XVII.

La vertu n’est peut-être que la politesse de l’âme.

L’amour physique est un besoin semblable à la faim, à cela près que l’homme mange toujours, et qu’en amour son appétit n’est pas aussi soutenu ni aussi régulier qu’en fait de table.

Un morceau de pain bis et une cruchée d’eau font raison de la faim de tous les hommes ; mais notre civilisation a créé la gastronomie.

L’amour a son morceau de pain, mais il a aussi cet art d’aimer, que nous appelons la coquetterie, mot charmant qui n’existe qu’en France, où cette science est née.

Eh ! bien, n’y a-t-il pas de quoi faire frémir tous les maris s’ils viennent à penser que l’homme est tellement possédé du besoin inné de changer ses mets, qu’en quelque pays sauvage où les voyageurs aient abordé, ils ont trouvé des boissons spiritueuses et des ragoûts ?

Mais la faim n’est pas si violente que l’amour ; mais les caprices de l’âme sont bien plus nombreux, plus agaçants, plus recherchés dans leur furie que les caprices de la gastronomie ; mais tout ce que les poètes et les événements nous ont révélé de l’amour humain arme nos célibataires d’une puissance terrible : ils sont les lions de l’Évangile cherchant des proies à dévorer.

Ici, que chacun interroge sa conscience, évoque ses souvenirs, et se demande s’il a jamais rencontré d’homme qui s’en soit tenu à l’amour d’une seule femme !

Comment, hélas ! expliquer pour l’honneur de tous les peuples le problème résultant de trois millions de passions brûlantes qui ne trouve pour pâture que quatre cent mille femmes ?... Veut-on distribuer quatre célibataires par femme, et reconnaître que les femmes honnêtes pourraient fort bien avoir établi, par instinct, et sans le savoir, une espèce de roulement entre elles et les célibataires semblable à celui qu’ont inventé les présidents de cours royales pour faire passer leurs conseillers dans chaque chambre les uns après les autres au bout d’un certain nombre d’années ?...

Triste manière d’éclaircir la difficulté !

Veut-on même conjecturer que certaines femmes honnêtes agissent, dans le partage des célibataires, comme le lion de la fable ?... Quoi ! une moitié au moins de nos autels serait des sépulcres blanchis !...

Pour l’honneur des dames françaises, veut-on supposer qu’en temps de paix les autres pays nous importent une certaine quantité de leurs femmes honnêtes, principalement l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie ?... Mais les nations européennes prétendront établir une balance en objectant que la France exporte une certaine quantité de jolies femmes.

La morale, la religion souffrent tant à de pareils calculs, qu’un honnête homme, dans son désir d’innocenter les femmes mariées, trouverait quelque agrément à croire que les douairières et les jeunes personnes sont pour moitié dans cette corruption générale, ou mieux encore, que les célibataires mentent.

Mais que calculons-nous ? Songez à nos maris qui, à la honte des mœurs, se conduisent presque tous comme des célibataires, et font gloire, in petto, de leurs aventures secrètes.

Oh ! alors, nous croyons que tout homme marié, s’il tient un peu à sa femme à l’endroit de l’honneur, dirait le vieux Corneille, peut chercher une corde et un clou : fœnum habet in cornu.

C’est cependant au sein de ces quatre cent mille femmes honnêtes qu’il faut, lanterne en main, chercher le nombre des femmes vertueuses de France !... En effet, par notre statistique conjugale, nous n’avons retranché que des créatures de qui la société ne s’occupe réellement pas. N’est-il pas vrai qu’en France les honnêtes gens, les gens comme il faut, forment à peine le total de trois millions d’individus ; à savoir : notre million de célibataires, cinq cent mille femmes honnêtes, cinq cent mille maris, et un million de douairières, d’enfants et de jeunes filles.

Étonnez-vous donc maintenant du fameux vers de Boileau ! Ce vers annonce que le poète avait habilement approfondi les réflexions mathématiquement développées à vos yeux dans ces affligeantes Méditations, et qu’il n’est pas une hyperbole.

Cependant il existe des femmes vertueuses :

Oui, celles qui n’ont jamais été tentées et celles qui meurent à leurs premières couches, en supposant que leurs maris les aient épousées vierges.

Oui, celles qui sont laides comme la Kaïfakatadary des Mille et une Nuits.

Oui, celles que Mirabeau appelle les fées concombres, et qui sont composées d’atomes exactement semblables à ceux des racines de fraisier et de nénuphar ; cependant, ne nous y fions pas !...

Puis, avouons, à l’avantage du siècle, que, depuis la restauration de la morale et de la religion, et, par le temps qui court, on rencontre éparses quelques femmes si morales, si religieuses, si attachées à leurs devoirs, si droites, si compassées, si roides, si vertueuses, si... que le Diable n’ose seulement pas les regarder ; elles sont flanquées de rosaires, d’heures et de directeurs... Chut !

Nous n’essaierons pas de compter des femmes vertueuses par bêtise, il est reconnu qu’en amour toutes les femmes ont de l’esprit.

Enfin, il ne serait cependant pas impossible qu’il y eût, dans quelque coin, des femmes jeunes, jolies et vertueuses de qui le monde ne se doute pas.

Mais ne donnez pas le nom de femme vertueuse à celle qui, combattant une passion involontaire, n’a rien accordé à un amant qu’elle est au désespoir d’idolâtrer. C’est la plus sanglante injure qui puisse être faite à un mari amoureux. Que lui reste-t-il de sa femme ? Une chose sans nom, un cadavre animé. Au sein des plaisirs, sa femme demeure comme ce convive averti par Borgia, au milieu du festin, que certains mets sont empoisonnés : il n’a plus faim, mange du bout des dents, ou feint de manger. Il regrette le repas qu’il a laissé pour celui du terrible cardinal, et soupire après le moment où, la fête étant finie, il pourra se lever de table.

Quel est le résultat de ces réflexions sur la vertu féminine ? Le voici ; mais les deux dernières maximes nous ont été données par un philosophe éclectique du dix-huitième siècle.

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