XIII Rencontre

La forêt commençait à peu de distance et emplissait tout l’horizon. Elle couvrait les collines et les combes, jusqu’au tertre lointain, dominateur, planté d’antiques futaies, et d’où coulaient sur la plaine le souffle du vent de mer et la lumière du couchant. Le soleil descendait vite. Il était plus bas que les branches, et la colonnade des vieux troncs de chênes en était empourprée. Minute admirable, illumination des racines, des mousses, des framboisiers groupés dans les clairières, provision de vie apportée aux demeures basses tant opprimées par l’ombre. En deçà des bois, de la lisière au village, il y avait une plaine, partie en chaumes, partie en champs de pommes de terre, et en bandes de maïs qui ne levaient pas bien haut leurs tiges couronnées de petites houppes, et il y avait aussi une route, toute droite, coupant ces cultures. Par là, pendant l’hiver, descendaient les charrettes chargées de troncs d’arbres qui pliaient de la pointe, et écrivaient sur la poussière. En ces mois de grand été, la moisson étant presque faite, on ne voyait personne, sur le long ruban, qui était pâle entre les terres violettes. Deux femmes, cependant, à la fenêtre d’une chambre, au-dessus du « café des Bûcherons », regardaient mourir le soleil, et guettaient l’apparition de l’homme qui devait venir.

Il avait dit à l’hôtesse le samedi précédent : « À samedi, la mère ! Tenez prêtes mes deux chemises, et une livre de lard. » Et à cause de ces mots-là, Phrosine et Davidée attendaient, et elles avaient le cœur troublé. Depuis un quart d’heure elles guettaient le soleil à mourir, et la silhouette d’un bûcheron à descendre la pente très douce. Il serait d’abord tout menu, sur la poussière, puis il approcherait, il grandirait, on verrait ce visage qu’on n’avait plus revu depuis tant d’années, et il faudrait que l’homme parlât, qu’il dît son secret d’où l’avenir dépendait.

– Vous le laisserez s’attabler, disait Phrosine. Quand il aura commandé une bouteille et commencé de boire, il ne fera pas, aux gens d’ici, la malhonnêteté de s’en aller sans donner des raisons. C’est un homme dur, mais plutôt avec moi qu’avec les autres.

– Alors, je me montrerai la première ?

– Oui, dans l’escalier, là, vous apparaîtrez. Quand il entendra crier les marches, il croira que c’est moi, et il se lèvera à moitié. N’ayez pas peur de lui s’il a mauvaise figure : elle sera pour moi. ; elle ne sera pas pour vous. Il apercevra vos mains blanches, il pensera : « Ça n’est pas des mains de laveuse », et il sera gentil. Peut-être même que vous l’intimiderez.

– Mais quand je lui aurai dit que vous êtes là ?

Phrosine tressaillit, et, sans cesser de regarder au loin la route, dit :

– La colère le prendra, et tout sera peut-être perdu, pour jamais.

Elle était penchée, accoudée à l’appui de la fenêtre, et, derrière elle, Davidée se tenait debout. Le soleil était devenu rouge entre les chênes, et ses rayons, qui ne touchaient plus la plaine, rassemblaient des nuages au-dessus de la forêt.

– C’est le vent chaud pour demain, dit Phrosine. Ils auront du mal, ceux qui couperont les derniers froments.

Elle se tut quelque temps.

– S’il ne venait pas ? J’ai déjà les yeux las, comme si j’avais cousu tout un jour.

– Ne regardez pas le ciel qui est rouge. Restez dans la chambre. Je vous préviendrai.

– Non : il faut que je voie mon sort dès qu’il se montrera… Ne voyez-vous pas quelque chose, à l’entrée de la forêt, à droite ?

– C’est un buisson. La nuit change les formes.

– Je lui fais peur ! Moi qu’il avait recherchée !

L’ombre descendait, et multipliait les ressemblances entre les choses. Des voix appelaient, çà et là, et cherchaient les hommes à travers l’étendue ; au-dessus des maisons des fumées montaient, et c’était l’heure du souper. Les femmes se taisaient. Et voici qu’au-dessous d’elles, dans l’étroit chemin bordé d’une haie, une jeune fille apparut. D’où venait-elle ? Elle attendait, frémissante, grave, tournée aussi vers le soleil en fuite. Elle appuyait ses mains sur la barrière d’un champ. Bientôt, de l’autre côté de la haie, souple, un jeune homme arriva, enjambant les sillons, sans hâte. Il était flatté d’être attendu, et sa mince figure, déjà fanée, reflétait ce contentement. La jeune fille, en le voyant s’approcher, ferma à demi les yeux, comme si, pour elle seule, à cette heure, la lumière avait été trop vive. Une extrême douceur, qui était celle de son rêve, l’enveloppa toute, la fit sourire et la tint immobile. Quand il fut tout près, les deux mains virginales, les deux mains qui participaient au songe d’amour, et pensaient aux berceaux, se tendirent et s’ouvrirent au delà de la haie, comme deux lis dans l’ombre nouvelle. Lui, il n’y prit point garde ; il sauta la barrière, d’un geste passionné embrassa l’enfant, et quelques paroles mêlées, d’elle et de lui, défaillirent avant d’atteindre la fenêtre. Le murmure des voix monta seul, flotta, s’évanouit, et ils s’en allèrent du côté où la plaine n’a point de chemin. Phrosine les suivit d’un regard de colère.

