CHAPITRE XV.

Le nouveau maître de Tom.

Puisque notre héros mêle la trame de son humble vie à la destinée des grands, il faut bien que nous nous occupions aussi des grands.

Augustin Saint-Clare était fils d'un riche planteur de la Louisiane; sa famille était originaire du Canada. De deux frères, assez semblables d'humeur et de tempérament, l'un s'était établi dans une ferme opulente du Vermont, l'autre était devenu un riche planteur de la Louisiane.

La mère d'Augustin était une protestante française dont la famille avait émigré à la Louisiane, à l'époque des premiers établissements. Augustin et un autre frère étaient les seuls enfants de leurs parents. Augustin, ayant reçu de sa mère une constitution extrêmement délicate, fut, d'après le conseil des médecins, envoyé dans le Vermont, chez son oncle, où il passa une grande partie de son enfance. On pensait que ce climat froid et salubre fortifierait sa santé.

Dès son enfance, Augustin se fit remarquer par une sensibilité extrême, qui tenait beaucoup plus de la douceur de la femme que de la rudesse habituelle de son sexe; le temps recouvrit cette douceur d'une dure écorce; il devint homme, et bien peu surent à quel point il gardait fraîche et vivante cette sensibilité dans son âme. C'était ce que l'on appelle un homme du premier mérite, mais il avait une préférence marquée pour l'esthétique et l'idéal: de là venait chez lui, comme chez tous ses pareils, une souveraine répugnance pour le commerce et le tracas des affaires. Presque au sortir du collége il avait éprouvé une passion romanesque. C'était bien la passion dans toute son effervescence, dans toute son intensité; son heure était venue, cette heure qui ne vient qu'une fois. Son étoile s'était levée à l'horizon, cette étoile, hélas! qui se lève si souvent en vain.... et dont on ne se souvient que comme d'un songe! Pour lui, aussi, l'étoile se leva vainement! Il obtint l'amour d'une jeune fille aussi belle que distinguée: ils furent fiancés. Elle demeurait dans un des États du nord. Lui dut retourner dans le midi pour régler les derniers arrangements de famille. Tout à coup ses lettres lui furent renvoyées par la poste, avec une courte note du tuteur de la jeune fille. La note disait qu'avant même qu'il ne l'eût reçue, sa fiancée serait la femme d'un autre.

Il crut qu'il en deviendrait fou; puis, comme bien d'autres, il espéra pouvoir arracher de son cœur cette flèche mortelle. Trop fier pour prier, trop orgueilleux pour demander une explication, il se jeta dans le tourbillon du plaisir; il devint bientôt le soupirant avoué de la reine du jour. Tout fut promptement réglé, et il épousa une jolie figure, deux beaux yeux noirs et cent mille dollars. Comme on dut le croire heureux!

Les mariés passèrent la lune de miel au milieu d'un cercle brillant d'amis, dans leur splendide villa, au bord du lac Pontchartrain. Un jour on apporta au jeune mari une lettre de cette écriture qu'il se rappelait si bien.

Elle lui fut remise en plein salon. La causerie était gaie, vive, étincelante de mots.

En reconnaissant l'écriture, il devint pâle comme la mort; il se contint cependant et poussa jusqu'au bout un assaut d'esprit et d'enjouement où il avait une femme pour adversaire. Il sortit bientôt. Une fois seul dans sa chambre, il ouvrit cette lettre.... désormais inutile, plus qu'inutile, hélas! C'était une lettre d'elle; elle racontait longuement les persécutions de la famille de son tuteur; on voulait lui faire épouser le fils de cet homme. On avait d'abord supprimé les lettres d'Augustin.... elle avait longtemps continué d'écrire.... puis étaient venus le chagrin et le doute. Au milieu de ces anxiétés poignantes elle était tombée malade. A la fin elle avait découvert le complot.... La lettre racontait tout cela, elle finissait par des expressions de reconnaissance et d'espoir, et des protestations d'une éternelle affection, plus cruelles que la mort même pour l'infortuné jeune homme.

Il lui répondit immédiatement:

«J'ai reçu votre lettre, mais trop tard. J'ai cru ce qu'on m'a dit, j'ai désespéré. Je suis marié, tout est fini: l'oubli, voilà tout ce qui nous reste, à vous et à moi!»

Ainsi se termina le roman et l'idéal dans la vie d'Augustin Saint-Clare. Il lui restait le positif; le positif, c'est-à-dire la vase noire, nauséabonde et fétide, que le reflux nous laisse, tandis que là-bas étincelle la vague bleue, emportant ses flottilles de barques brillantes et ses voiles étendues, blanches ailes des vaisseaux, et les avirons aux cadences harmonieuses, et tout le gai murmure de ses eaux.... Et puis tout cela disparaît, s'évanouit, tombe dans l'abîme, et il nous reste à nous rêveurs.... la vase, le positif!

