XI Dramaturgie

Le lendemain Croniamantal alla chez les Théâtres, ils étaient réunis chez M. Pingu, le financier. Croniamantal parvint à se faire introduire en graissant la patte au padalobre et au pompier de service. Il entra sans timidité dans la salle où les Théâtres, leurs acolytes, leurs sicaires et leurs suppots s’étaient réunis.

 

CRONIAMANTAL

Messieurs les Théâtres, je suis venu pour vous lire ma pièce léximal Jélimite.

 

LES THÉATRES

 

De grâce, attendez un peu, monsieur, que l’on vous ait mis au courant de nos usages. Vous voici parmi nous, parmi nos de nos nos es. Vous nos critiques et nos spectateurs. Écoutez attentivement et ne parlez presque pas.

LE POÈTE ASSASSINÉ

 

CRONIAMANTAL

 

Messieurs, je vous remercie de l’accueil cordial que vous me faites et je profiterai, j’en suis certain, de tout ce que j’entendrai.

 

L’ACTEUR

 

Mes rôles ont duré ce que durent les ros

Mais ma mère, j’aime mes métempsychoses

O phoques de Protée et ses métamorphoses

 

UN VIEUX RÉGISSEUR

 

Vous en souvenez-vous, madame ! Un soir de neige en 1832, un inconnu égaré frappa à la porte d’une villa située sur la route qui mène de Chanteboun à Sorrente...

 

LE CRITIQUE

 

Aujourd’hui, pour qu’une pièce réussisse, il est important qu’elle ne soit pas signée par son auteur.

 

LE MENEUR A SON OURS

 

Roule-toi dans les petits pois

Fais le mort… Donne à téter...

Danse la polka... la masourke maintenant...

 

CHŒUR DES BUVEURS

 

Jus de la treille

Liqueur vermeille

Buvons buvons

Si nous pouvo

LE POÈTE ASSASSINÉ

 

CHŒUR DES MANGEURS

 

Tas de goulus

Il n’y a plus

Une miette

Dans l’assiette

 

BUVEURS

 

Trognes vermeilles

Buvons buvons

Le jus des treilles

 

L’ACTEUR, L’ACTRICE, LES AUTEURS aux spectacteurs

Paye ! Paye ! Paye ! Paye ! Paye ! Paye ! Paye !

 

LE PRÉDICATEUR

 

Le Théâtre, mes chers frères, est une école de scandale, c’est un lieu de perdition pour les âmes et pour les corps. Au témoignage des machinistes tout est truqué dans un théâtre. Des sorcières plus vieilles que Morgane y arrivent à se faire passer pour des fillettes de quinze ans.

Que de sang versé dans un mélodrame. Je le dis en vérité, bien qu’il soit postiche, ce sang retombera par tiers sur la tête des enfants des auteurs, des acteurs, des directeurs, des spectateurs, jusqu’à la septième génération. Ne, mater, suam, disaient autrefois les jeunes filles à leurs mères. Aujourd’hui elles demandent : « Irons-nous au théâtre ce soir ? »

 

Je vous le dis en vérité, mes frères. Peu de spectacles ne mettent pas les âmes en danger. Outre le spectacle de la nature, je ne sache que la baraque du pétomane où l’on puisse aller sans crainte. Ce dernier spectacle, mes chers frères, est gaulois et sain. Le bruit dilate la rate, il chasse Satan des lombes où il gîte et c’est ainsi que les Pères du désert arrivaient à s’exorciser en eux-mêmes.

 

UNE MÈRE D’ACTRICE

 

Tu p…, Charlotte ?

 

L’ACTRICE

 

Non, maman, je rote.

 

M. MAURICE BOISSARD

 

Les voilà bien aujourd’hui les entrailles d’une mère.

 

UN AUTEUR QUI A UNE PIÈCE REÇUE

 

A LA COMÉDIE-FRANÇAISE

 

Mon ami, vous n’avez pas l’air très dégourdi. Je vais vous enseigner le sens de quelques mots du vocabulaire théâtral. Écoutez-les attentivement et retenez-les si vous pouvez.

Achéron (ch dur ou chuintant ad libitum). – Fleuve des Enfers et non de l’enfer.

Artistes (deux genres). – Ne s’emploie qu’en parlant d’un comédien ou d’une comédienne.