– Oh ! dit-elle, elle est heureuse, la malheureuse !

Et presque aussitôt, Davidée vit une silhouette d’homme qui se dégageait du noir de la forêt et commençait à descendre.

– Quelqu’un vient sur la route.

L’autre ne répondit pas.

– Il marche vite. Il a un bâton sur l’épaule, et un petit paquet danse au bout d’un bâton… Il arrive près de la croix qui est plantée dans le maïs.

– Regardez ce qu’il fera : s’il la salue, ça n’est pas lui.

– Il passe devant… Il détourne la tête… Il a passé… Il la lève à présent vers le café des Bûcherons.

– C’est lui. Retirez-vous : l’heure est venue.

Phrosine qui avait déjà reculé, dans le sombre de la pièce, et Davidée qui s’était effacée, à droite, à l’abri de la muraille, toutes deux continuèrent de regarder celui qui s’avançait dans le jour tombant, et, quand il fut trop près, elles écoutèrent le bruit régulier des pas, le bruit des gros souliers sur la pierre du seuil et celui du loquet de la porte d’en bas, qu’une main pesante et brusque faisait sauter dans la griffe de fer.

– Eh bien ! la mère, le linge est prêt ?

– Oui, monsieur Le Floch, bien sûr, on n’a pas oublié.

– Servez-moi une bouteille de blanc, comme d’habitude. Il n’y a personne, au moins ?

– Vous voyez bien que vous êtes mon seul client.

Les femmes, dans l’ombre de la chambre du premier étage, ne bougeaient pas, de peur que les lames du plancher ne démentissent la patronne. Elles retenaient leur respiration. Et elles entendirent chacun des mouvements qui annonçaient que Le Floch s’apprivoisait et s’attablait. La femme débouchait la bouteille ; l’homme versait le vin dans le verre, et buvait, et le bruit du liquide dans sa gorge montait dans la maison tout entière attentive. Le verre était de nouveau posé sur sa table. Les deux manches du veston se reposaient sur le bois. Le Floch devait regarder le mur du fond de la salle, il respirait plusieurs fois, la bouche ouverte, soufflant la fatigue du jour et de la marche. La femme disait : « Vous permettez ? Il faut que je fasse mon ménage. » Un pas glissant égratignait le carreau. Une porte s’ouvrait et se fermait. La maison du café des Bûcherons semblait endormie pour la nuit.

Alors Davidée descendit. Les planches mal jointes craquèrent. De l’ombre de l’escalier, le bûcheron, à la lueur de la rampe pendue au milieu de la salle, vit sortir une jupe ornée de quelque broderie, et une main, petite et pâle, qui serrait la rampe. La jeune fille s’arrêta, le cœur battant, puis elle continua de descendre, toucha le sol de la pièce, et s’avança vers l’homme. Il suffisait qu’il fût étonné pour que la violence de son humeur accentuât et creusât son visage maigre et bilieux. Il ne ressemblait plus à un lion. Les traits étaient réguliers ; la barbe jaune, étroite, tombait sur la veste de velours usée ; les yeux, très bleus, très durs, nullement intimidés, demandaient : « Qui êtes-vous ? Pourquoi venez-vous droit à moi ? Est-ce que je vous ai fait tort ? Qu’avez-vous à me reprocher, vous qui n’avez pas peur de moi ? »

Davidée vint jusqu’auprès de la table, et dit, tandis que l’homme portait la main à son chapeau de feutre rond, couleur de feuille morte :

– Monsieur Le Floch, je suis une amie de votre femme.

Aussitôt la physionomie de l’homme devint hostile.

– Elle est donc ici ? Je m’en doutais !

– Elle m’envoie vers vous, et vous allez m’écouter, parce qu’elle vous pardonne tout, et que ce qu’elle vous demande est juste.

Ce brusque rappel des torts, cette invocation de la justice, et la jeunesse de celle qui disait ces mots-là, agirent sur l’esprit du bûcheron. Un mauvais rire tendit les lèvres, minces comme le pli d’un drap.

– Elle ne veut pas qu’on se remette ensemble, je suppose ?

– Non.

– Elle ne veut pas divorcer ?

– Non.

– Tant mieux, ça fait toujours des ennuis.

– Elle demande à connaître son fils.

– Ça, c’est autre chose : on peut causer.

– La voici, répondit Davidée, en s’effaçant.