Au fait, dans un roman, on brise le cœur des gens, on les tue même, et tout est dit: la fable est intéressante, que vous faut-il de plus? Mais, hélas! dans la vie réelle, nous ne mourons pas dès que nous avons vu mourir pour nous ce qui nous faisait la vie brillante et radieuse! Il nous reste l'ennui des nécessités. On boit, on mange, on s'habille, on se promène, on visite, on parle, on lit, on vend, on achète! C'est ce qu'on appelle vulgairement la vie. On passe à travers cela.... et cela restait à Augustin. Si du moins sa femme eût été vraiment une femme, elle aurait pu, une femme peut toujours, essayer de renouer cette trame d'une existence brisée, et mêler encore des fleurs au tissu reformé;... mais Marie Saint-Clare ne pouvait même pas voir que la trame était rompue. Nous l'avons déjà dit, Mme Saint-Clare, c'était une belle figure, deux yeux magnifiques, et cent mille dollars. Rien de cela ne guérit une âme malade.

Quand on trouva Augustin étendu sur le sofa, la mort sur le visage, et qu'il eut prétexté une migraine, elle lui recommanda de respirer de la corne de cerf. Quand elle vit que la pâleur et la migraine persistaient pendant de longues semaines, elle se contenta de dire qu'elle n'eût jamais cru M. Saint-Clare aussi maladif.... mais qu'il paraissait être très-sujet aux maux de tête, et que c'était bien fâcheux pour elle, et qu'il paraissait singulier de la voir toujours seule après un mois de mariage.

Au fond de l'âme, Augustin se réjouit d'avoir épousé une compagne si peu clairvoyante. Mais, quand les fêtes et les visites de la lune de miel furent passées, il s'aperçut qu'une belle jeune femme qui, toute sa vie, avait été adulée et gâtée, pouvait être dans un ménage une maîtresse bien tyrannique. Marie n'avait jamais été très-susceptible d'attachement. Elle manquait de sensibilité; le peu qu'elle en avait se trouvait étouffé par un égoïsme sans bornes, un de ces égoïsmes misérables qui ne reconnaissent d'autres droits que leurs droits. Depuis son enfance, elle avait été entourée de serviteurs occupés à prévenir ses caprices.... elle n'avait jamais songé, elle n'avait même pas soupçonné qu'ils pussent vouloir ou désirer autre chose.

Son père, dont elle était l'unique enfant, ne lui avait jamais rien refusé: avec lui le possible était toujours fait. Au moment de son entrée dans le monde, belle, accomplie, héritière, elle vit soupirer à ses pieds tous les hommes, éligibles ou non, de la ville qu'elle habitait. Elle ne douta pas un instant qu'Augustin ne fût très-heureux de l'obtenir.

Il ne faut pas croire qu'une femme sans cœur soit un créancier commode dans l'échange de l'affection.... Personne n'exige l'amour des autres plus impérieusement qu'une femme égoïste.... Seulement, elle devient d'autant moins aimable qu'elle veut être plus aimée. Quand Saint-Clare commença à négliger ces galanteries et ces petits soins d'un homme qui fait sa cour, il se trouva en face d'une sultane qui n'était pas résignée à perdre son esclave. Il y eut abondance de larmes, il y eut des bouderies et de petites tempêtes; puis des mécontentements, des coups d'épingle et des accès de colère. Saint-Clare, dont la nature était bonne et indulgente, essaya d'apaiser sa femme par des présents et des flatteries. Quand Marie devint mère d'une belle petite fille, il sentit s'éveiller en lui quelque chose comme de la tendresse.

Saint-Clare avait eu pour mère une femme d'un caractère aussi pur qu'élevé; il donna à son enfant le nom de sa mère, heureux de penser que peut-être elle lui en rendrait aussi l'image. Sa femme en ressentit une violente jalousie. Le profond amour d'Augustin pour sa fille ne lui inspirait qu'un mécontentement soupçonneux. Tout ce qui était donné à la fille semblait être ravi à l'épouse. Depuis la naissance de cette enfant, sa santé déclina sensiblement. Une vie d'inaction constante, dans la torpeur de l'âme et du corps, l'influence d'un éternel ennui, jointe à la faiblesse ordinaire de cette période de la maternité, changèrent bientôt cette belle jeunesse florissante en une femme pâle, étiolée, maladive, dont le temps était partagé entre une foule de maux imaginaires, et qui se regardait comme la plus à plaindre et la plus infortunée des femmes.

C'étaient des lamentations sans fin. La migraine la confinait dans sa chambre au moins trois jours sur six; toute la direction du ménage fut donc abandonnée aux domestiques. Saint-Clare trouva son intérieur très-peu confortable. Sa fille était extrêmement délicate, et il craignait qu'ainsi abandonnée sans surveillance et sans attention, sa santé, et même sa vie, ne fussent compromises par l'indifférence maternelle. Il l'emmena avec lui dans le Vermont, où il allait faire un voyage, et il engagea sa cousine, miss Ophélia Saint-Clare, à revenir avec eux dans sa résidence du sud.

