XII Amour

Ce matin de printemps, Croniamantal. suivant les instructions de l’Oiseau du Bénin, arrivai dans le bois de Meudon et s’étendit à l’ombre d’un arbre aux branches très basses.

 

CRONIAMANTAL

 

Dieu ! je surs las, non de marcher, mais d’être seul. J’ai soif non de vin, d’hydromel ou de cervoise, mais d’eau, d’eau fraîche dans ce joli bois où l herbe et les arbres ont la rosée à chaque aube, mais où nulle source n’arrête le voyageur altéré. La promenade ma creusé, j’ai faim non de chair, ni de frui ts, mais de pain, de bon pain pétri et gonfle comme les mamelles, le pain rond comme la lune et doré comme elle.

 

Il se leva alors. Puis il s’enfonça dans le bois et arriva dans la clairière, où il devait rencontrer Tristouse Ballerinette. La donzelle n’était pas encore arrivée et Croniamantal ayant souhaite une source. sa volonté ou plutôt un talent de sourcier qu’il ne se connaissait point fit jaillir une eau limpide qui s’écoula parmi les herbes.

Croniamantal se jeta à genoux et but avidemment tandis qu’une voix de femme chantait au loin :

Dondidondaine

C’est la bergère aimée du roi

Qui est allée à la fontaine

Dondidondaine

Par les près mouillés qui verdoient

A la fontaine

Viendra-t-il ne viendra-t-il pas

Voici venir Croquemitaine

A la fontaine

Et tioupdistouc n’avancez pas

CRONIAMANTAL

 

Penses-tu déjà à celle qui chante ? Tu ris médiocrement de cette clairière. Crois-tu qu’elle ait été arrondie comme une table ronde pour l’égalité des hommes et des semaines. Non ! Croniamantal. Tu le sais, les jours ne se ressemblent pas.

Autour de la table ronde, les braves ne sont pas égaux, l’un a le soleil en face qui l’éblouit et qui le quitte bientôt pour éblouir son voisin, un autre a son ombre devant soi. Tous sont braves et brave tu l’es toi-même, ils ne sont pas plus égaux que le jour et la nuit.

 

LA VOIX

 

Croquemitaine

Porte la rose et le lilas

Le roi s’en vient – Bonjour Germaine

– Croquemitaine

Tu reviendras une autre fois

 

CRONIAMANTAL

Les voix de femmes sont toujours ironiques. Est-ce que le temps est toujours aussi beau ? Quelqu’un est déjà damné à ma place. Il fait beau dans le bois profond. N’écoute pas la voix de femme. Demande ! Demande !

 

LA VOIX

 

– Bonjour Germaine

Je viens aimer entre tes bras

– Ah ! Sire notre vache est pleine

– Vraiment Germaine

– Votre servante aussi je crois

 

CRONIAMANTAL

 

Celle qui chante pour m’attirer sera ignorante comme moi-même et dansante avec des lassitude,

 

LA VOIX

 

La vache est pleine

Quand vînt l’automne elle véla

Adieu mon roi Dondidondaine

La vache est pleine

Et mon cœur est vide sans toi

 

Croniamantal se dressa sur la pointe des pieds pour voir s’il n’apercevrait pas entre les branches, la tant désirée qui venait.

 

LA VOIX

 

Dondidondaine

A la fontaine il fait bien froid

Mais quand viendra Croquemitaine

Dondidondaine

Après l’hiver j’aurai moins froid.

 

Dans la clairière parut une jeune fille, svelte et brune. Son visage était sombre et s’etoilait d’yeux remueurs comme des oiseaux au plumage brillant. Les cheveux épars, mais courts, lui laissaient le cou nu, ils étaient touffus et noirs comme une forêt nocturne et à la corde à jouer qu’elle tenait, Croniamantal reconnut Tristouse Ballerinette.

 

CRONIAMANTAL

 

Pas plus loin, fillette, aux bras nus ! J’irai moi-même vers vous. Quelqu’un se tait sous l’aubépine et pourrait nous entendre.