Et l’homme devint tout blême, en apercevant celle qui avait souffert par lui. Elle riait à moitié, gauchement et contre sa pensée, mais pour qu’il n’eût pas peur d’elle, pour que, entre eux, la haine ne parlât pas la première. Puis elle était femme, et, malgré tout, elle se souvenait de l’avoir aimé. Elle avait, là-haut, dans l’ombre de la chambre, relevé et lissé les cheveux qui éclairaient sa figure encore jeune, hardie, inquiète, prête à changer de physionomie au moindre signe de l’homme. Timidement, au moins selon l’apparence, elle prit un escabeau, et s’assit dans l’allée que laissaient entre elles les deux rangées de tables du café.

– Il y en a des années qu’on ne s’est vus ! dit-elle.

Le bûcheron secoua la tête pour marquer qu’il ne fallait pas espérer l’attendrir.

– Sans doute, et après ?

– Il faut pourtant que je t’explique. Ma petite fille est morte…

– Ah ! tant pis !

– Notre petite fille : celle que tu ne connaissais pas. Elle est morte le cinq mai.

– Cette année ?

– Oui, il y a trois mois.

L’homme parut songer : « Où étais-je à ce moment-là ? » Il dit :

– Si je l’avais su, j’aurais envoyé une couronne. Mais quand on est séparé, comme nous !

– Sans doute.

– Tu es toujours servante à la maison d’école ? Je l’ai su par Flahaut, de l’Ardésie, et par le père Moine.

– Oui, ça ne donne pas de quoi vivre.

– Moi aussi, je suis pauvre. On était fait tous deux pour la misère.

– Peut-être. Mais je ne peux pas me consoler de mon enfant, si l’autre ne m’est pas rendu. Je n’ai pas toujours été une bonne femme : on est comme on peut, Henri. Ça n’est pas dans mes habitudes de faire des menteries, et tu le sais, et tu peux me reprocher des choses : mais j’ai toujours été une mère. Dis, Le Floch, où est-il, mon fils, que j’aille le chercher ?

L’homme, malgré son audace, n’était pas sûr de ses réponses quand on lui parlait du passé. Il avait eu ses torts, lui aussi. Mais ce fils vivant, ce fils qu’il avait encore sous sa dépendance, et dont il connaissait seul la retraite, voilà un sujet qui l’embarrassait moins.

– Je te vois venir, Phrosine : tu veux profiter des gages du garçon ?

Elle dit non, en haussant les épaules.

– Il gagne gros, en effet. Mais ça ne sera pas pour toi.

– Je ne veux que lui. Son argent, il le gardera si ça lui plaît.

– Bah ! on ne me trompe pas. Moi, j’ai eu du mal à le retirer de l’Assistance publique. Ils ne voulaient pas me le rendre, justement parce qu’il est grand, qu’il promet, et que j’ai l’air d’un homme, paraît-il, qui sait les devoirs des enfants envers leurs parents. Il en a fallu des visites, et des menaces, pour qu’ils le lâchent !

Le rire impudent du bûcheron sonna entre les murs de la salle.

– Pendant la première année, il a été raisonnable, le garçon ; il a aidé son père à vivre. Mais, à présent, il s’est ravisé. Il ne donne plus rien. C’est à croire qu’il est bâtard : l’argent lui tient aux mains.

– Çà ne te ressemble guère, en effet.

L’homme secoua la tête, et, dans le pli des lèvres qui s’allongèrent, la haine mit sa grimace.

– Tu voudrais me rouler, Phrosine, mais tu n’auras pas ce que je n’ai pas pu avoir. Je ne te dirai pas où il est.

– Et si je le trouve ?

– Je t’empêcherai de l’emmener. Y a des gendarmes ! Tu serais trop contente, tu me trouverais trop bête ! Je dis non !

– Je te supplie, Le Floch !

– Avec moi ça ne prend pas les prières, tu le sais bien.

Elle allait se jeter à ses pieds.

– Dites oui, monsieur Le Floch, dit Davidée, en se levant de l’ombre de l’escalier : nommez la ferme où est l’enfant, écrivez, sur une page de mon carnet, que Phrosine est sa vraie mère, et moi, pour vous remercier, je vous ferai cadeau de ceci.

Au bout de ses doigts, elle tenait un billet de cent francs, qu’elle posa sur la table.

– Mâtin, dit l’homme, tu as des amies riches, Phrosine !

Il déplia le billet, cilla les paupières trois ou quatre fois, peut-être pour saluer quatre rêves qui passaient devant lui, puis il dit :

– Donnez-moi une plume. Mais je vous préviens que vous n’aurez rien de lui. Vous faites un mauvais marché, les femmes. Il a de la volonté !