Frère. – Éviter de joindre à ce substantif le qualificatif « petit ». L’adjectif « jeune » convient mieux.

NOTA BENE. – Cette remarque ne s’applique pas à l’opérette.

High-life. – Cette expression bien française se traduit en anglais par fashionable people.

Liaisons. Elles sont toujours dangereuses au théâtre.

Papa – Deux négations valent une affirmation.

Pommes cuites (ne s’emploie pas au singulier). – Crudité préjudiciable à l’estomac.

Zut. – Ce mot déjà vieilli remplaçait avantageusement, il y a vingt ans, le mot de Cambronne.

Voulez-vous aussi quelques titres ? Ils sont importants quand on veut réussir. En voici d’infaillibles :

LE CONTOUR ; Le Pourtour ; LA TOUR ; Autour avec Alentour ; LES VAUTOURS ; Louison, ta chemise n’est pas propre ; HATE-TOI LENTEMENT ; Le Bar tentaculaire ; CINTIÈME A GAUCHE ; La Magicienne ; LA GUELFE ; J’te vas tuer ; MON PRINCE ; L’Artichaut ; L’ÉCOLE DES NOTAIRES ; La Torchère.

Au revoir, monsieur, ne me remerciez pas.

 

UN GRAND CRITIQUE

 

Messieurs, je viens vous soumettre le compte rendu du triomphe d’hier soir. Y êtes-vous ? Je commence ;

 

LA POIGNE ET LE POIGNON

 

Pièce en trois actes, par MM. Julien Tandis, Jean de la Fente, Prosper Mordus et M mes Nathalie de l’Angoumois, Jane Fontaine et la comtesse M. des Étangs – Décors de MM. Alfred Mone, Léon Minie, Al. de Lemère. Costumes de chez Jeannette, chapeaux de chez Wilhelmine, mobilier de la maison Mac Tead phonographes de la maison Hernstein, serviettes hygiéniques de la maison Van Feuler et C ie .

On se souvient du captif qui osa p… devant Sésostris. Je ne connaissais pas de situation plus poignante avant d’avoir vu la pièce de MM. etc. et Mmes etc. Je veux parler de la scène qui fit tant d’effet à la première représentation et dans laquelle le financier Prominoff rouspète devant le juge d’instruction.

La pièce, qui est bonne, n’a pas, d’ailleurs, donne tout ce qu’on attendait. L’épouse courtisane qui fait ses choux gras de la verte vieillesse d’un bouilleur de cru, reste pourtant une figure inoubliable qui, laisse loin derrière elle Cléopâtre et Mme de Pompadour, M. Layol est un bon comique, il s’est affirmé père de famille dans toute l’acception de l’expression. Mlle Jeannine Letrou, une jeune étoile de demain, a de bien jolies jambes. Mais la révélation fut Mme Perdreau dont nous savions le cœur sensible. Elle a mimé avec le naturel le plus émouvant la scène de la réconciliation. Une belle soirée en somme et un dîner de centième en perspective.

 

LES THÉATRES

 

Jeune homme, nous allons vous dire quelques sujets de pièces. S’ils étaient signés de noms connus, nous les jouerions, mais ce sont là des chefs-d’œuvre d’inconnus qui nous ont été confiés et dont, sur votre bonne mine, nous vous faisons largesse.

 

PIÈCE A THÈSE. – Le prince de San Meco trouve un pou sur la tête de sa femme, il lui fait une scène. La princesse n’a couché depuis six mois qu’avec le vicomte de Dendelope. Les époux font une scène au vicomte qui, n’ayant couché qu’avec la princesse et Mme Lafoulue, femme d’un secrétaire d État, fait tomber le ministère et accable Mme Lafoulue de son mépris.

Mme Lafoulue fait une scène à son mari. Tout s’explique lorsqu’arrive M. Bibier, député. Il se gratte la tête. On le dépouille. Il accuse ses électeurs d’être des pouilleux. Finalement tout rentre dans l ordre. Titre : Le Parlementarisme.

 

COMÉDIE DE CARACTÈRE. – Isabelle Lefaucheux promet à son mari de lui être fidèle. Elle se souvient alors d’avoir promis la même chose à Jules, garçon de la boutique, Elle souffre de ne pouvoir accorder sa foi et son amour.

Cependant Lefaucheux met Jules à la porte. Cet événement détermine le triomphe de l’amour et nous retrouvons Isabelle caissière dans un grand magasin où Jules est commis. Titre : Isabelle Lefaucheux.