 

TRISTOUSE

 

Celui qui est issu de l’œuf comme un Tyndaride. Je me souviens, ma mère, qui est simple, m’en parle quelquefois par les longues soirées. Le chercheur d’œufs de serpentes, fils de serpent lui-même. J’ai peur de ces vieux souvenirs.

 

CRONIAMANTAL

 

N’aie aucune crainte, fillette aux bras nus

Reste avec moi. J’ai des baisers plein les lèvres. Les voici, les voici. J’en dépose sur ton front, sur tes cheveux. Je mords tes cheveux au parfum antique. Je mords tes cheveux qui se lovent comme les vers sur le corps de la mort. O mort, ô mort poilue de vers. J’ai des baisers sur les lèvres. Les voici, les voici, sur tes mains, sur ton cou, sur tes yeux sur tes yeux, sur tes yeux. J’ai des baisers plein les lèvres, les voici, les voici, brûlants comme la fièvre, appuyés pour t’ensorceler, des baisers, des baisers affolés, sur l’oreille, sur la tempe, sur la joue. Sens mes étreintes, plie sous l’effort de mon bras, sois lasse, sois lasse, sois lasse. J’ai des baisers sur les lèvres, les voici, les voici, affolés, sur ton cou, sur tes cheveux, sur ton front, sur tes yeux, sur ta bouche. Je voudrais tant t’aimer, ce jour de printemps où il n’y a plus de fleurs aux feuillards qui se préparent à fructifier.

 

TRISTOUSE

 

Laissez-moiallez-vous-en, ceux qui s’entr’aiment sont effrayez mais je ne vous aime pas. Vous m’effrayer. Pourtantne désespère pas, ô poète. Écoute, c’est mon meilleur proverbe : Va-t’en !

 

CRONIAMANTAL

 

Hélas ! hélas ! Encore partir, aller jusqu’à l’arrêt océanique à travers les bruyères, les sapinières, dans les tourbes, les boues, les poussières, à travers les forêts, les prairies, les vergers, les jardins bienheureux,

 

TRISTOUSE

 

Va-ten. Va-t’en, loin de l’odeur antique de mes cheveux, ô toi qui m’appartiens.

Et Croniamantal s’en alla sans détourner la tète ; on l’aperçut encore longtemps entre les branches, puis, lorsqu’il eut disparu, on entendit longtemps encore sa voix qui allait s’affaiblissant.

 

CRONIAMANTAL

 

Voyageur sans bâton, pèlerin sans bourdon et poète sans écritoire, je suis moins puissant que tout autre homme, je n’ai plus rien et je ne sais rien...

Et sa voix n’arriva plus jusqu’à Tristouse Ballerinette, qui se mirait dans la source.

 

Dans d’autres temps, des moines défrichaient la forêt de Malverne.

 

MOINES

 

Le soleil décline lentement, et en te bénissant, Seigneur, nous allons dormir au monastère, afin que l’aube nous retrouve dans la forêt.

 

LA FORÊT DE MALVERNE

 

Chaque jour, chaque jour, des envols éperdus d’oiseaux angoissés voient leurs nids s’écraser et leurs œufs se briser quand les arbres s’abattent en secouant leurs branches.

 

LES OISEAUX

 

C’est l’instant joyeux du crépuscule où viennent baller sur l’herbe filles et garçons. Et tous ont des baisers qui veulent tomber comme des fruits trop mûrs ou comme l’œuf quand il va être pondu. Les voyez-vous, les voyez-vous danser, muser, hanter, chanter de la brune à l’aube, sa sœur blanche,

 

UN MOINE ROUX, au milieu du Cortège,

 

J’ai peur de vivre et je voudrais mourir. Déchirements de la terre ! Travail, ô temps perdu...

 

LES OISEAUX

 

Gai ! Gai ! les œufs brisés.

L’omelette toute faite à cuit sur un feu follet

– Ici, ici

– Prends à droite.

