XXIII LA LAMPE

Ce fut pas trop bête : l’affaire avait marché si bien : de vraiment jolies choses qu’elle avait, cette vieille, dans son échoppe. Elles étaient empaquetées, ils allaient partir. Qu’avait-elle besoin de se montrer au fond du vestibule et encore bien avec une lampe ? Elle connaissait Valère et Zonzon, elle allait gueuler, il fallut en finir.

Ils avaient combiné la chose entre eux, sans les autres. Ils en étaient aux débuts de leur amour : aux roucoulades.

– Vas-y, dit Zonzon.

Valère y alla. Il n’avait encore que volé ; pour le reste, il manquait d’expérience. Il oublia qu’il portait un couteau : avec ses mains il visa la vieille et la prit par le cou. Il appuya des pouces, il crut que cela suffirait ; et pas du tout : elle abandonna la lampe ; elle se mit à gargouiller : « gueur… gueur » comme si elle avait de l’eau plein la gorge, puis à frapper des pieds, puis à griffer avec les ongles. Il dut y mettre ses dix doigts et après ne pas la lâcher encore.

Il n’avait pas beaucoup de force, d’ailleurs il était timide. Il se mit à la secouer, comme un arbre pour en faire tomber des pommes. Ensuite il songea :

– Si que je l’asseyais, j’aurais plus facile.

Mais il ne le fit pas : il dut continuer à serrer.

Lui occupé en haut, Zonzon la travaillait par en bas.

– Hardi ! qu’elle faisait.

Sa brave môme ! Il n’avait jamais réfléchi que ce fut si gros un cou de femme. Avec ses lèvres, quand on l’embrasse, on en fait bien vite le tour, mais les doigts ! Ses dix y suffisaient mal. Encore, devait-il les écarter bien fort. Il sentait en dessous quelque chose de dur remonter et descendre : le larynx ou le pharynx, il ne le savait pas. Cela lui rappela qu’il avait fait ses études chez les R.P. Jésuites : ces cagots auraient mieux fait de lui enseigner comment c’est fait le corps d’un homme… ou d’une vieille, au moins on sait sur quoi l’on pousse. Il était alors un petit bougre, pas trop fort et déjà stupidement timide : un jour il avait eu peur de tuer une grenouille ; le brave homme d’oncle, son tuteur, lui tapotait la joue :

– Ah Valère, mon fieu, tu feras plus tard un bon prêtre.

Et voilà, il tenait par le cou, le corps d’une vieille femme.

Elle gigotait toujours. Il aurait bien voulu lui dire :

– Madame, si cela ne vous dérange, dépêchez-vous un peu.

Il ne lui en voulait pas. Quand même il aurait préféré s’occuper de Zonzon, dont il devinait, près de lui, le bon fessard.

– Ça dure, fit-il.

Zonzon se mit debout. Elle tenait la lampe. Il vit ainsi tout contre le sien le visage de la vieille : elle s’était coiffée pour la nuit en papillottes. Quelle idée, quand on a les cheveux si blancs ! Il en vit un tout noir. Il pensa :

– Dire qu’ils ont été tous comme cela.

Tant pis. Ses doigts ne suffisant pas, il donna du genou, dans le ventre. Il fallait en finir. Elle se mit à regarder avec de grands yeux qui lui sortaient de la tête ; sa langue aussi sortait, sa figure était toute bleue : il lui vint sur le front de rosses veines comme si, vraiment, elle souffrait d’une migraine.

…Et tout à coup, elle devint très pesante.

– Ça y est, fit Zonzon.

En effet, ça y était. Les bras ballottaient comme des manches. Doucement par où il la tenait, il la laissa aller, sur le dos, jusqu’à terre. Il n’aurait pas su dire pourquoi ces précautions. Par malheur, il lâcha trop vite, la tête sonna :

– Plouf !

Alors il regarda : ça restait là ; elle avait une petite jupe, plus de seins sous la chemise, des jambes sans bas, avec du noir aux orteils. Elle tirait toujours la langue. Voilà ce qu’il avait fait !

Quand on est gosse, les Jésuites vous expliquent que, devant son premier cadavre, on sent, dans son âme, quelque chose avec des dents qui la rongent : le remords, comme ils disent. C’est à voir. Il était un fieu timide à ne pas tuer une grenouille ; il aurait fait un bon petit curé ; son brave oncle en rêvait, mais il faut ajouter que la vieille avait un cou en bois. Alors il regarda Zonzon et secoua les doigts.

– Zonzon, fit-il, je crois que j’ai la crampe.

– Ça passera, dit Zonzon.

Elle l’embrassa. Ils décampèrent. Il avait d’abord étouffé la lampe – simplement comme la vieille.

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