XIII.

La femme d’un artiste est toujours une femme honnête.

En appliquant ces principes, un homme du département de l’Ardèche peut résoudre toutes les difficultés qui se présenteront dans cette matière.

Pour qu’une femme ne fasse pas elle-même sa cuisine, ait reçu une brillante éducation, ait le sentiment de la coquetterie, ait le droit de passer des heures entières dans un boudoir, couchée sur un divan, et vive de la vie de l’âme, il lui faut au moins un revenu de six mille francs en province ou de vingt mille livres à Paris. Ces deux termes de fortune vont nous indiquer le nombre présumé des femmes honnêtes qui se trouvent dans le million, produit brut de notre statistique.

Or, trois cent mille rentiers à quinze cents francs représentent la somme totale des pensions, des intérêts viagers et perpétuels, payés par le Trésor, et celle des rentes hypothécaires ;

Trois cent mille propriétaires jouissant de trois mille cinq cents francs de revenu foncier représentent toute la fortune territoriale ;

Deux cent mille parties prenantes, à raison de quinze cents francs, représentent le partage du budget de l’État et celui des budgets municipaux ou départementaux ; soustraction faite de la dette, des fonds du clergé, de la somme des héros à cinq sous par jour et des sommes allouées à leur linge, à l’armement, aux vivres, aux habillements, etc. ;

Deux cent mille fortunes commerciales, à raison de vingt mille francs de capital, représentent tous les établissements industriels possibles de la France ;

Voilà bien un million de maris.

Mais combien compterons-nous de rentiers à dix, à cinquante, cent, deux, trois, quatre, cinq et six cents francs seulement de rente inscrits sur le Grand livre et ailleurs ?

Combien y a-t-il de propriétaires qui ne paient pas plus de cent sous, vingts francs, cent, deux cents et deux cent quatre-vingts francs d’impôts ?

Combien supposerons-nous, parmi les budgétophages, de pauvres plumitifs qui n’ont que six cents francs d’appointements ?

Combien admettrons-nous de commerçants qui n’ont que des capitaux fictifs ; qui, riches de crédit, n’ont pas un sou vaillant et ressemblent à des cribles par où passe le Pactole ? et combien de négociants qui n’ont qu’un capital réel de mille, deux mille, quatre mille, cinq mille francs ? Ô Industrie !... salut.

Faisons plus d’heureux qu’il n’y en a peut-être, et partageons ce million en deux parties : cinq cent mille ménages auront de cent francs à trois mille francs de rente, et cinq cent mille femmes rempliront les conditions voulues pour être honnêtes.

D’après les observations qui terminent notre Méditation de statistique, nous sommes autorisé à retrancher de ce nombre cent mille unités : en conséquence, on peut regarder comme une proposition mathématiquement prouvée qu’il n’existe en France que quatre cent mille femmes dont la possession puisse procurer aux hommes délicats les jouissances exquises et distinguées qu’ils recherchent en amour.

En effet, c’est ici le lieu de faire observer aux adeptes pour lesquels nous écrivons que l’amour ne se compose pas de quelques causeries solliciteuses, de quelques nuits de volupté, d’une caresse plus ou moins intelligente et d’une étincelle d’amour-propre baptisée du nom de jalousie. Nos quatre cent mille femmes ne sont pas de celles dont on puisse dire : « La plus belle fille du monde ne donne que ce qu’elle a. » Non, elles sont richement dotées des trésors qu’elles empruntent à nos ardentes imaginations, elles savent vendre cher ce qu’elles n’ont pas, pour compenser la vulgarité de ce qu’elles donnent.

Est-ce en baisant le gant d’une grisette que vous ressentirez plus de plaisir qu’à épuiser cette volupté de cinq minutes que vous offrent toutes les femmes ?

Est-ce la conversation d’une marchande qui vous fera espérer des jouissances infinies ?

Entre vous et une femme au-dessous de vous, les délices de l’amour-propre sont pour elle. Vous n’êtes pas dans le secret du bonheur que vous donnez.

Entre vous et une femme au-dessus de vous par sa fortune ou sa position sociale, les chatouillements de vanité sont immenses et sont partagés. Un homme n’a jamais pu élever sa maîtresse jusqu’à lui, mais une femme place toujours son amant aussi haut qu’elle. — « Je puis faire des princes, et vous ne ferez jamais que des bâtards ! » est une réponse étincelante de vérité.

Si l’amour est la première des passions, c’est qu’elle les flatte toutes ensemble. On aime en raison du plus ou du moins de cordes que les doigts de notre belle maîtresse attaquent dans notre cœur.

Biren, fils d’un orfévre, montant dans le lit de la duchesse de Courlande et l’aidant à lui signer la promesse d’être proclamé souverain du pays, comme il était celui de la jeune et jolie souveraine, est le type du bonheur que doivent donner nos quatre cent mille femmes à leurs amants.

Pour avoir le droit de se faire un plancher de toutes les têtes qui se pressent dans un salon, il faut être l’amant d’une de ces femmes d’élite. Or nous aimons tous à trôner plus ou moins.

Aussi est-ce sur cette brillante partie de la nation que sont dirigées toutes les attaques des hommes auxquels l’éducation, le talent ou l’esprit ont acquis le droit d’être comptés pour quelque chose dans cette fortune humaine dont s’enorgueillissent les peuples ; et c’est dans cette classe de femmes seulement que se trouve celle dont le cœur sera défendu à outrance par notre mari.

Que les considérations auxquelles donne lieu notre aristocratie féminine s’appliquent ou non aux autres classes sociales, qu’importe ? Ce qui sera vrai de ces femmes si recherchées dans leurs manières, dans leur langage, dans leurs pensées ; chez lesquelles une éducation privilégiée a développé le goût des arts, la faculté de sentir, de comparer, de réfléchir ; qui ont un sentiment si élevé des convenances et de la politesse, et qui commandent aux mœurs en France, doit être applicable aux femmes de toutes les nations et de toutes les espèces. L’homme supérieur à qui ce livre est dédié possède nécessairement une certaine optique de pensée qui lui permet de suivre les dégradations de la lumière dans chaque classe et de saisir le point de civilisation auquel telle observation est encore vraie.

N’est-il donc pas d’un haut intérêt pour la morale de rechercher maintenant le nombre de femmes vertueuses qui peut se trouver parmi ces adorables créatures ? N’y a-t-il pas là une question marito-nationale ?

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