Ils étaient sur le bateau qui les ramenait quand nous les avons rencontrés.

Mais à présent que les dômes et les flèches de la Nouvelle-Orléans se dressent devant nos yeux, il est temps de présenter miss Ophélia à nos lecteurs.

Tous ceux qui ont voyagé dans la Nouvelle-Angleterre se rappelleront avoir remarqué, dans quelque frais village, une vaste ferme avec sa cour de gazon toujours propre, ombragée par l'épais et lourd feuillage de l'érable à sucre. Ils se rappelleront l'ordre, la tranquillité et l'inaltérable repos de toute chose. Rien de perdu: tout à sa place; pas un barreau de travers dans une clôture, pas un brin de paille sur le tapis vert de la cour; les buissons de lilas montent sous les fenêtres. A l'intérieur, les appartements sont larges et propres; il n'y a rien à faire, rien à reprendre, tout est exactement à sa place et pour toujours, tout marche avec la même régularité ponctuelle que la vieille horloge placée dans un des coins du salon. Dans la pièce où se tient la famille se dresse la vieille et respectable bibliothèque aux portes vitrées. L'Histoire de Rollin, le Paradis perdu de Milton, le Voyage du Pèlerin, par Bunyan, sont rangés côte à côte dans un ordre majestueux, avec une multitude d'autres livres également solennels et respectables. Il n'y a point dans la maison d'autre servante que la maîtresse, en bonnet blanc, les lunettes sur le nez, qui, chaque après-midi, s'assied et coud au milieu de ses filles. L'ouvrage est fini si matin, qu'on ne se rappelle plus exactement l'heure; mais, à quelque moment que vous veniez, tout est toujours fait.... Sur l'aire de la vieille cuisine pas une tache, pas une souillure; les chaises, les ustensiles du ménage semblent n'avoir jamais été dérangés, bien qu'on fasse là trois ou quatre repas par jour, bien qu'on lave et qu'on repasse là tout le linge de la famille, bien qu'on y fasse le beurre et le fromage, mais silencieusement et mystérieusement.

C'est dans une telle ferme, une telle maison, une telle famille, que miss Ophélia avait passé quelque quarante-cinq ans d'une heureuse existence, quand son cousin vint la chercher pour visiter ses propriétés du sud. Ophélia était l'aînée d'une nombreuse famille; pour le père et la mère, elle était toujours rangée parmi les enfants, et la proposition d'aller à la Nouvelle-Orléans fut quelque chose de bien grave aux yeux de la famille. Le père, à la tête grise, prit l'atlas de Morse dans la bibliothèque, mesura exactement la longitude et la latitude, puis il lut le Voyage de Flint dans le sud et dans l'ouest, pour se familiariser avec le pays.

La bonne mère, tout inquiète, demanda si ce n'était point une bien méchante ville, et dit qu'elle n'hésitait pas à la comparer aux îles Sandwich, ou à tout autre pays occupé par des païens.

On sut chez le pasteur, chez le médecin et chez miss Rabody, la marchande de modes, qu'Ophélia Saint-Clare parlait d'aller à Orléans avec son cousin. Ce sujet important fut bientôt la matière de toutes les conversations du village. Le pasteur, qui penchait fortement du côté des abolitionnistes, se demandait si un pareil voyage n'était point un encouragement donné aux possesseurs d'esclaves. Le docteur, au contraire, qui était tout à fait partisan de la colonisation, voulait que miss Ophélia fît le voyage, pour montrer aux habitants de la Nouvelle-Orléans que leurs frères du nord, après tout, n'étaient pas si mal disposés contre eux.

Il pensait, lui, qu'il fallait encourager le sud!

Quand sa résolution fut annoncée dans le public, miss Ophélia fut, pendant quinze jours, invitée chaque soir à prendre le thé chez les voisins et amis. Ses plans et projets furent examinés et discutés.

Miss Moseley, chargée de compléter la garde-robe de voyage, en acquit aux yeux de tous une notable importance. On admit généralement que l'esquire Saint-Clare avait compté cinquante dollars à miss Ophélia, en lui disant d'acheter les plus beaux vêtements.... On ajoutait que deux robes de soie et un chapeau lui avaient été expédiés de Boston.... Quant à la question de convenance, elle divisait les esprits: les uns soutenaient qu'on pouvait bien se permettre une pareille dépense une fois dans sa vie; les autres prétendaient au contraire qu'il eût mieux valu envoyer l'argent aux missionnaires; tout le monde reconnaissait du reste que l'on n'avait jamais vu une plus riche ombrelle, et que, quelque opinion que l'on pût avoir de sa maîtresse, il fallait bien avouer que la robe de soie se tenait debout toute seule. Le mouchoir de poche excita d'incroyables rumeurs: on le disait garni de dentelles et brodé aux coins. Cette dernière assertion ne fut jamais vérifiée: c'est un point encore douteux aujourd'hui.