Davidée ouvrit le carnet vert, déchira une page, tendit son crayon au bûcheron, et Phrosine, haletante, stupéfaite, suivait le mouvement de la lourde main qui écrivait : « Maurice, valet de ferme à La Planche, ici près, la femme qui te remettra cette lettre est ta mère, Phrosine. On ne s’est pas entendu ensemble. Mais elle est ta mère, tu peux lui obéir si tu veux. Ton père : LE FLOCH. »

Ce fut Davidée qui prit la feuille écrite, et la serra dans le carnet d’où elle l’avait détachée. Pendant une minute, on n’entendit plus un seul mot dans la salle, où la destinée de plusieurs êtres venait d’être marchandée et payée. La lampe, encore balancée au bout de sa chaîne, promenait sur les tables son gros rond de lumière. Le Floch, le premier, retrouva la pleine liberté de son esprit.

– Faut pas que je m’attarde, dit-il, tourné vers Phrosine. Il y en a une qui serait jalouse !

Une cruauté singulière fit flamber, d’un feu roux, ses yeux bleus. Il sentait qu’il venait d’aliéner son fils. Il se vengeait.

– Elle ne veut pas que son homme passe la nuit à l’auberge… C’est drôle, Phrosine : elle a des cheveux couleur des tiens, couleur du renard.

Elle se redressa :

– Couleur de loup.

– Si tu veux.

– Elle n’est peut-être pas aussi belle que moi, la garce : il y a des chances !

Elle disait cela, insolemment, les bras croisés, et belle, en effet, d’une beauté près de mourir, rajeunie par l’émotion. L’homme l’étudia, et ce ne fut pas sans complaisance. Il dut se rappeler la fiancée, la mariée, les jours d’amour où les voisins surnommaient Phrosine « la belle louve », mais il se leva, ricanant, et dit :

– Elle est plus jeune !

Et ce fut fini entre eux.

Phrosine se recula. « Tu es le même, murmura-t-elle, tu ne changes pas. » Mais elle ne disait point cela trop haut, de peur que l’homme ne se repentît d’avoir signé la feuille. Lui, il se versait un second verre, le buvait d’un trait après avoir dit, comme il convient, en regardant Davidée : « À la vôtre ! » Puis il appelait la cabaretière.

– Donnez les hardes lavées, la mère ?

– Voilà.

Il dénoua le mouchoir attaché au bout du bâton, mit le linge propre à la place de l’autre, et, saluant Davidée, de la main portée au front, sans regarder sa femme mais la voyant dans chaque goutte de son sang, il se dirigea vers l’entrée.

Là, ayant déjà ouvert à demi la porte, et tandis que le vent de la nuit soufflait jusqu’au fond de la salle, il dit, d’une voix âpre, qui cachait son émotion :

– À présent, je rentre en forêt. On n’entendra plus souvent parler de moi.

Il s’éloigna. Le bruit de son pas vint frapper aux vitres, de plus en plus faible, comme un doigt dont la force s’épuise. Et la grande nuit roula sur le village et sur les champs sa marée silencieuse de ténèbres et de vent. Davidée dormit à peine. Elle pensait : « Aucune misère morale ne m’a tant émue, et la cause m’en apparaît. Le corps d’un jeune homme, le corps d’une jeune fille ont été attirés l’un vers l’autre. Ils ont appelé cet attrait : amour, et ce que cela a duré : mariage. D’autres tentations sont venues, hommes, femmes, colères, paresse, gêne, et il n’y avait pas d’âme pour résister. Quelle fin de ce qui devait être éternel ! »

Au petit jour, les deux femmes, qui avaient quitté le bourg encore endormi, marchaient sur la route qui s’enfonce, à l’Est, évitant la forêt, tournant un peu çà et là, autour des coteaux un peu rudes, et reprenant sa direction, comme une boussole troublée. Elles se disaient l’une à l’autre : « Qui parlera ? Nous sommes, vous et moi, tout inconnues et égales pour lui. Et lequel vaudra le mieux : le demander d’abord à ceux de la ferme de La Planche ; ou bien le prendre à l’écart, tandis qu’il sera au travail ? »

– Pourvu que le père n’ait pas menti !

– Je ne crois pas.

– Vous ne savez pas toute sa méchanceté, pas plus que vous ne connaissez la mienne.

– Pourquoi dites-vous cela ?

– Oh ! ma pauvre fille ! il y a du mauvais monde par le monde. Et nous en sommes, lui et moi. Ils m’appelaient la louve : ils avaient raison.

– Le soleil se lève. Le voici qui touche la pointe des saules : la journée de travail est commencée. Faut-il tourner ici ?

– Oui, la femme de l’auberge a dit : « Quand vous verrez des grands prés avec des grands arbres, laissez la route, et suivez une charroyère qui monte vers l’étang de La Planche. »

Elles suivirent le chemin où les ornières d’hiver avaient durci, germé des graines et porté des épis de plus d’une sorte. Les champs étaient plus pauvres que tout à l’heure ; ils formaient vers la gauche une vallée allongée, à peine déprimée en son milieu, et que deux éperons de la forêt enveloppaient et dessinaient. Presque tous, ils avaient la couleur des chaumes de froment ou d’avoine. Quelques-uns n’étaient point encore moissonnés. Sur les pentes claires et pareilles à une piste de sable dans un cirque ovale, ils faisaient des taches rousses. Malgré l’heure matinale, l’air commençait à danser sur la vallée. La campagne avait une odeur de paille fraîche et de prune. Quand elles se furent avancées d’un millier de mètres dans la charroyère, Phrosine et Davidée découvrirent qu’une chaussée couverte de buissons barrait la plaine, qu’il y avait au delà un étang frangé tout autour de roseaux, et, près de l’étang, à la hauteur où les eaux d’hiver n’atteignent pas, une ferme, habitation, étables, granges, bergeries disposées en carré.

