Livre second Des contributions volontaires forcées levées par les gens du monde dans les salons

Les classes honnêtes se courrouceront peut-être de se voir opposées aux industriels qui figurent dans le livre premier. Ô crime abominable ! les faire contraster ainsi, se servir d’elles comme de nuances pour s’élever de la canaille aux grands voleurs des livres III et IV ! C’est un tort impardonnable ! Mais ne faut-il pas que tout le monde soit passé en revue ? Et puisque les rois absolus et leurs emprunts, les gouvernements constitutionnels et leurs dettes inextinguibles seront examinés comme au jour du jugement dernier, nous ne voyons pas pourquoi les gens comme il faut ne seraient pas traduits aux yeux de l’opinion.

Ce livre est donc consacré tout entier à ces industries de bon ton qui, fort en usage parmi le beau monde, n’en sont pas moins traîtresses à la bourse. Ces jolies manières de vous prendre votre argent, toutes gracieuses, toutes gentilles et loyales qu’elles puissent être, n’en deviennent pas moins mille fois plus dangereuses pour votre patrimoine que les manœuvres infâmes contenues au livre premier. Que l’on vous tue d’un coup de bâton ignoble, ou par un dégagé en tierce, bien civil, bien poli, vous n’êtes pas moins mort !

Il est tellement difficile de classer ces impôts indirects, levés par les gens de la bonne compagnie, que nous les avons exposés sans aucune nomenclature. En effet, cette volerie de bon ton est indéfinissable ; c’est un fluide qui échappe à l’analyse.

Est-ce une mauvaise action ? non ; est-ce une escroquerie ? non, encore moins un vol ; mais est-ce parfaitement loyal… Chaque sommation que l’on vous adresse est bien, comme tout ce qui se fait en France, appuyée par tout ce que l’esprit, la politesse et l’humanité ont de plus séducteur ; sans cela elle serait ridicule, et le ridicule est tout ce que nous craignons ; mais l’appel fait à votre bourse a toujours une tournure telle, que la conscience violentée murmure en souriant. Enfin cette industrie, si difficile à classer et à définir, se trouve si bien sur la limite qui sépare le juste de l’injuste, que les casuistes les plus habiles ne peuvent la ranger ni d’un côté ni de l’autre.

En plaçant ces métis dans le livre II, nous les avons mis entre les grandes industries et les petits voleurs ; c’est comme un terrain neutre qui convient à ces personnes honorables, et cette classification est un véritable hommage rendu aux mœurs françaises et à la supériorité de la bonne compagnie.

Un honnête homme doit d’autant plus se tenir sur ses gardes que les caméléons dont nous essaierons de saisir les couleurs et les formes, se présentent sous les jours les plus favorables. Ce sont des amis, des parents, et même, ce qui est sacré à Paris, des connaissances. Acteurs dans ces petits drames, ils frappent droit au cœur, émeuvent la sensibilité, les sens, placent l’amour-propre en de cruelles perplexités, et finissent toujours par vaincre les résolutions les plus héroïques.

Pour vous mettre à l’abri de cette pluie de demandes légitimes, souvenez-vous perpétuellement que l’égoïsme est devenu une passion, une vertu chez les hommes ; que peu d’âmes en sont exemptes et qu’il y a cent à parier contre un que vous êtes victimes, vous et votre bourse, de ces belles inventions, de ces enthousiasmes de générosité, de ces complots honnêtes auxquels on n’est que trop enclin à payer tribut.

Rappelez-vous toujours ce mot énergique de je ne sais quel homme bien pensant : « Mon ami, il n’y a pas d’amis. »

Ici nous n’avons pas de type à offrir ; chaque paragraphe sera un portrait ressemblant, une physionomie nouvelle, et le lecteur pourra y reconnaître bon nombre des misères quotidiennes de la vie.

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