X Du Comte D***

(Reçue 15 mai.)

Il me semble que tu t’es définitivement installée chez ta tante, ma chère coureuse ; je n’ose me révolter, parce que, si tu restes là-bas, c’est qu’il le faut ; mais cependant elle est lourde à supporter l’absence d’une si jolie et si charmante femme ; et toi, je pense que tu t’ennuies aussi sans moi : qui t’aimera et te caressera là-bas ?

Tout ce que tu m’écris de la tante me fait espérer que notre séparation ne sera pas sans fruits. Ces paroles de ta tante : « Tout ce qui est à toi est à moi ! » sont surtout significatives ; mais il me semble cependant qu’elle devait dire le contraire. Maintenant, permets-moi de te donner quelques conseils sur la distribution de tes cadeaux d’adieu. Les princesses Pichetzky sont nos adversaires ; on ne les achètera par rien, c’est pourquoi il ne me semble pas nécessaire de leur faire un cadeau. Vassilia, c’est autre chose, – on peut et il faut l’acheter ; mais à telles gens, on ne doit pas donner beaucoup à la fois : il faut surtout leur montrer la perspective de biens futurs ; tu lui donneras une robe tout de suite, nous lui enverrons le châle pour sa fête, et, si c’est possible, donne-lui quelque argent.

Il me semble que je t’ai écrit que Sophia Alexandrovna m’avait invité pour une partie de whist en simple redingote ; mais, comme elle avait dit la même chose à toutes les personnes qu’elle avait rencontrées pendant trois jours, en arrivant chez elle à onze heures, j’ai trouvé cinquante personnes qui se pressaient dans son petit logement : en un mot, c’était une soirée en règle. Par bonheur, je dînais ce même jour à l’ambassade d’Autriche : c’est pourquoi j’étais habillé non pas simplement, mais comme il faut. J’ai vu là ta Mary, et je lui ai parlé avec grand plaisir, car, indirectement, elle te rappelait à moi ; mais pourquoi a-t-elle toujours près d’elle ce grand beffroi de Névieroff ? Mary est une femme trop spirituelle pour trouver du plaisir dans sa société.

Avant-hier, j’ai été très inquiet à cause de ton chien : il ne voulait rien manger et gémissait étrangement ; j’ai immédiatement fait demander le vétérinaire : il l’a frotté avec quelque chose, lui a donné un remède, et aujourd’hui, Dieu merci, il va tout à fait bien. Les enfants vont bien et t’embrassent.

Ton mari et ami,

D.

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