– – Tourne à gauche.

– – Devant toi.

– – Derrière ce chêne abattu.

– – Là.

CRONIAMANTAL, en d’autres temps et près de la forêt de Malverne, peu avant le passage des Moines.

Les vents s’écartent devant moi, les forêts s’abattent pour devenir de grandes routes une voie large, avec des charognes de ci de-là. Les voyageurs rencontrent trop de charognes depuis quelque temps, des charognes bavardes.

 

LE MOINE ROUX

 

Je ne veux plus travailler, je veux rêver et prier.

Il se coucha, la face tournée vers le ciel, dans le chemin borde de saules couleur de brume.

La nuit était venue avec le clair de lune. Cronia mantal vit les moines penchés sur le corps nonchalant de leur frère. Il entendit alors un petit gémissement, un faible cri sui était un dernier soupir. Et lentement ils passèrent à la queue leu-leu devant Croniamantal, caché derrière un bouquet de saules.

 

LA FORÊT GLORIDE

 

J aimerais égarer cet homme parmi les spectres qui flottent entre les bouleaux. Mais il fuit vers le temps qui vient et où le voilà revenu.

 

Un fracas de portes lointaines se changea en un bruit de train en marche. Une voie large, herbue, barrée de troncs, bordée d’énormes pierres fittes. La Vie se suicide. Un sentier que des gens parcourent. Ils ne se sont jamais lassés. Des souterrains où l’air est empuanti. Des cadavres. Des voix, appellent Croniamantal, Il court, il court, il descend.

 

Dans le joli bois, Tristouse se promenait en méditant.

 

TRISTOUSE

 

Mon cœur est triste sans toi, Croniamantal. Je t’aimais sans le savoir. Tout est vert. Tout est vert au-dessus de ma tête et sous mes pieds. J’ai perdu celui que j’aimais. Il me faudra chercher de-ci là, ici et là-bas. Et parmi tous et tous il se trouvera bien quelqu’un qui me plaira.

 

Revenu des autres temps, Croniamantal s’écria avant d’apercevoir Tristouse et en revoyant la source :

 

CRONIAMANTAL

 

Divinité ! quelle es-tu ? Où est ta forme éternelle ?

 

TRISTOUSE

 

Le voilà plus beau qu’auparavant et que tous

– Écoute, ô poète, je t’appartiens désormais.

Sans regarderTristouse, Croniamantal se pencha vers la source.

 

CRONIAMANTAL

 

J’aime les sources, elles sont un beau symbole d’immortalité quand elle ne tarissent point. Celle-ci n’a jamais tari. Et je cherche une divinité, mais je veux qu’elle me paraisse éternelle. Et ma source n’a jamais tari.

 

Il se mit à genoux et pria devant la source, tandis que Tristouse, éplorée, se lamentait.

 

TRISTOUSE

 

O poète, adores-tu la source ? O mon Dieu dez-moi mon amant ! Viens ! Je sais de si belles chansons.

 

CRONIAMANTAL

 

La source a son murmure,

 

TRISTOUSE

 

Eh bien ! couche avec ton amante froide, qu’elle te noie ! Mais si tu vis, tu m’appartiens et tu m’obéiras.

 

Elle s’en alla, et à travers la forêt aux oiseaux gazouilleurs, la source coulait et murmurait, tandis que s’élevait la voix de Croniamantal qui pleurait et dont les larmes se mêlaient à l’onde adorée.

 

CRONIAMANTAL

 

O source ! Toi qui jaillis comme un sang intarissable. Toi qui es froide comme le marbre, mais vivante, transparente et fluide. Toi, toujours nouvelle et toujours pareille. Toi qui vivifies tes rives qui verdoient, je t’adore. Tu es ma divinité nonpareille, Tu me désaltéreras. Tu me purifieras. Tu me murmureras ton éternelle chanson et tu m’endormiras le soir.

