XXVI De Cadix à Séville, aquarelles andalouses

24 octobre.

Tandis que le train va lentement à travers les plaines, de bien jolis paysages ont passé devant la fenêtre du wagon. Je voudrais en noter quelques-uns, afin de donner quelque idée de cette extrême Andalousie, tant de fois célébrée, si digne de l’être encore.

Première aquarelle. – Nous avons contourné la baie de Cadix, et nous remontons au nord. Devant nous, des marais s’étendent, d’abord divisés par des talus tachetés de meules de sel, puis entièrement déserts et incultes, espaces où l’œil plonge indéfiniment dans la rousseur des herbes. Çà et là une lueur d’eau, une rayée longue et mince entre ces champs de roseaux fanés, dont l’automne a rompu les tiges. Toute la terre est blonde. Tout le ciel est d’un azur léger. Des bandes de canards s’élèvent en criant ; ils prennent leur route ; ils glissent ; ils ne sont plus qu’une pointe de flèche, en apparence immobile dans la lumière, et même alors on devine qu’ils n’atteindront pas de sitôt la limite de ces solitudes immenses, les retraites inconnues, vers les montagnes là-bas, qui sont hautes comme le doigt.

Deuxième aquarelle. – Le soleil baisse, tout rouge dans le ciel clair. C’est l’heure calme où l’homme commence à s’appuyer sur sa bêche et songe à la maison. Nous approchons de Jerez. Les vignes se pressent aux deux bords du remblai, coulées de pampres jaunis qu’entourent des haies de cactus échevelés et pâles. À droite de la voie il y a une cabane, une seule, que couvre entièrement un grenadier chargé de fruits. Et dans la cabane, il y a une petite marchande d’eau fraîche, qui cause avec son novio. Ils sont accoudés sur la même planche, lui en dehors, elle dans l’intérieur de sa boutique. On ne voit point la figure du garçon, mais seulement son large feutre gris, sa taille fine et cambrée, ses pieds chaussés d’espadrilles. Dans l’encadrement de la fenêtre, tout le soleil est pour la novia, pour ses yeux câlins, ses joues brunes, son bras nu qui soutient le menton gros comme une nèfle mûre. Elle rit, en écoutant parler celui qu’elle aime. L’arrêt du train ne les a pas troublés. Elle a versé trois verres d’eau bleue, sans regarder ni les voyageurs, ni la perra chica qu’ils lui laissaient en paiement. D’un geste souple et sûr, quand nous sommes partis, elle a seulement repiqué, en haut de son chignon pointu, le bouquet de jasmins blancs que le vent avait déplacé.

Troisième aquarelle. – Il fait presque nuit. Nous sommes en plein maquis, et le vert des oliviers sauvages, et celui des lentisques et des buis sont fondus en une même teinte fumeuse. D’espace en espace, la pointe d’un arbrisseau mort se lève dans le taillis, comme la croupe d’un bœuf roux. Au milieu d’une clairière, un homme à cheval, qui paraît gigantesque, abreuve sa mule au bord d’une citerne. Les montagnes sont roses, très loin, vers l’Orient. La nuit n’est pas venue pour elles. Du côté de l’Occident, à la place où le soleil a disparu, dans l’auréole de rayons pourpres qu’il a laissée au-dessus des terres sombres, trois aloès, dépassant le maquis, tendent leurs bras terribles…

 

Nous entrons en gare de Séville avec une heure de retard, ce qui peut être considéré, me dit-on, comme un succès. Et, presque tout de suite, je m’arrête sur la place de l’Hôtel-de-Ville, pour voir la compagnie des serenos sous les armes, prête à partir. Ces dignes gens, vous le savez, sont chargés de veiller au bon ordre des rues pendant la nuit, de crier les heures en annonçant le temps qu’il fait, et d’ouvrir les portes aux citoyens qui auraient oublié leur clef. Ils sont là plus de cent, divisés en trois sections, vêtus de la veste courte à boutons d’or, coiffés d’une casquette plate à bande rouge, la hallebarde d’une main, la lanterne de l’autre. La plupart, comme le temps menace un peu, ont emporté un parapluie. Au commandement d’un vieux capitaine à gros ventre, ils doublent les files, mettent le parapluie et la hallebarde sur l’épaule droite, et quittent la place dans trois directions différentes.

Un peu plus tard, lorsque le bruit de la ville se fut assourdi, j’entendis sous mes fenêtres une bonne voix enrouée qui criait : « Ave Maria purissima ! Las once han dado, y sereno ! » Et je songeai, avec un frisson de joie, que j’étais dans cette Séville des chansons, la capitale enchanteresse du Midi, la sœur par la beauté de Venise l’italienne, dont on ne parle plus qu’avec regret, dès qu’on l’a entrevue.

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