XII LE BRILLANT

– Ce qu’ils sont beaux, Zonzon !

– Bin oui.

– Et longs, Zonzon.

– Tu trouves ?

– Et puis, ce qu’ils sont doux !

– Pen-ssses-tu.

Elle rigolait ; mais, au fond, ses cheveux elle en était très fière.

Un soir elle vint au Cercle et plus de mèches, plus de boucles, plus de chignon ; des bouts de rien, une tête, on aurait dit coiffée à coups de sabre.

– C’est un salaud, déclara Zonzon.

Et ce fut tout, car elle était furieuse.

Plus tard, pour Petit homme, elle raconta :

– J’avais bien vu que c’était un maigre, mais quoi ? s’il fallait se méfier de tous les types qui sont maigres !… Toi aussi, t’es maigre. Et d’ailleurs, il eût été gros…

« Je fais mon clin d’œil, je passe devant, il me reluque, puis, tout de suite, il me vient derrière, comme quand ça mord. Dans une rue, plus loin, il me baragouine quelque chose. Il portait une belle bague :

« – Je ne te comprends pas, que je dis, mais ce sera a pound.

« – Yes, a pound.

« Il me mène dans sa chambre. Ce qu’était son métier, je sais pas : il traînait là des ciseaux, des pinces, des crochets, toute espèce d’outils. Sitôt là-dedans, il va dans un coin et commence par retirer sa bague. Il la met sur la table.

« – Bon ! que je me dis.

« Puis je m’arrange. Quand je suis sur mes bas, je vais tourner du côté où qu’il avait mis la chose. Gn’vait un gros brillant.

« – Dites donc ! qu’il fait le type.

« Je sursaute, parce que je pensais à la bague.

« – T’as de beaux cheveux, qu’il dit.

« – Tiens ! que je m’étonne, t’es donc pas un Angliche ?

« – Si, qu’il dit… Mais pour tes cheveux, ils sont vraiment fort beaux.

« – Ça, que je réponds, oui et pas en toc, ni en peinture.

« – On peut toucher ?

« – Touche, que je dis.

« Il passe la main comme si qu’il caressait un chat.

« – C’est vrai, qu’il dit, ils sont vraiment très beaux. Mais, ton chignon, tu ne voudrais pas le défaire ?

« – Ça… que je réfléchis. Après, gn’aura le coiffeur ; faudra que tu rajoutes cinq shellings.

« – Et dix qu’il dit.

« Bon, puisqu’il aimait ça. Je me cale sur une chaise. Près du brillant tu penses. Je défais mon chignon, je déroule mes tresses, j’en mets un peu devant, le reste derrière. Que j’en étais vêtue jusque sur les fesses ! Le type, il fallait voir ! Il devient bleu, il prend une touffe et s’en frotte les mains ; une autre touffe : il s’y fourre le nez. Puis il s’en verse sur le corps, comme s’il nageait là-dedans.

« – Hum ! qu’il s’ébrouait, qu’ça sent bon ! Et puis qu’c’est doux ! Et puis qu’c’est chaud !…

« Moi, tu penses, je te laissais faire, je lorgnais le brillant. Je le guettais du coude. Je me disais :

« – Va, mon bonhomme. Tantôt, quand tu m’appelleras au pieu…

« Ah bien, ouiche ! Il se baignait toujours et voilà que, tout à coup, à s’ébrouer, il retrouve son angliche. Il se met à crier : « My sweet ! my little ! », puis à flageoler des jambes, puis à tourner de l’œil comme ils font tous, quoi ? Je sais bien, les hommes c’est des salauds ; mais, je pouvait-y penser qu’il en avait à mes cheveux ?

« Après, il reste là, tout maigre, avec des yeux d’idiot. Je suis encore bonne. Je lui dis :

« – T’es fatigué. Assieds-toi et passe-moi mes shellings.

« – Quels shellings ?

« – Les dix, que je dis : ceux du coiffeur.

« – Quel coiffeur ?

« Il jouait la bête, tu comprends ? J’avais pas la patience, et puis je n’allais pas lui donner le plaisir de me recoiffer devant cet homme ! Alors, v’lan, ce qu’avec des ciseaux je lui ai laissé pour compte cette perruque !

– Et la bague, Zonzon ?

– En les coupant, mes cheveux étaient tombés dessus. Et moi, des cheveux qui ne sont plus sur ma tête, je ne touche pas ça.

Share on Twitter Share on Facebook