Votre domestique entre tout effaré. « Monsieur, voici deux dames, l’une est comtesse, l’autre est marquise ; elles veulent vous parler.
– Sont-elles jeunes ?
– Assez.
– Jolies ?
– Oui, Monsieur.
– Faites entrer. »
Votre visage prend un air agréable, vous vous regardez dans la glace, vous passez vos doigts dans vos cheveux en ramenant quelques boucles sur les tempes, enfin vous avez pris une attitude… cette certaine attitude, vous savez ?…
Malheureux, vous vous bercez d’idées légères, vous ne pensez pas à l’argent, à l’argent monnayé, à ces pièces rondes affligées de tant de maladies : les budgets, les amis, le jeu, les contributions ; non, vous n’y pensez pas.
Elles sont entrées, elles sont jeunes, elles sont belles, nobles, charmantes ; il y a plus, leur chaussure mignonne est sèche. Tout à coup votre figure est devenue froide ; vous affectez la sévérité, le mécontentement, vous n’osez plus regarder ces dames.
Ah ! vous avez vu la bourse en velours rouge à glands d’or, et vous entendez cette phrase connue depuis dix ans :
« Monsieur, votre humanité, votre bienfaisance nous font espérer que notre visite, en faveur des petits séminaires, ne sera pas infructueuse… »
Ces dames vous tendent la bourse, terrible argument ad hominem. À travers leur ton suppliant, elles vous laissent apercevoir qu’elles sont habituées à commander.
Il y en a qui se rejettent sur ce que le clergé est devenu riche, qu’ils sont eux-mêmes pauvres… Mauvais moyen !
Des catholiques osent se dire protestants, et cela pour gagner cent sous ! Le mensonge à si bon compte est plus qu’un péché.
Après avoir consulté plusieurs casuistes, nous nous sommes assurés que la phrase que nous allons transcrire ne renferme rien de blâmable ; elle est le port où se réfugie nombre d’honnêtes gens ; elle empêche les charitables dames de revenir.
Sans aucun étonnement l’on répond : « Mesdames, je suis flatté qu’un motif si honorable me procure la faveur de vous saluer ; mais je suis d’une communion différente, et vous sentez que nous avons nos pauvres. »
COMMUNION
Ce mot, communion, signifie diocèse, paroisse, réunion de fidèles, comme il signifie la confession d’Augsbourg, le protestantisme, etc.
Cette décision ayant été donnée par de respectables jésuites, qui pensent que l’on peut faire, pour plus de sûreté, une petite restriction mentale, on peut la suivre ; elle tire d’affaire avec honneur, surtout si l’on met une grande politesse avec les deux dames.