Miss Ophélia, telle que nous la voyons dans sa belle robe de voyage en toile brune, est grande, carrée, anguleuse. Sa face est maigre: toutes les lignes en sont aiguës. Elles serre les lèvres comme les personnes qui ont sur toutes choses des résolutions arrêtées. Ses yeux noirs et perçants étaient inquisiteurs, rusés, et furetaient partout, comme si elle eût eu sans cesse quelque chose à remettre en ordre.

Tous ses mouvements étaient secs, décidés, énergiques; elle ne parlait pas beaucoup, mais tout ce qu'elle disait était juste: elle disait ce qu'elle voulait dire.

Comme habitude, c'était l'ordre, l'exactitude, la méthode incarnée. Elle était réglée comme une horloge, inexorable comme une locomotive. De plus, elle détestait tout ce qui ne lui ressemblait pas.

A ses yeux, le plus grand des péchés, le résumé de tous les maux, c'était la légèreté. L'ultimatum de son mépris, c'était le mot inconséquent, prononcé d'une certaine façon.... Elle prodiguait ce terme à tout ce qui ne rentrait pas complétement dans le cercle inflexible qu'elle-même avait tracé. Elle avait un souverain dédain pour les gens qui ne faisaient rien, ou qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient, ou qui ne le faisaient pas précisément de la façon voulue. Ce dédain, elle ne le témoignait pas toujours par ses paroles, mais souvent par une sorte de grimace et de roideur glaciale, comme si elle eût craint de s'abaisser jusqu'à la parole pour de tels sujets.

Sous le rapport intellectuel, c'était un esprit net, puissant, actif; elle avait lu l'histoire et les vieux classiques anglais. Renfermée dans de certaines limites, sa pensée était forte; ses doctrines religieuses étaient condensées en formules nettes, étiquetées et en petits paquets; elle en avait un compte, elle n'en élevait jamais le chiffre. Il en était de même quant à ses idées pratiques dans la vie ordinaire, quant à ses relations de voisinage ou d'amitié. Mais au-dessous et au-dessus de tout il y avait pour elle le sentiment du devoir: la conscience. Nulle part la conscience ne domine et n'absorbe comme chez les femmes de la Nouvelle-Angleterre; c'est pour elles le granit fondamental du globe, plongeant dans les entrailles de la terre et dominant la cime des montagnes.

Ophélia était l'esclave du devoir.

Prouvez-lui que le sentier du devoir, comme elle disait, suit telle ou telle direction, ni l'eau, ni le feu ne pourront l'en détourner. Pour le devoir elle se fût jetée dans un puits, elle eût marché devant la bouche des canons. Mais ce sentiment du devoir était si dominateur, il comprenait tant de choses, il était si sévèrement minutieux, il faisait si peu de concessions à la fragilité humaine, que, malgré l'héroïsme de ses efforts, miss Ophélia n'atteignait jamais son idéal; et elle était comme accablée sous le fardeau de son insuffisance et de sa faiblesse.

Cette prédisposition jetait comme une teinte sombre sur son caractère religieux.

Comment miss Ophélia pouvait-elle sympathiser avec Augustin Saint-Clare, gai, léger, inexact, sceptique, et, pour ainsi dire, marchant avec une liberté insolente et nonchalante sur tous les principes et sur toutes les opinions qu'elle respectait?

Pour dire le vrai, elle l'aimait!

Quand il était enfant, c'était elle qui lui apprenait son catéchisme et qui l'entourait des soins du premier âge. Son cœur avait encore un côté chaud. Ce côté-là, Augustin l'avait pris. Il avait fait avec elle comme avec beaucoup de gens: il avait monopolisé. C'est ainsi qu'il lui avait persuadé que le sentier du devoir était dans la direction d'Orléans, et qu'elle devait venir avec lui pour veiller sur Éva et empêcher, dans sa maison, la ruine de toute chose. L'idée d'un intérieur dont personne ne s'occupait alla droit au cœur de miss Ophélia.... Elle aimait aussi la jeune Éva... Qui ne l'eût pas aimée, cette charmante petite fille?... Et, quoiqu'elle regardât Augustin comme un païen, cependant, nous l'avons dit, elle l'aimait, elle riait de ses plaisanteries et poussait l'indulgence à son égard jusqu'à des limites fabuleuses.

Mais miss Ophélia se fera elle-même suffisamment connaître dans la suite de cette histoire.

