(Reçue le 25 février.)
Bien estimée et très bonne Comtesse Catherine Alexandrovna,
Suivant ma promesse, je me hâte de vous renseigner sur notre pauvre malade. Pendant toute la route, son état d’âme m’a inspiré les plus sérieuses inquiétudes : elle se taisait obstinément et, quand il lui arrivait de répondre à quelque question, c’était par une courte phrase qui s’achevait en gémissements hystériques. Notre départ a été si inattendu que je n’ai pu envoyer à la campagne, où nous n’étions pas allés depuis cinq ans, les ordres nécessaires. Le gérant a reçu mon télégramme quelques heures avant notre arrivée et a dû nous céder son pavillon, car il était impossible de s’installer dans une maison non chauffée. Les trois premiers jours, nous avons vécu avec les enfants, la gouvernante et le précepteur, dans quatre petites pièces très misérables ; peu à peu, tout s’est arrangé. Par bonheur, à dix verstes de nous, à la ville, habite notre vieil ami, le DrFlescher, que Mary connaît depuis son enfance et par qui elle consent à se faire soigner. Le principal remède qu’il lui ait ordonné, c’est la promenade à l’air pur, et Mary se soumet très volontiers à ce régime. Le temps est magnifique ; presque toujours deux ou trois degrés de froid, sans vent.
Aujourd’hui, il y a juste une semaine que nous sommes ici, et ma femme va beaucoup mieux : l’appétit reparaît, elle dort davantage et consent à prendre part à une conversation ; à la vérité, ses considérations sont toujours extrêmement pessimistes, ce que la longue tension de ses nerfs n’explique que trop bien. Chose remarquable, depuis son départ de Pétersbourg, elle n’a pas eu une minute de fièvre.
Maintenant, je ne sais par quels mots vous remercier, bonne Comtesse, du chaleureux concours que vous nous avez prêté, et de l’énergie avec laquelle vous nous avez décidés, Mary et moi, à quitter immédiatement Pétersbourg. Flescher dit que ce départ l’a sauvée, et que quelques heures de plus passées à Pétersbourg pouvaient amener de graves complications.
Ma femme sent tout le prix de votre sollicitude et veut parfois vous écrire. Même, hier, elle a commencé une lettre ; mais, après deux ou trois phrases, elle n’a pu réprimer ses gémissements, et je l’ai engagée à remettre sa lettre à un autre jour ; j’ai pris sur moi la responsabilité de son silence qui, dans toute autre circonstance, serait impardonnable.
D’après l’opinion de Flescher, opinion que je partage absolument, la maladie de Mary est due à ce que son faible organisme ne peut supporter la vie mondaine avec son absurde train de ses nuits sans sommeil. Il faut espérer que, l’hiver prochain, ma femme, instruite par la dure expérience, arrangera sa vie autrement. Sa convalescence progresse d’un pas sûr, et je pense aller dans dix jours à Pétersbourg où m’appellent les exigences du service, et prendre un congé à la fin d’avril pour passer ici tout l’été. Il va sans dire que, le jour de mon arrivée, je serai chez vous et raconterai de vive voix tout ce qui nous concerne.
Votre infiniment dévoué,
H. BOIAROV.