Post-scriptum

À propos de Van Gogh, de la magie et des envoûtements, tous les gens qui sont depuis deux mois allés défiler devant l’exposition de ses œuvres au musée de l’Orangerie sont-ils bien sûrs de se souvenir de tout ce qu’ils ont fait et de tout ce qui leur est arrivé tous les soirs des mois de février, mars, avril et mai 1946. Et n’y eut-il pas un certain soir où l’atmosphère de l’air et des rues devint comme liquide, gélatineuse, instable, et où la lumière des étoiles et de la voûte céleste disparut. Et Van Gogh n’était pas là, qui a peint le café d’Arles. Mais j’étais à Rodez, c’est-à-dire encore sur la terre, alors que tous les habitants de Paris, durent, pendant une nuit, se sentir bien près de la quitter. Et n’est-ce donc pas qu’ils avaient tous participé de concert à certaines saloperies généralisées, où la conscience des Parisiens quitta pour une heure ou deux le plan normal et passa sur l’autre à l’un de ces déferlements massifs de haine dont j’ai été bien des fois un peu plus que le témoin pendant mes neuf ans d’internement. Maintenant la haine a été oubliée comme les expurgations nocturnes qui s’ensuivirent et les mêmes, qui à tant de reprises montrèrent à nu et à la face de tous leurs âmes de bas pourceaux, défilent maintenant devant Van Gogh à qui, de son vivant, eux ou leurs pères et mères ont si bien tordu le cou. Mais n’est-il pas, l’un des soirs dont je parle, tombé boulevard de la Madeleine, à l’angle de la rue des Mathurins, une énorme pierre blanche comme sortie d’une éruption volcanique récente du volcan Popocatepetl.

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