Nous la retrouvons maintenant dans la chambre, sur le bateau, au milieu d'une foule de sacs, de boîtes, de cartons, de parures, qu'elle attache, qu'elle serre, qu'elle lie en grande hâte et d'un air inquiet.

«Eh bien! Éva, avez-vous compté vos affaires? Vous n'y avez peut-être pas songé? Voilà comme sont les enfants! Il y a le sac de nuit en moquette mouchetée, et la petite boîte bleue avec votre beau chapeau, cela fait deux; la boîte en caoutchouc, ça fait trois; ma boîte à aiguille, quatre; mon nécessaire, cinq; ma boîte à cols, six, et une toute petite malle de cuir, sept. Qu'avez-vous fait de votre ombrelle? donnez-la moi, je vais mettre du papier autour, et l'attacher avec la mienne à mon parapluie. C'est cela!

—Mais, ma cousine, à quoi bon? nous n'allons qu'à la maison!

—Et la propreté, enfant! si l'on veut avoir quelque chose, il faut en avoir soin; et votre dé.... l'avez-vous resserré?

—Je ne sais pas!

—Allons! je vais regarder dans votre boîte, moi.... un dé, de la cire, deux cuillers, des ciseaux, un couteau, des aiguilles; c'est bien, mettez-les dedans! Que faisiez-vous, mon enfant, quand vous voyagiez seule avec votre papa? Vous deviez tout perdre!

—Mais oui, ma cousine, je perdais beaucoup de choses.... mais, quand nous étions arrivés quelque part, papa en achetait d'autres.

—Ah! ma chère.... quel système!

—Mais c'est très-commode!

—C'est une impardonnable légèreté!

—Eh bien! cousine, qu'allez-vous faire maintenant? La malle est trop pleine.... elle ne pourra plus se fermer.

—Elle doit se fermer! dit Ophélia d'un ton impérieux.... Et elle pressa les objets et appuya sur le couvercle.... il restait encore une petite fente béante.

—Montez dessus, Éva! dit résolûment miss Ophélia. Ce qui a été fait une fois peut l'être une seconde; il faut que cette malle soit fermée à clef.... il n'y a pas à dire!»

Intimidée sans doute par tant de résolution, la malle céda. Le petit loquet entra dans la serrure et craqua. Miss Ophélia tourna la clef et la mit dans sa poche d'un air de triomphe.

«Maintenant, nous sommes prêtes. Où est votre papa? Je pense qu'il est temps de faire sortir ces bagages. Regardez, Éva, si vous voyez votre papa.

—Oui; le voici à l'autre bout de la cabine des hommes. Il cause et mange une orange.

—Il ne sait donc pas que nous voici arrivées. Courez le lui dire.

—Papa n'est jamais pressé, dit Éva; et puis nous ne sommes pas encore au débarcadère. Regardez, cousine, voici notre maison au bout de cette rue.»

Cependant le steamer, avec de lourds mugissements, comme un monstre gigantesque et fatigué, se préparait à frayer sa voie à travers les innombrables vaisseaux. Éva, toute joyeuse, montrait du doigt les tours, les dômes, les marchés qui lui faisaient reconnaître sa ville natale.

«Oui, oui, chère! Très-beau.... très-beau! Mais, Dieu me pardonne! le bateau s'arrête.... où est votre père?»

Ce fut alors une scène de tumulte comme il s'en passe toujours à l'arrivée des bateaux. Les garçons d'hôtel se précipitent sur vous. On va, on vient, les mères appellent leurs enfants, les hommes font leurs paquets, tout le monde se rue sur le plancher qui joint le bateau à la terre ferme.

Miss Ophélia s'assit résolûment sur la malle qu'elle venait de vaincre, et aligna tout son régiment de sacs, de boîtes et de cartons, avec une symétrie toute militaire, se disposant à les défendre vigoureusement.

«Votre malle, madame....

—Vos bagages, madame....

—C'est à moi que ça revient, madame!

—Non! c'est à moi!»

Ophélia restait assise. Sa détermination éclatait sur son visage.... Elle se tenait droite comme une aiguille fichée dans une planche, tenant d'une main son paquet de parapluies et d'ombrelles, et se défendant avec une énergie capable de mettre en fuite un cocher de fiacre...; et, s'adressant de temps en temps à Éva, elle lui demandait, d'un air profondément étonné, à quoi donc son père pouvait penser.... «Il n'est pas tombé à l'eau, j'imagine.... mais il faut qu'il lui soit arrivé quelque chose.... Je commence à m'inquiéter!»

Au même moment, Augustin parut, avec sa démarche lente et insouciante.... Il donna un quartier d'orange à Éva.

«Eh bien! cousine Vermont, je pense que vous êtes prête?

—Voilà une heure que je suis prête et que j'attends, dit Ophélia; je commençais à être inquiète de vous.