 

PIÈCE HISTORIQUE. – Le fameux romancier Stendhal est l’âme d’un complot bonapartiste qui se termine par la mort héroïque d’une jeune cantatrice pendant une représentation de Don Juan à la Scala de Milan. Comme Stendhal s’est dissimulé sous un pseudonyme, il s’en tire admirablement. Grands défilés, personnages historiques.

 

OPÉRA. – L’âne de Buridan hésite à satisfaire sa soif et sa faim. L’ânesse de Balaam prophétise que ane mourra. L’âne d’or vient, mange et boit. Peau-d’Ane montre sa nudité à ce troupeau asinin. En passant par là, l’âne de Sancho pensa qu’il prouverait sa robustesse en enlevant l’infante, mais le traître Mélo avertit le génie de la Fontaine. Il proclame sa jalousie et bâte l’âne d’or. Métamorphoses. Le Prince et l’Infante font leur entrée à cheval. Le roi abdique en leur faveur.

 

PIÈGE PATRIOTIQUE. – Le gouvernement suédois intente à la France un procès en contrefaçon des allumettes suédoises. Au dernier acte, on exhume les restes d’un alchimiste du XIVe siècle qui inventa ces allumettes à La Ferté-Gaucher.

 

COMÉDIE-VAUDEVILLE. –

 

Le bel automédon

Criait à sa voisine :

Si tu me fais voir ton salon,

Je te ferai voir ma cuisine.

 

Voilà de quoi alimenter toute une vie de dramaturge, monsieur.

 

M. LACOUF, ÉRUDIT

 

Jeune homme, il importe aussi de connaître des anecdotes théâtrales, elles alimentent agréablement la conversation d’un jeune auteur dramatique, en voici quelques-unes :

Le grand Frédéric avait l’habitude de faire fouetter les actrices. Il pensait que la flagellation communiquât à leur peau une teinte rose qui n’était pas sans agrément.

A la cour du grand Turc, on représente le bourgeois gentilhomme, mais accommodé au goût de l’endroit et le mamamouchi y devient un commandeur de la Légion d’honneur.

Cécile Vestris, un jour qu’elle se rendait à Mayence, vit sa voiture arrêtée par le fameux brigand rhénan Schinderhannes. Elle fit contre mauvaise fortune bon cœur et dansa pour Schinderhannes dans une salle d’auberge.

La profession d’acteur passait autrefois pour honteuse. Elle devint ensuite lucrative et aujour-d’hui oon’admet généralement qu’elle anoblit.

Un acteur érudit m’a affirmé qu’il ne goûtait qu’une seule statue : le scribe accroupi, sculpte par un Égyptien, bien avant Jésus-Christ et qui se trouve au Louvre... Mais on commence a parler un peu moins de M. Scribe. Il y a dix ans il régnait encore sur le théâtre.

 

LES THÉATRES

 

N’oubliez pas la scène à faire, ni le mot de là fin, ni que plus on a de fours plus on brille, ni qu’un nombre cité doit se terminer par un 7 un 3 pour être vraisemblable, ni de ne pas prêter d’argent à qui dit : « J’ai cinq actes à l’Odéon », ou « J’ai trois actes à la Comédie-Française », ni de dire négligemment : « Si vous voulez des billets de faveur. J’en ai tellement que je suis obigé d’en donner a ma concierge », cela n’engage à rien.

 

Un jeune homme ne manqua point à ce moment de venir chanter avec des gestes équivoques des chansons singulières sur des airs lascifs, bébêtes et entraînants.

 

M. PINGU

 

Quel jus, monsieur, quel jus.

 

M. LACOUFF

 

Du jus de chapeau ?

 

M. PINGU

 

Nenni ! je me trompe, quel fluide !

 

Il se trémousse comme la panse d’un archevêque.

 

M. LACOUFF

 

Employez le mot propre, il ne s’agit pas de la panse.

 

M. PINGU

 

Quel jeu, monsieur, quel jeu, il attendrirait un crocodile et a de quoi plaire à un érudit aussi bien qu’a un financier.

 

CRONIAMANTAL

 

Au revoir, messieurs, je suis votre serviteur. Et si vous le permettez, je reviendrai dans quelques jours. J’ai idée que ma pièce n’est pas encore au point.

 

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