6 Des maisons de jeux

À Paris, dans cette capitale du monde civilisé, dans ce centre de sociabilité, de commerce, d’industrie, au sein de cette ville qu’un orateur de la révolution, Anacharcis Clootz, appelait le chef-lieu du globe, il existe des maisons où l’usure et le vol sont autorisés ; où la ruine, le désespoir, le suicide sont affermés, et rapportent au gouvernement des sommes immenses que l’on peut appeler le prix du sang.

En entrant dans une maison de jeux, on laisse l’honneur à la porte, heureux quand on le reprend en sortant. Autour d’une longue table on voit une foule d’êtres à la mine hâve, décharnée, semblables aux ombres du Dante, le cou tendu, la figure inquiète, les yeux fixés sur un tapis, des numéros, des cartes auxquels ils confient leur fortune. L’argent que l’on jette sur cette table fatale perd en y tombant le dixième de sa valeur ; les chances sont combinées de telle sorte que le fermier des jeux doit toujours gagner. Ce gain assuré, cette chance inégale caractérisent un vol ; et ce droit de vol, le fermier des jeux l’acheta dix millions : pour dix millions il peut impunément dépouiller l’homme sans défiance, corrompre le jeune inexpérimenté, plonger dans le vice et le crime l’imprudent que séduit un appât trompeur.

Mais la ferme des jeux ne se contente pas de vous enlever tout ce que vous possédez d’argent : elle vous provoque, vous sollicite. Un mont-de-piété clandestin, un bureau de prêt usuraire est établi dans chaque maison de jeux. Là, sur un bijou, une montre, une épingle, on vous prête de l’or, et cet or est bientôt englouti.

Et que l’on se persuade bien que jamais personne n’a gagné dans ces infâmes maisons ; si la fortune sourit un instant au joueur, bientôt elle lui devient contraire, et toujours la plus funeste des passions entraîne la ruine complète de celui qui en est possédé.

Depuis dix années, à chaque session législative, d’énergiques réclamations s’élèvent contre l’immoralité de ce revenu flétrissant du fisc. Les maisons de jeux continuent cependant d’être ouvertes ; un nouveau bail vient d’être conclu avec la ferme pour cinq années. Un ministère qui s’arme pour la religion et la morale, un ministère qui fait des lois sur le sacrilège, et qui rallonge les robes des danseuses de l’Opéra, devrait ouvrir l’oreille aux cris des malheureux que les maisons de jeux ont perdus, et à la voix patriotique des législateurs qui veulent mettre un terme à un scandale qui déshonore la nation.

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