—Voici un habile garçon.... dit Saint-Clare, en se tournant vers un commissionnaire. Allons, bien! la voiture nous attend, la foule s'est écoulée.... On peut maintenant marcher doucement, sans être poussé et bousculé... Ici! ajouta-t-il en s'adressant à un cocher qui se tenait derrière lui, prenez ces bagages.

—Je vais l'accompagner pour le voir charger.

—Fi donc! cousine.... et pourquoi cela?

—Du moins je vais porter ceci, cela, et ceci encore.... dit miss Ophélia en réunissant les trois boîtes à un petit sac de nuit!

—Ma chère miss Vermont, vous ne pouvez décidément pas nous apporter ici les habitudes des Montagnes Vertes.... Il faut adopter quelque chose des façons du sud, et ne pas marcher dans la rue avec des paquets; on vous prendrait pour votre femme de chambre.... Donnez tout à ce garçon.... il le portera comme des œufs.»

Miss Ophélia jeta un regard désespéré à son cousin qui lui ravissait ainsi ses trésors. Elle se réjouit du moins de se voir placer à côté d'eux dans la voiture.

«Où est Tom? dit Éva.

—Sur le siége, ma mignonne; je veux lui donner la place de cet ivrogne qui nous a versés... Je vais l'offrir à votre mère.

—Oh! Tom fera un superbe cocher, dit Éva; il ne boit jamais, j'en suis sûre!»

La voiture s'arrêta devant la façade d'une ancienne maison, bâtie dans les styles mêlés de France et d'Espagne. On retrouve encore, à la Nouvelle-Orléans, quelques échantillons de ce type. L'équipage franchit un portail voûté et pénétra dans une cour entourée de bâtiments carrés: c'était une cour à la mauresque. L'intérieur de cette cour révélait un goût plein de recherche: de larges galeries couraient tout autour. Leurs piliers mauresques, leurs minces colonnes, les arabesques des ornements, tout ramenait l'esprit vers ce règne brillant de l'Orient dans l'Espagne romantique. Au milieu de la cour, une fontaine épanchait ses ondes argentées, qui tombaient en flocons d'écume dans un bassin de marbre bordé de larges plates-bandes de violettes; dans l'eau de cette fontaine, transparente comme le cristal, s'ébattaient des myriades de poissons d'or et d'argent, qui étincelaient comme autant de bijoux vivants. On avait ménagé autour de la fontaine une promenade pavée de mosaïques, dispersées en mille dessins capricieux. Le gazon recommençait après, doux comme un tapis de velours vert. Le chemin des équipages longeait la galerie mauresque: deux grands orangers versaient leur ombre avec leurs parfums. On avait rangé en cercle au bord du gazon des vases de marbre sculptés qui contenaient les plus précieuses fleurs des tropiques; d'immenses grenadiers aux feuilles lustrées, aux fleurs de feu, des jasmins d'Arabie aux feuilles sombres, aux étoiles d'argent, des géraniums, des rosiers luxuriants, ployant sous le faix de leur moisson de fleurs, des jasmins jaunes, des verveines, confondant leur éclat et leur parfum, tandis que çà et là un vieil aloès mystérieux, étrange, au milieu de son feuillage massif, semblait un enchanteur des temps passés, regardant du haut de sa grandeur immuable toute cette végétation passagère, qui vivait et mourait à ses pieds.

Les galeries qui entouraient la cour étaient garnies de rideaux en étoffes africaines, que l'on pouvait tendre à volonté pour se préserver des rayons du soleil. En un mot, c'était l'idéal d'un luxe romantique.

La voiture entra. Éva, dans une sorte d'exaltation extatique, semblait un oiseau prêt à s'élancer de sa cage.

«Oh! n'est-elle pas belle et charmante, ma maison, ma chère maison? dit-elle à Ophélia. N'est-elle pas vraiment belle?

—Oui, l'endroit est joli, dit miss Ophélia en descendant; mais cela me semble, à moi, un peu antique et bien païen.»

Tom descendit et promena autour de lui un regard de satisfaction calme et paisible. Il faut se le rappeler, les nègres nous arrivent du pays le plus splendide et le plus magnifique qui soit au monde; ils gardent au fond de l'âme une véritable passion pour tout ce qui est beau, riche, éclatant et fantasque; ils s'abandonnent, sans le contrôle d'un goût sévère, à cette passion qui leur attire les sarcasmes et l'ironie de la race blanche, plus correcte et plus froide.

Saint-Clare, nature voluptueuse et poétique, sourit en entendant le jugement de miss Ophélia, et, voyant l'admiration qui rayonnait sur la joue noire de Tom:

«Cela paraît vous convenir, mon garçon?

—Oui, monsieur, c'est bien comme cela est.»

