IV Noblesse

Après avoir gagné au baccarat une grosse somme qui, jointe à ce que l’amour lui avait permi d’amasser, la rendait riche pour quelques années Macarée vint à Paris

Avant tout, elle courut les couturiers à la mode qui lui firent des toilettes d’un chic suprême chacun selon ses aptitudes et sa spécialités

 

Un soir elle s’était rendue au Théâtre-Français, on jouait une pièce morale qui au premier acte montrait, soignant la grossesse de son mari hydrolique une jeune femme que la chirurgie avait rendue stérile. Le médecin s’en allait en disant

« Un grand miracle et un grand dévouement pourront seuls le sauver. »

Au deuxième acte, la jeune femme disait au jeune docteur :

Je rue dévoue pour mon mari. Je veux devenir hydropique à sa place.

Le medecin répondait

Aimons-nous, et si vous n’êtes pas impropre à la maternité, votre souhait sera rempli.

Hélas ! murmurait la dame, je n’ai plus d’ovaires.

L’amour, s’écriait alors le docteur, l’amour, madame, est capable de faire bien des miracles.

Au troisième acte, le mari mince comme un I e la dame enceinte de huit mois se félicitaient de l’échange qu ils avaient fait. Le médecin communiquait à l’Académie de médecine le résultat de ses travaux sur la fécondation des femmes devenues stériles à la suite d’opérations chirurgicales

 

Vers la fin du troisième acte, quelqu’un cria : « Au feu ! » dans la salle. Les spectateurs épouvantes se sauvèrent en hurlant. En fuyant, Macarée saccrocha au bras du premier homme qu’elle rencontra. Il était bien vêtu et beau de figure, et comme Macarée était ravissant, il parut flatté de ce qu’elle l’eût choisi comme défenseur. Ils lièrent ensuite connaissance au café de la Régenée et de la allèrent souper à Montmartre. Mais il se trouva que François des Ygrées avait par négligence oublié sa bourse. Macarée paya volontiers l’addition. Et François des Ygrées poussa même la galanterie jusqu’ à ne pas vouloir laisser dormir seule Macarée, que l’incident de l’incendie avait rendue nerveuse.

 

François, baron des Ygrées, dernier rejeton dune noble maison de Provence, professait le blason au sixième étage d’un immeuble de la rue Charles-V.

Mais, disait-il, les révolutions et les démagogues ont tant fait que le blason n’est plus étudié que par des archéologues roturiers, tandis que les nobles ne sont plus endoctrinés dans cet art.

Le baron des Igrées, dont l’écu était était d’azur à trois pair les d’argent posées en pal, sut inspirer assez de sympathie à Macarée pour qu’en reconnaissance de la nuit du Théâtre-Français, elle voulût prendre des leçons de blason.

Macarée se montra, il est vrai, peu encline à retenir les termes du blason, et l’on peut affirmer quelle ne s’intéressa sérieusement qu’aux armes des Pignatelli, qui ont fourni des papes à l’Église et dont l’écu est meublé de marmites.

Néanmoins, ces leçons ne furent une perte de temps ni pour Macarée ni pour François des Ygrées, car ils finirent par s’épouser. Macarée apporta en dot son argent, sa beauté et sa grossesse. François des Ygrées offrit à Macarée un grand nom et sa noble prestance.

Ils n’avaient à se plaindre du marché ni l’un ni l autre et se trouvèrent fort heureux.

Macarée, dit François des Ygrées peu de jours après son mariage qui avait été béni à Saint-Philippe-du-Roule, dans quel but avez-vous commandé tant de toilettes ? Il me semble qu’il ne se passe point de jour sans que les couturiers n’en apportent de nouvelles. Elles font, il est vrai, honneur à votre bon goût et à leur habileté.

Macarée hésita un instant, puis répondit :

– C’est en vue de notre voyage de noces, François !

 

– Notre voyage de noces, j’y avais songé. Mais ou comptez-vous aller ?

– A Rome, dit Macarée.

– A Rome, comme les cloches de Pâques ? Et pourquoi quuoi choisîtes-vous cette ville entre mille

– Je veux voir le pape, dit Macarée.

– Fort bien, mais dans quel but ?

– Afin qu’il bénisse l’enfant qui tressaille mon ventre, dit Macarée.

– Tubleu ! Morbleu !

– Ce sera votre fils, dit Macarée.

– Vous avez raison, Macarée. Nous irons Rome, comme les cloches de Pâques et vous commanderez une nouvelle robe de velours noir ; et que devant, au bas de la jupe, le couturier ne néglige pas de faire broder nos armes d’azur à trois pair les d’argent posées en pal.

 

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