 

LA SOURCE

 

Au fond de mon petit lit plein d’un orient de gemmes, je t’entends avec agrément, ô poète ! que j’ai enchanté. Je me souviens d’un Avallon ou nous aurions pu vivre, toi comme le roi Pêcheur et moi l’attendant sous les pommiers. O îles aux pommiers ! Mais je sois heureuse dans mon petit lit précieux. Ces améthystes sont douces à mon regard. Ce lapis-lazuli est plus bleu qu’un beau ciel. Cette malachite me figure une prairie. Sardoine, onyx, agate, cristal de roche, vous scintillerez ce soir. Car je veux donner une fête en l’honneur de mon amant. J’y viendrai seule, comme il convient à une vierge. De mon amant le poète la puissance s’est déjà manifestée et ses présents sont doux à mon cœur. Il m’a donné ses yeux tout en larmes, deux sources adorables et tributaires de mon ruisseau.

 

CRONIAMANTAL

 

O source fécondante, tes eaux semblent ta chevelure. Les fleurs naissent autour de toi et noua nous aimerons toujours.

 

On n’entendait que le chant des oiseaux et le bruissement des feuilles, et parfois les clapotements d’un oiseau jouant dans l’eau.

Un fopoîte parut dans, le petit bois : c’était Paponat l’Algérien. Il s’approcha de la source en dansant

 

CRONIAMANTAL

 

Je te connais. Tu es Paponat, qui étudias en Orient

 

PAPONAT

 

Lui-même. O poète d’Occident, je viens te visiter. J’ai appris ta conversion, mais j’entends qu’il y a encore moyen de converser avec toi. Quelle humdité ! Rien d’étonnant si ta voix est rauque, et tu aurais besoin d’une calcophane pour la clarifier. Je me suis approché de toi en dansant. N’y aurait-il pas moyen de te tirer de la situation ou tu tes mis ?

 

CRONIAMANTAL

 

Pouah ! Mais dis-moi qui t’a appris à danser.

 

PAPONAT

 

Les anges eux-mêmes furent mes maîtres de danse.

 

CRONIAMANTAL

 

Les bans anges au les mauvais ? Maisn’importe, n’insiste pas. J’en ai assez de toutes les danse sauf d’une que je vaudrais pouvoir danser encore, celle que les Grecs appelaient Kordax,

 

PAPONAT

 

Tu es gai, Croniamantal, nous allons donc pouvoir nous amuser. Je suis heureux d’être venu loi, J’aime la gaîté. Je suis heureux !

 

Et Paponat, aux yeux brillants, profonde et tournoyants, se frotta les mains on riant.

 

CRONIAMANTAL

 

Tu me ressembles !

 

PAPONAT

 

Pas beaucoup. Je suis heureux de vivre, et toi tus te meurs auprès de la source.

 

CRONIAMANTAL

 

Mais le bonheur que tu proclames, l’oublies-tu et oublies-tu le mien ? Tu me ressembles ! L’homme heureux se frotte les mains, tu l’as fait. Sens-les Quelle odeur ont-elles ?

 

PAPONAT

 

Une odeur de mort.

 

CRONIAMANTAL

 

Ha ! ha ! ha ! L’homme heureux a la même odeur que le mort. Frotte tes mains. Quelle différence de l’homme heureux au cadavre. Je suis heureux aussi, quoique je ne veuille pas frotter mes mains. Sois heureux, frotte tes mains ! Sois heureux ! plus encore. La connais-tu maintenant, l’odeur du bonheur ?

 

PAPONAT

 

Adieu ; si tu ne fais plus cas des vivants, il n’y a plus moyen de parler avec toi.

 

Et tandis que Paponat, s’éloignait dans la nuit où brillent les innombrables yeux des bêtes célestes à la chair impalpable, Croniamantal se leva tout à coup en pensant :

« En voilà assez de la nature et des souvenirs qu’elle évoque. J’en sais assez maintenant sur la vie, retournons à Paris et tâchons d’y retrouver cette exquise Tristouse Ballerinette qui m’aime à la folie. »

 

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