– C’est La Planche, dit Davidée.

Et, mettant une main devant le bord de son chapeau qui ne la garantissait pas assez du soleil, l’adjointe chercha ce qui vivait et se mouvait, hommes ou bêtes, dans ce long paysage. Phrosine, abattue, muette, tout enfermée dans ses souvenirs de la veille, ou du passé plus ancien, ou dans la peur de ce que les minutes à présent toutes prochaines ajouteraient à sa destinée, se laissait mener.

– Je vois, reprit l’adjointe, tout à l’extrémité de la plaine, dans le liseré d’ombre de la forêt, un troupeau de moutons que le berger précède. Je vois, sur l’autre rive de l’étang, à mi-pente, deux faucheurs de blé, courbés, l’un au début d’une planche, l’autre plus loin dans les épis. À qui aller ?

Phrosine répondit :

– Au plus voisin.

Elles s’approchèrent donc, traversant la chaussée de l’étang, et elles se tinrent immobiles, à l’entrée de la moisson demi-abattue et demi-survivante. Le faucheur de blé qui arrivait le premier, le corps balancé en mesure et entraîné par la faux, vêtu d’une chemise déboutonnée et d’un pantalon que deux ficelles en croix attachaient aux épaules, était un tout jeune homme, solide, rude, – on le devinait à la vigueur de son geste, – qui ne ralentissait point son effort parce que deux passantes s’arrêtaient et semblaient attendre à l’extrémité de la planche de froment. Des promeneuses ? Des bourgeoises qui demanderaient la route de la fontaine, ou celle du village, ou qui s’informeraient d’une maison où l’on pourrait leur vendre du lait ? Il en avait vu d’autres, ici, et là, et là encore, partout où il avait travaillé ! La conscience de sa supériorité d’homme, et sa sauvagerie naturelle le disposaient mal en de pareilles rencontres. Il avait vu les femmes, et aussitôt, d’un coup de paume, il avait enfoncé son chapeau sur sa tête. On ne pouvait apercevoir son visage. Il se redressa tout au bout du massif de blé, d’un mouvement rapide saisit la hampe de sa faux près de la lame, la fit tourner, la planta dans le sol, et l’acier sonna, et le faucheur dit :

– Qu’est-ce que vous avez encore à me regarder ? On travaille, c’est pas nouveau !

– Il a le regard dur et la voix trompeuse. C’est le père ! C’est Maurice ! J’en suis sûre !

Phrosine était droit en face de lui. Elle ne cherchait pas à lui plaire, elle ne se souvenait d’aucun des mots qu’elle avait pu préparer, en songeant à cette rencontre possible : mais sans geste, sans habileté, défaillante, ne vivant que par son regard angoissé, elle étudiait chaque trait du visage de l’enfant devenu homme, le front, les sourcils mobiles, les cheveux courts qui formaient éperon au-dessus du nez, les oreilles sans ourlet, les lèvres sans vallonnement, tendues même au repos, et ces yeux surtout, ces yeux bleus luisant entre des paupières gonflées de sang, ces yeux mécontents, qui devaient baigner dans une source proche de lumière et de passion. Le jeune homme se tourna vers Davidée, la trouva plaisante, et demanda, levant l’épaule :

– Comment sait-elle mon nom ?

– Comment je sais ton nom ?

– Oui, qui vous l’a dit ?

– Je te l’ai donné : je suis ta mère.

Le faucheur haussa encore l’épaule, eut un regard de dédain pour ces deux aventurières, qui lui faisaient perdre son temps.

– Je ne sais pas ce que c’est, je n’en ai pas, de mère.

Et il se détourna, abaissant sa faux, pour se remettre à l’ouvrage. L’autre faucheur n’était plus loin ; il arrivait, et on entendait le cri des tiges coupées et la chute sur le sol des gerbes non liées.

– Allons, les femmes, reculez-vous. Je n’ai pas de temps à dépenser à vous écouter.

Mais la mère était déjà entrée dans le froment qu’il allait faucher. Elle avait les yeux mouillés de larmes, elle joignait les mains, elle ne touchait pas son enfant, elle le priait :

– Ta vraie mère, qui est venue de l’Ardésie. Ton père a dû te parler de l’Ardésie, où j’habite ?

– Non.