Tout ceci se passa en un clin d'œil, pendant que les paquets étaient déchargés et le cocher payé. Une foule de serviteurs de tout âge, de toute taille, hommes, femmes, enfants, accoururent d'en haut, d'en bas, de partout, pour voir entrer le maître. En avant de tous les autres on apercevait un jeune mulâtre, dont la toilette se distinguait par toutes les exagérations de la mode. Il agitait, en se donnant des grâces, un mouchoir de batiste parfumé.

Ce personnage mit une grande vivacité à repousser jusqu'au fond du vestibule la troupe des domestiques.

«Arrière tous! disait-il d'un ton d'autorité. Voulez-vous point importuner monsieur dès le premier moment de son retour?»

Abasourdis par une aussi belle phrase et par l'air dont elle était dite, tous les esclaves reculèrent et se tinrent désormais à une distance respectueuse, à l'exception de deux robustes porteurs qui chargeaient les bagages.

Grâce aux dispositions de M. Adolphe, c'était le nom du personnage, quand Saint-Clare eut payé le cocher et qu'il se retourna, il n'aperçut plus que M. Adolphe lui-même, en veste de satin, chaîne d'or et pantalon blanc, qui saluait avec une grâce et une onction inexprimables.

«Ah! c'est vous, Adolphe, dit le maître en lui tendant la main. Comment cela va-t-il, mon garçon?»

Adolphe récita avec beaucoup de volubilité un discours improvisé.... depuis quinze jours!

«Très-bien, très-bien, dit Saint-Clare avec son air insouciant et ironique. C'est bien dit, Adolphe; mais voulez-vous veiller aux bagages? Je reviens à nos gens dans une minute.»

Il conduisit miss Ophélia dans un grand salon qui ouvrait sur le vestibule.

Cependant Éva, s'élançant à travers le portique et le salon, était entrée dans un petit boudoir qui s'ouvrait également sous le vestibule.

Une grande femme pâle, aux yeux noirs, se souleva à demi sur son lit de repos.

«Maman! dit Éva avec une sorte d'ivresse en se jetant à son cou et l'embrassant mille fois.

—C'est assez, mon enfant, prenez garde, répondit la mère, vous allez me faire mal à la tête.» Et elle l'embrassa languissamment.

Saint-Clare entra, embrassa sa femme conformément aux règles de l'orthodoxie conjugale, puis il lui présenta sa cousine. Marie leva ses grands yeux sur la cousine et la regarda avec un certain air de curiosité; elle l'accueillit du reste avec sa politesse languissante. Cependant la troupe des serviteurs se pressait à la porte. Parmi eux, ou plutôt en avant de tous les autres, on remarquait une mulâtresse d'une quarantaine d'années, qui se tenait là dans une attente joyeuse et tremblante.

«Ah! voilà Mammy,» dit Éva en traversant la chambre; et, se jetant dans les bras de Mammy, elle l'embrassa avec la plus naïve effusion.

Mammy ne dit pas qu'elle lui faisait mal à la tête, mais elle la serra sur sa poitrine, riant et pleurant tout à la fois.... On eût pu croire qu'elle ne jouissait pas précisément de toute sa raison.... Enfin elle relâcha Éva, qui passait d'un esclave à l'autre, donnant la main à celui-ci, embrassant celle-là.

Miss Ophélia déclara depuis que tout cela lui avait fait assez mal au cœur.

«Ces enfants du sud, dit-elle, font des choses que je ne ferais pas, moi!

—Que voulez-vous dire? demanda Saint-Clare.

—Mais je suis bonne avec tout le monde, et je ne voudrais faire de mal à rien.... Cependant embrasser....

—Des nègres.... ah! vous n'êtes pas accoutumée à cela, n'est-ce pas?

—C'est vrai! Comment peut-elle?...»

Saint-Clare alla en riant dans le vestibule.

«Allons! hé! arrivez-vous? Mammy, Jemmy, Polly, Suckey! vous êtes contents de voir le maître....» Et il alla de l'un à l'autre leur serrant les mains.... Prenez garde aux enfants, ajouta-t-il en poussant du pied un petit moricaud qui marchait à quatre pattes sur le plancher. Si j'écrase quelqu'un, que l'on m'avertisse!»

C'étaient de toutes parts des rires et des bénédictions. Saint-Clare leur distribua de petites pièces de monnaie.

«Et maintenant, filles et garçons, décampez!» Et la noire et luisante assemblée disparut par une des portes du vestibule, suivie d'Éva, qui portait un large sac qu'elle avait rempli, pendant la route, de noix, de pommes, de sucre, de rubans, de dentelles et de jouets de toutes sortes.

Saint-Clare, en se retournant, aperçut Tom qui se tenait debout, tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre, assez mal à son aise, tandis qu'Adolphe, négligemment appuyé contre une colonne, l'examinait à travers une lorgnette d'opéra, d'un air qu'eût pu envier un dandy à la mode.

