Ce fut un mois d’octobre, à l’époque où la France rappelle ses jeunes classes. Joseph, qui avait ses raisons, quitta Grenelle et débarqua à Londres. Il n’en était pas à son premier voyage. Il avait importé déjà, à l’intention des fondeurs, pas mal de babioles. Mais, cette fois, il arrivait pour du bon et amenait sa môme. Il se rendit au Cercle, il dit :
– Messieurs, je vous présente ma môme Zonzon Pépette.
On répondit :
– Ah ! Ah ! Zonzon Pépette.
Et tout fut dit.
Pour le moment, Zonzon Pépette souffrait d’une sacrée jaunisse. Ça la rendait jaune des joues, jaune des mains, jaune de tout ce que de sa viande, elle cachait sous sa jupe. Elle en était fort laide. Même que le grand François, qu’on appelait l’Allumette, après avoir dit comme les autres : « Ah ! Ah ! Zonzon Pépette », se moqua pour lui seul :
– Zut ! la môme à Joseph, elle a une peau d’orange !
Ce qui survint, par la suite, ne lui survint que lentement. Bien pendant huit jours, il ne pensa pas autre chose que :
– Zut, la môme, elle garde sa peau d’orange.
Il avait d’ailleurs à choyer sa môme à lui, une gentille blonde, leste au trottoir et douce, son Tendre Mouton comme il disait, dix fois le jour à bêler :
– Chéri, on s’aime ?
Mais voilà qu’un soir il s’avisa que cette Zonzon avait des joues non plus de jaunisse, mais rouges et tendues, on aurait dit des pommes. Et pas seulement des joues, mais des seins qui tenaient leur place, une bouche qui devait en connaître des choses ! et un fessard acré ! à fatiguer, à lui tout seul, son homme.
Nom de Dieu ! Ça lui entra dans la chair comme une flamme. Le lendemain ça y restait. Et encore plus, les autres jours. Il flambait, François, il voulait la Zonzon, à n’en plus dormir, à s’en gratter où ça le cuisait, à en tanner, pour se distraire, le cuir à sa Lisette, son Tendre Mouton comme il disait, dix fois le jour à bêler :
– Chéri, on s’aime ?
Bien sûr qu’il l’aimait. Mais l’autre ! ces yeux à la Chinoise ! cette bouche de diablesse ! ce paquet de fessard ! ce qu’elle devait sentir la bête ! Il se voyait là-dessus, comme sur une bête. Il en bavait à s’en bouffer la langue.
Et Zonzon, pour les bonnes choses qu’elle avait, n’eût pas dit non. Elle le montrait avec ses mirettes ; cela se voyait à sa façon de se pousser du derrière quand elle passait. Bonne fille. Mais il y avait son Joseph. Pas de plus jaloux que cet homme ; toujours après elle, même au trottoir, au point de rester à bailler, sous les fenêtres où elle faisait les types.
Pauvre François ! Il pensa bien gagner la môme, comme cela se fait entre mâles : au couteau. Mais le couteau, bon contre les autres qui ne sont pas des copains. Il aurait pu aussi se travestir et, sous le nez de Joseph, comme un type, lui emprunter sa môme. Une bonne blague, tandis que l’autre, en bas, tiendrait la chandelle. Mais, après, il aurait fallu casquer, donner à Zonzon de quoi régler ses comptes avec Joseph. Et cela non ! on sait ce que l’on vaut, on n’est pas homme à glisser, même pour la frime, cent sous dans la main d’une femme. Alors, plutôt attendre ! Plutôt gratter sa rogne, être malade et tanner à tours de bras sa gentille Lisette, son Tendre Mouton, comme il disait, dix fois le jour à bêler :
– Chéri, on s’aime ?
Cela finit, tout de même, par s’arranger. À cause d’un mot qu’un policeman comprit dans sa langue, Joseph dut passer huit jours en prison. Un soir au Cercle, il annonça qu’il y allait.
François se trouvait là.
Acré-lazigoula-lazigouillette ! S’il ne dit rien, François, c’est qu’il avait pris l’habitude de se taire. Mais, sous la table, ses pieds dansèrent tout seuls et son poing qu’il lança, il crut bien que, du premier coup, il allait en fendre tout le bazar. Zonzon eût été bête de ne pas comprendre.
Cette nuit-là, il soigna, comme jadis, son Tendre Mouton, histoire de se mettre en train. Mais dès l’aube, il haletait devant la maison de Pépette ; il regarda Joseph partir, grimpa là-haut et alors…
Eh bien, non ! Ce ne fut pas cette fois-là, ni le lendemain, ni aucun des jours de cette semaine. Il vit cela tout de suite : Zonzon était gênée. Elle se trouvait levée, déjà vêtue.
Il dit :
– Laisse-moi t’embrasser, Zonzon.
Elle se laissa embrasser. Il fit :
– Hum ! que tu sens bon, Zonzon.
Et tant qu’il voulut, il pu la flairer. Mais après, quand sa main chercha plus loin… mille dieux ! Ce jaloux de Joseph avait choisi son moment. Il connaissait, dans les plis, le corps de sa môme, car cette garce-là, forte comme elle l’était, quand ça lui prenait, ça lui durait des huit jours ! Et, alors, même un François.