– Eh bien ! c’est lui tout de même qui m’a dit où tu travaillais, Maurice. J’ai eu bien du mal à te retrouver. Je suis toute seule, à présent. Ne me renvoie pas. Ne sois pas dur, comme d’autres ont été durs. Je veux que tu me connaisses, au moins, et que tu causes avec moi.

Une voix, celle de Davidée, s’éleva à quelques pas en arrière.

– C’est vrai, tout ce qu’elle dit. Vous pouvez la croire.

Maurice Le Floch, craignant le ridicule, observé par le valet de ferme qui levait les yeux en fauchant et qui pouvait tout entendre, répéta :

– Allons ! Hors du froment !… Si vous voulez, vous aussi, que je vous donne l’argent que je gagne, je vous avertis que l’autre n’a pas réussi.

– Je n’en veux pas, de ton argent ; je veux que tu me connaisses et, quand tu me connaîtras, que tu viennes vivre avec moi, si cela te plaît… Je ne peux pas t’y forcer. Je veux que tu m’aimes…

Elle se retirait, parce qu’il s’était baissé, posant ses deux mains sur les deux courtes poignées assujetties au manche de la faux.

– Venez à La Planche, après la mérienne. Vous parlerez à maître Ernoux, qui est mon patron.

D’un coup demi circulaire il abattit une tranche de froment mûr. Et, fonçant dans la moisson, la tête à la hauteur des épis, plus vite qu’il n’était venu, sans se retourner, il laissa les femmes s’éloigner. Il entendait pourtant Phrosine qui pleurait. Et, comme il était jeune, il avait le cœur en songe.

– Je vous accompagnerai jusque chez Ernoux, disait Davidée qui tâchait de consoler Phrosine, et après, je reprendrai le chemin de Blandes, car ils doivent s’inquiéter de moi.

Elle était heureuse, mais non de ce plein bonheur qu’elle avait espéré. Elle aurait voulu que Phrosine lui dît : « Je ne le quitterai pas. Il faudra qu’il s’enfuie loin de moi, lui aussi. Mais je le gagnerai, voyez-vous. Il ne sait pas ce que c’est que d’avoir une mère… Ah ! je ne toucherai pas à son argent. Je suis jeune encore, malgré ce qu’a dit Le Floch. Je travaillerai. Je le ramènerai avec moi. » Phrosine se taisait, déçue d’avoir trouvé le fils trop semblable au père. Et Davidée songeait, la voyant marcher près d’elle : « Serait-elle venue, si elle avait connu son fils ? »

Le vent chaud coulait entre les bois, dans la plaine moissonnée, et sur l’étang, où les feuilles brisées des roseaux battaient l’eau en mesure.

Il était plus de deux heures, quand les voyageuses, qui avaient déjeuné dans le village, se présentèrent chez le fermier de La Planche. Maître Ernoux, qui avait été prévenu, les reçut bien, les fit entrer, pour leur faire honneur, dans la chambre où le bois de trois armoires, d’une commode et d’un lit, luisait dans la paix inviolée. C’était un gros homme court, qui avait une figure d’avocat finaud, toute rasée, et qui venait de dormir dans la grange, avec tout son monde, quand Phrosine vint faire aboyer le chien de garde. Même, il avait encore des brins de paille dans les cheveux. Il écouta, comme un juge, le récit que lui fit Davidée, parut attacher une importance majeure à l’écrit signé par Le Floch, et ne manqua pas de considérer Phrosine, pendant que l’adjointe racontait. Alors, il appela Maurice, son second valet, et le fit asseoir en lumière, près du lit en face de la fenêtre.

– Maurice, dit-il, je crois, que c’est ta vraie mère.

– Ça se peut.

– Elle a un papier, et puis de la ressemblance, il ne faut pas dire le contraire. C’est pas les yeux, c’est pas le front, c’est pas le nez : mais c’est quelque chose tout de même.

– Je ne dis pas : mais qu’est-ce qu’elle demande ? Je suis bien ici. Quand j’ai retrouvé mon père, tout de suite il a fallu lui donner de l’argent. À présent que je retrouve ma mère, je ne veux rien donner. Je le dis : rien !

– Je t’approuve, mon garçon. Mais tout de même, si c’est ta mère, elle a un droit de mère. Elle peut t’emmener dans son pays.

– Oh ! si ça n’est que ça !

– Quand tu auras fini ton temps chez moi, par exemple ! Tu as été embauché, tu es content de moi, je suis content de toi : il ne faut pas nous quitter.

– Et puis, chez elle, est-ce que j’aurai ma chambre ?