«Eh bien, faquin! dit Saint-Clare, est-ce ainsi que vous traitez votre compagnon?... Il me semble, Adolphe, ajouta-t-il en mettant le doigt sur la veste de satin brodé, il me semble que ceci est ma veste....

—Oh! monsieur, elle était toute tachée de vin, et un gentleman, dans la position de monsieur, n'eût pu la porter dans cet état;... elle n'est bonne que pour un pauvre nègre comme moi!»

Et Adolphe hocha la tête et passa ses doigts avec grâce dans ses cheveux parfumés.

«Allons! passe pour cette fois, dit Saint-Clare. Voyons! je vais montrer Tom à sa maîtresse; vous le conduirez ensuite à la cuisine, et tâchez de ne pas prendre vos airs avec lui: sachez qu'il vaut deux freluquets comme vous.

—Monsieur plaisante toujours, dit Adolphe en riant.... Je suis enchanté de voir monsieur de si belle humeur.

—Venez, Tom,» dit Saint-Clare.

Tom entra dans le salon; il regardait silencieusement les tapis de velours et cette splendeur, qu'il n'avait pas même rêvée, des glaces, des peintures, des tableaux, des statues, des rideaux; et, semblable à la reine de Saba devant Salomon, «il n'y avait plus d'esprit en lui;» il n'osait même pas marcher par terre.

«Vous voyez, Marie, dit Saint-Clare, que je vous amène enfin un cocher; il est aussi sobre qu'il est noir, et vous conduira comme un corbillard si cela vous plaît: ouvrez les yeux et regardez-le... et dites maintenant que je ne pense pas à vous quand je suis parti!»

Marie ouvrit les yeux et les fixa sur Tom.

«Je suis sûre qu'il boira, dit-elle.

—Non; on me l'a garanti comme une marchandise pieuse et sobre.

—Je souhaite qu'il tourne bien, mais je ne le crois pas trop!

—Adolphe! faites descendre Tom... et rappelez-vous ce que je vous ai dit.»

Adolphe se retira en marchant fort élégamment; Tom le suivit d'un pas pesant.

«C'est un vrai mastodonte! dit Marie.

—Voyons, Marie, soyez gracieuse, dit Saint-Clare, en s'asseyant sur un tabouret auprès du sopha, dites quelque chose d'aimable à un pauvre mari....

—Vous êtes resté dehors quinze jours de plus que le temps convenu!

—C'est vrai, mais vous savez que je vous en ai dit la raison.

—Une lettre si courte et si froide!

—Ah! chère, la malle partait.... Ce devait être cela ou rien.

—C'est toujours ainsi, dit la femme, on trouve le moyen d'allonger le voyage et de raccourcir les lettres....

—Voyez, reprit Saint-Clare en tirant de sa poche un élégant étui en velours et en l'ouvrant; c'est un présent que je vous rapporte de New-York, un daguerréotype, clair et net comme une gravure, et représentant Éva et son père, la main dans la main.»

Marie regarda le portrait d'un air mécontent.

«Qui vous a fait mettre dans une position si gauche?

—Mon Dieu! la pose est matière à discussion; mais que trouvez-vous de la ressemblance?

—Si vous ne tenez pas compte de mon opinion dans un cas, je ne pense point qu'elle vous importe dans un autre, dit la femme en refermant l'étui.

—Peste soit des femmes! se dit Saint-Clare en lui-même; et reprenant: Voyons! Marie, que pensez-vous de la ressemblance? Soyez raisonnable.

—C'est très-mal à vous, Saint-Clare, d'insister ainsi pour me faire parler et regarder. Vous savez que j'ai eu la migraine toute la journée, et l'on fait tant de bruit depuis que vous êtes venu, que je suis à moitié morte....

—Vous êtes sujette à la migraine, madame? fit miss Ophélia en sortant des profondeurs d'un grand fauteuil où elle s'était tranquillement assise, faisant l'inventaire et l'estimation du mobilier de l'appartement.

—La migraine! j'en souffre comme une martyre, dit Mme Saint-Clare.

—L'infusion de genévrier est excellente pour la migraine, dit miss Ophélia. Telle est du moins l'opinion d'Augustine, femme de Dacon Abraham Perry, qui était une excellente garde-malade.

—Je ferai cueillir la première récolte qui mûrira dans notre jardin, au bord du lac, dit Saint-Clare; et il sonna.

—Cousine, vous devez avoir besoin de vous retirer dans votre appartement, après ce long voyage.

—Adolphe, dites à Mammy de venir.»

La mulâtresse qu'Éva avait si joyeusement embrassée entra, coiffée, par Éva elle-même, d'un turban rouge et jaune que l'enfant venait de lui donner.

«Mammy, dit Saint-Clare, je confie madame à vos soins. Elle est fatiguée et a besoin de repos. Conduisez-la à sa chambre, et que tout soit confortable.»

Mammy sortit, précédant miss Ophélia.

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