I

le 23 fevrier 1912, je parcourais à pied cette partie du Tyrol qui commence presque aux portes de Munich. Il gelait, le soleil avait brillé durant tout le jour et j’avais laissé loin derrière moi une région où des châteaux fabuleux se reflétaient dans des lacs roses au crépuscule. La nuit était tombée la pleine lune l’illuminait, bloc flottant dans le firmament où scintillaient de froides étoiles. Il pouvait être cinq heures. Je me hâtais, voulant arriver pour le dîner au grand hôtel de Werp, village bien connu des Alpinistes et qui, d’après la carte que j’avais en poche, ne devait plus s’être éloigné que de trois ou quatre kilomètres. Le chemin était devenu mauvais. J’arrivai à un carrefour où aboutissaient quatre sentiers ; je voulus consulter ma carte, mais je m’aperçus que je l’avais perdue en route. Dautre part le lieu où je me trouvais ne répondait a aucun point de l’itinéraire que je m’étais trace avant le départ et dont je me souvenais nettement : j’étais égarré. Le temps me pressait et je ne tenais pas à coucher à la belle étoile. Je pris par le sentier qui me parut orienté dans la direction de Werp. Au bout d’une demi heure de marche je m’arrêtai en un endroit où le sentier finissait devant une muraille de rochers haute de cinquante mètres environ et derrière laquelle des montagnes s élevaient en masses chaotiques, blanches de neige. Autour de moi de grands sapins agitaient leurs formes sombres et retombantes, car le vent s’était levé et leurs cimes s’entrechoquant, ce bruit lugubre ajoutait encore à l’horreur du desert où le hasard m’avait entraîné. Je compris qu il serait impossible de trouver Werp avant le jour et je cherchai quelque grotte, quelque anfractuosité de rocher où m’abriter du vent jusqu’à l’aube. Comme j’examinais fort soigneusement cette sorte de falaise qui se dressait devant moi, il me sembla apercevoir une ouverture vers laquelle je me dirigeai. Je reconnus une caverne très spacieuse et m’y aventurai. Au dehors, le vent faisait rage et la plainte des sapins avait quelque chose de poignant, comme si des milliers de voyageurs égarés avaient crié leur désespoir. Au bout de quelques minutes, m’étant habitué à la caverne, je perçus un bruit lointain de musique. Je crus d’abord m’être trompé, mais bientôt, je ne doutai plus, des ondes sonores et harmonieuses parvenaient jusqu’à mes oreilles et provenaient des entrailles de la montagne. Quel étonnement et quelle terreur ! je voulus fuir. Puis la curiosité l’emporta et tâtonnant le long de la paroi, je m’acheminai dans le but d’explorer la caverne de sorcellerie. J’avançai ainsi pendant plus d’un quart d’heure et les harmonies de l’orchestre souterrain se précisaient. Puis paroi fit un angle brusque, je tournai changeant de direction et j’aperçus à une distance que je ne pouvais évaluer, un peu de lumière filtrant, paraissait-il, autour d’un vantail. Je hâtai le pas et arrivai bientôt devant une porte. La musique avait cessé. Et comme j’entendais une rumeur de voix éloignées, je frappai à la porte, me disant que les mélomanes souterrains ne devaient pas être, après tout, des gens dangereux et d’autre part, comme maigre les apparences je ne pouvais me résoudre à admettre que mon aventure eût une origine surnaturelle, je frappai deux fois a la porte et personne ne vint. Alors, ma main ayant rencontré un loquet, je le tournai et n’éprouvant aucune résistance, jouvris et pénétrai dans une vaste salle dont les parois étaient revêtues de marbres de couleur, de coquillages, et où régnait une demi-lumière tandis que de l’eau ruisselait dans des vasques où nageaient des poissons multicolores.

 

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