Phrosine n’était pas étonnée de ce marchandage. Toute sa vie elle avait été commandée et opprimée par l’égoïsme des hommes, de son père, de son mari, de ses amants, de ses voisins qui louaient ses mains de laveuse. Cependant la mère n’avait pas imaginé ainsi la première entrevue avec le fils reconquis. Sûrement, elle avait compté que l’enfant l’aiderait à vivre. Mais surtout, elle s’était réjouie dans sa tendresse maternelle veuve de la petite morte. Et la déception avait raison, une fois, une première fois, de cette nature fougueuse, que l’injustice ou la peine révoltait, mais n’abattait point. Phrosine, penchée du côté de son fils, ne voyait que lui. Elle n’avait qu’une pensée et que l’enfant n’entendait pas. « Quand donc se jettera-t-il dans mes bras ? Lui, mon premier né, pour qui j’ai souffert, lui le seul à présent, lui que j’ai cherché dans la détresse que personne ne connaît, lui dont le baiser me manque depuis douze ans ! Maurice ! Maurice ! Demain je serai ta servante et je laverai ton linge ; demain tu me reprocheras la soupe trop maigre et le vent qui souffle sous ma porte ; demain, tu exigeras que je te donne, moi à qui tu ne veux rien donner, le salaire gagné par ta mère vieillissante : aujourd’hui, embrasse-moi ! »

Il restait défiant, sur sa chaise, consultant la physionomie de maître Ernoux qu’il savait un homme entendu et difficile à tromper. On eût dit qu’il discutait les conditions d’un contrat qu’on lui proposait, et qu’il n’avait qu’une question à examiner et à résoudre : la place nouvelle vaudra-t-elle l’ancienne ? Davidée faisait les réponses. La mère se taisait.

– Y aura-t-il aussi, disait-il, un logement pour ma bicyclette ?

– La maison est assez grande, répondait Davidée, qui songeait à la maison des Plaines. La bicyclette y tiendra sans peine à l’abri.

– Et la terre, par là-bas, est-ce qu’elle est plus lourde qu’ici ? La femme ne dit rien, – il désignait sa mère, – elle ne peut pas me garantir que j’aurai de l’ouvrage bien payé, au prix de maître Ernoux. A-t-on tout le dimanche, au moins, dans les fermes ? Donnent-ils de la viande pendant les batteries ? Et du vin ?

– Ceux qui travaillent ont l’air heureux… Ils ne se plaignent pas plus qu’ailleurs.

Le patron de la ferme de La Planche comprit le premier le silence de la mère. Il avait hâte de reprendre le travail. Et, ayant vu, à travers les vitres, une charrette qui partait vide pour le bord de l’étang où la moisson souffrait :

– Allons, dit-il, tu t’en iras quand l’automne sera venu. Embrasse-la, ta mère, tu vois bien qu’elle n’attend que ça !

Le gars hésita un peu. Phrosine s’était levée. Il se leva. Il se sentit attiré par un amour violent qu’il ignorait ; il se sentit pressé contre ce cœur qui battait pour lui ; et des mots qu’il n’avait jamais entendus enveloppèrent cet isolé : « Mon Maurice, mon bien-aimé, embrasse-moi encore ! Dis que tu vas m’aimer ! »

Quand il s’échappa des bras maternels, Maurice Le Floch dit seulement :

– Ça me change d’avoir une mère. On s’habituera peut-être : mais je ne donne pas d’argent !

Reprenant son chapeau de paille, qu’il avait posé sur le carreau de la chambre, il se secoua, comme un chien qu’on a caressé, et dit à maître Ernoux, à voix basse :

– Faudrait tout de même savoir si la paye est bonne, par là-bas ? Sans ça…

Et Phrosine entendit.

Dans le soir tout proche de la nuit, Phrosine et Davidée revinrent au village qu’elles avaient quitté le matin. Phrosine n’était plus la mère que grandissait l’espoir de reconquérir son fils. L’enfant, elle l’avait jugé, et trouvé trop semblable au père. Par lui l’avenir ne serait pas réjoui, ni la tâche quotidienne allégée. Toute la fatigue, tout l’argent, le temps, l’ingéniosité, le rêve qu’elle avait dépensés, n’avaient servi qu’à lui faire découvrir cet être calculateur par qui elle souffrirait encore. Elle l’emmènerait, – oh ! sûrement, et quoi qu’il en coûtât ! – car il était sa victoire contre le mari : mais cette victoire ne promettait aucune joie et ne donnait pas de force. Alors, du passé mauvais, l’ancien vice s’éveillait, et elle conversait avec lui, compagnon toujours prêt. Davidée l’entendait rire et ne comprenait pas. Phrosine songeait à des trahisons, à des ripailles, à des pièges qu’elle tendrait, à ce qu’elle ferait pour attirer Maïeul. Elle avait le cœur irrité, sauvage et fou comme une guêpe au bord des cuves de vin. Elle allait, de son pas hardi et déhanché, mâchant un brin de menthe cueilli dans le fossé. L’odeur de la tige poivrée flottait derrière elle. Le village, au milieu de la plaine, apparut. L’heure de la séparation approchait. Phrosine se décida à parler. Elle dit, sans regarder Davidée :

– Je suis décidée. J’habiterai près de La Planche jusqu’en novembre. Je veux que Maurice ne reste pas avec le père. Il m’aidera ou il ne m’aidera pas, mais je ne veux pas le laisser à Le Floch. On s’en ira d’ici ensemble. Après, je verrai.

