante litres de bière. En temps ordinaire, il lui arrivait de n’en boire que vingt-cinq.

Au moment où le gracieux couple des Ygrées arriva près de lui, Hannès posa ses fesses majes tueuses sur un banc qui, supportant déjà une vingtaine d’hommes et de femmes énormes, craqua incontinent. Les buveurs tombèrent les jambes en l’air. On aperçut quelques cuisses soudaines et toutes nues, car les bas Munichois ne montent pas plus haut que le genou. Les rires éclatèrent. Hanlâcher beck qui s’était écroulé aussi mais sans lâcher sa chope, en versa le contenu sur le ventre. d’une fille qui avait roulé près de lui, et la blère moussant sous elle on eût dit qu’elle avait pissé ce qu’elle fit d’ailleurs dès qu’elle fut debout, en avalant pour se remettre rie son émotion, un litre d’un seul trait.

Mais le gérant du jardin criait :

Donnerkeil sacrés cochons un banc de cassé. Hannès Irlbeck vous êtes trop puissant, nos bancs ne peuvent vous supporter

Et il se précipita sa serviette sous le bras en appelant les garçons

Franz Jacob, Ludwig Martin, cependant que que les consommateurs n’ayant plus à boire criaient de toutes leur forces après le gérant :

Ober !! Ober !

Mais l’oberkellner ne me revenai pas plus que le arçons, et les buveurs se pressaient aux comp toirs où l’on prend sa chope soi-même tonneaux ne se vidaient plus, on n’entendait plus de minute en minute les coups sonores annonçant la mise en perce d’un nouveau fût. Les chants s’étaient arrêtés, des buveurs en colère voimissaient des injures contre les brasseurs et contre la bière de mars elle-même. D’autres profitaient de l’entr’acte les yeux hors de la tête, ils dégueulaient sur les tables on leurs voisins étudiaient sérieusement le nrélange. Hannès Irlbeck s’étant relevé pénible menty il renifla en disant :

Il n’y a plus de bière à Munich ! Et il répéta

Minchen ! Minchen ! Minchen ! – Rats il leve les yeux au ciel. Ensuite il se préci-pita vers un marchand de volailles et lui commanda de rôtir une oie. Alors, les yeux au ciel. formula des souhaits :

Plus de bière à Munich… s’il y avait seulement des radis blancs !

Et il répéta longtemps :

Raadi, raadi, raadi…

Tout à coup, il s’interrompit. La foule des buveurs altérés poussa un cri de satisfaction. Les quatre garçons venaient d’apparaître à la porte de la brasserie. Ils portaient dignement une sorte de baldaquin sous lequel l’Oberkellner marchait raide et fier comme un roi détrôné. Ils précédaient de nouveaux tonneaux de bière qui furent bientôt mis en perce au son de la cloche, et tandis qu’éclataient les rires, les cris et les chansons sur cette butte grouillante, dure et agitée comme la pomme Adam de Gambrinus même, quand vêtu en moine, le radis blanc d’une main, il vide de l’autre la cruche qui lui réjouit le gosier.

Et l’enfant à venir se trouva fort secoué par les tires de Macarée qui s’amusait terme à cette énorme godaillerie et qui ne laissa point de boire jusqu’à plus soif en compagnie de son mari.

Or l’allégresse de la mère eut une heureuse influence sur le caractère du rejeton qui en acquit beaucoup de bon sens, dès avant sa naissance, et du véritable bon sens, s’entend, celui des grands poètes.

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