Elle se tut un moment. Et, changeant de ton, devenue agressive comme aux jours mauvais du passé :

– Vous avez des nouvelles du fendeur de La Forêt ?

Elle ne nomma pas Maïeul.

– Non.

– Moi, j’en ai.

– Par lui ? dit vivement Davidée.

– Non. S’il m’avait plu d’en avoir par lui, je les aurais eues. Il paraît qu’il réussit.

– Tant mieux.

– Et le bruit court que vous l’épouserez.

Davidée s’écarta de celle qui marchait sur la même banquette de la route.

– Pourquoi me parlez-vous de lui, et comme vous le faites, méchamment ?

– Je vous ai dit que j’étais mauvaise. Garez-vous de moi !

– Phrosine, ce que je voudrai un jour, je ne le sais pas. Et cela ne regarde personne.

– Pardon, moi, la première : j’ai droit sur lui.

– Il vous a quittée.

– À cause de qui ? Croyez-vous que ça se pardonne ?

– À cause de la petite que vous faisiez mourir.

Phrosine s’arrêta. Elle jeta le brin de menthe du côté de Davidée.

– Je ne peux plus vivre ! Mon mari s’est mis avec une autre. Mon fils ne partagera pas son pain avec moi. L’a-t-il assez dit ? L’avez-vous entendu ? Et à présent, vous voulez me prendre mon amant ?

– Phrosine.

– Je l’ai lâché, mais je ne l’ai pas donné !

La voix de Davidée, nette et ardente cette fois, répondit :

– Eh bien ! tâchez de le reprendre, à présent qu’il m’aime !

Les mots s’en allèrent au galop sur les terres plates, comme une meute. Les deux femmes les écoutèrent se perdre dans l’ombre. Puis elles se séparèrent : Phrosine retourna au village dont dépendait la ferme de La Planche, et Davidée continua seule et gagna le café des Bûcherons.

Elle n’était pas troublée. Une menace lui avait fait dire et crier ce qu’elle ne savait pas elle-même qu’elle pensait. Davidée avait déclaré son amour, et, bien que ce ne fût pas à Maïeul, elle était comme les fiancées qui ont dit : « Je vous aime, je suis à vous », et qui regardent avec assurance, avec émerveillement, le rayon que ce phare projette sur la mer toute noire et mouvante. Le rayon ne supprime pas l’inconnu, mais le traverse tout entier. Elle s’était mise à marcher vite, en quittant Phrosine. En approchant des maisons, elle vit, au bout d’une rue, une seule fenêtre éclairée, et aussitôt toute la vaste nuit fut sans embûche et sans crainte. Il n’y avait que ce témoignage de la vie. La jeune fille n’avança plus que tout doucement. Pas un bruit ne flottait dans le vent chaud, frôleur de feuilles et remueur des derniers épis. La lueur des étoiles mettait une joie paisible sur les tuiles des toits, et le reste était de l’ombre. « J’ai été obligée de parler. En l’aimant, je le défends contre elle, contre lui-même. N’est-ce pas l’ambition que j’ai eue : élever, sortir des âmes de l’abandon, de leur lourde misère naturelle ? Il sera ma conquête. Je ne lui demanderai que la bonne volonté. Qu’importe qu’il soit un pauvre ? s’il ne résiste pas à un conseil noble, il est noble. Déjà il s’est séparé de cette créature. Respirer le même air que sa faute ancienne, ce doit être une cause de faiblesse. J’ai fait un aveu qui m’a surprise moi-même. Mais quelle force il me faudra pour deux ! Quelle pureté ! Où les prendrai-je ? Je me sens ignorante de ce que j’aime le mieux et de ce qui me tente le plus… Mon secret n’est pas encore à lui. Il n’est qu’à moi, et à l’ennemie que j’ai obligée. Je suis promise, mais dans mon cœur, et plus jeune fille encore qu’une fiancée. Voici la rue. J’étais venue pour sauver une femme que l’instinct maternel a conduite un moment, mais qu’il ne soutient plus. Il lui manque ce que je voudrais avoir : la science du sacrifice de soi. Je n’ai rien obtenu d’elle. Elle me hait. Cependant, je ne regrette rien. J’ai l’âme étonnée et légère. Que la source d’où sont venus à ma jeunesse les désirs de dévouement s’ouvre de nouveau ! Que je voie ma route afin de conduire les autres ! Que mon amour soit tendu d’abord vers toute vérité, même lointaine et dont je n’aurai qu’un rayon, comme celui que mes yeux reçoivent des étoiles ! Que je n’aie pas peur de voir ! Que je sois une femme inconnue, mais capable de bien ! »

Elle s’aperçut qu’elle avait prié. La seule petite lumière du bourg s’était éteinte. Il fallut réveiller l’hôtesse du café des Bûcherons.

Le lendemain, de bonne heure, Davidée s’éloigna du pays, où la forêt de Vouvant était déjà chaude sur les collines.

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