II

Ce soir-là, chez lui, Olivier donna aux deux dames une explication complète de l'affaire, commodément installé dans son fauteuil, avec le bras droit bandé et maintenu par une écharpe.

Sa mère et sa femme n'avaient point pu l'approcher, au moment de la catastrophe ; mais un messager était venu leur apporter la nouvelle que le jeune orateur n'était blessé que légèrement, et que les médecins étaient d'accord pour n'éprouver aucune inquiétude.

– Oui, c'était un catholique ! expliquait Olivier. Et sans doute son attentat était prémédité, car on a trouvé son revolver chargé. Mais, cette fois, – ajouta-t-il, en souriant, à l'adresse de Mabel, – aucun prêtre de sa religion n'a eu le temps d'intervenir auprès de lui !

En effet, Mabel avait déjà lu, sur les placards télégraphiques, le sort du misérable.

– Il a été tué, étranglé, et foulé aux pieds sur-le-champ ! poursuivit Olivier. J'ai fait ce que j'ai pu pour le protéger ; vous avez dû voir comme je m'y suis employé ! Mais… au fait, peut-être vaut-il mieux pour lui qu'il ait eu moins longtemps à souffrir !

Mabel se pencha vers son mari.

– Olivier, dit-elle, je sais que ce que je vais dire va te paraître bien étrange, de ma part : mais… mais j'aurais souhaité qu'ou ne le tuât point !

Olivier lui sourit amoureusement. Il connaissait la charmante tendresse de son cœur.

– Qu'est-ce que tu étais en train de dire, quand il a tiré ? reprit Mabel.

– Oh ! rien que de très banal. Je disais que Braithwaite avait fait plus pour le monde, par un seul discours, que Jésus et tous les saints réunis !

Le jeune homme s'aperçut, à ce moment, que les aiguilles à tricoter de sa mère s'arrêtaient de travailler, pour une seconde ; mais, aussitôt, elles se remirent en mouvement.

– Et comment a-t-on su que c'était un catholique ? demanda encore la jeune femme.

– Il avait un rosaire sur lui ; et, avant de mourir, il a encore eu le temps d'invoquer son Christ !

– Et l'on ne sait rien d'autre, à son sujet ?

– Absolument rien ! Un homme fort bien vêtu ; mais on n'a pu encore découvrir son nom.

Olivier se laissa retomber dans le fond du fauteuil et ferma les yeux. Son bras lui faisait grand mal, avec les battements qu'il y sentait à tout instant : mais il n'en était pas moins très heureux, au fond du cœur. Il se réjouissait d'avoir été blessé par un fanatique, et d'avoir à souffrir pour une telle cause ; et il sentait que la sympathie de la nation entière l'accompagnait. Cet attentat avait été une aubaine merveilleuse pour les communistes. Leur orateur avait été assailli pendant l'accomplissement de son devoir. Le profit était incalculable pour eux, et la perte non moins énorme pour leurs adversaires, qui se vantaient volontiers d'être seuls à connaître la persécution.

Bientôt la vieille Mme Brand se leva et sortit, toujours sans dire un mot. Mabel se tourna vers son mari, et lui posa une main sur les genoux.

– Est-ce que tu es trop fatigué pour causer, mon chéri ?

Il rouvrit les yeux.

– Mais non, dit-il, pas du tout ! Qu'y a-t-il ?

– Quelles conséquences crois-tu que puisse produire toute cette affaire ?

– Quelles conséquences ? Oh ! rien que d'excellent ! Il était temps que quelque chose arrivât, vois-tu, ma chérie, il y avait des moments où je me sentais bien découragé : il me semblait que nous perdions tout notre entrain, et que les anciens tories avaient un peu raison quand ils prophétisaient que le communisme finirait par faire faillite. Mais après ceci…

– Eh ! bien ?

– Eh ! bien, nous avons montré que nous pouvions verser notre sang pour la cause, nous aussi ! Je ne veux pas exagérer ; sans doute il ne s'agit que d'une égratignure ; mais l'attentat a été si délibéré, et toute l'affaire a pris une allure si dramatique ! Le pauvre diable n'aurait pas pu choisir, à son point de vue, un plus mauvais moment ! Jamais le peuple n'oubliera cette journée !

Les yeux de Mabel étaient illuminés de plaisir.

– Mon cher trésor ! dit-elle. Est-ce que tu souffres ?

– Un peu, mais que m'importe ? Ah ! si seulement cette infernale affaire d'Orient pouvait finir !

Il avait conscience d'être fiévreux et irritable, et faisait grand effort pour retrouver son sang-froid.

– Ah ! ma chérie, reprit-il, si seulement les hommes voulaient comprendre ! s'ils voulaient reconnaître quelle chose glorieuse c'est cet idéal que nous leur proposons : l'humanité, la vie, la vérité, enfin, et la guérison de l'ancienne folie !… Mais écoute ! – s'interrompit-il, en revenant à un sujet qu'il avait d'abord oublié, – est-ce que, tout à l'heure, tu n'as pas remarqué quelque chose, quand j'ai répété ce que j'avais dit au sujet de Jésus-Christ ?

– Oui, j'ai vu que ta mère s'était arrêtée de tricoter, pour un moment.

– Mabel, ne crois-tu pas qu'elle soit en train de retomber ?

– Oh ! vois-tu, elle vieillit ! répondit légèrement la jeune femme. Il est bien naturel qu'elle regarde un peu en arrière.

– Mais, cependant, tu ne penses pas que ma mère… ? Ce serait trop affreux !

Elle secoua la tête.

– Non, non, mon chéri ! Tu es excité et fatigué ! Je t'assure que ce n'est rien qu'un peu de sentiment !… Mais, tout de même, Olivier, à ta place, je n'aurais point parlé ainsi devant elle !

– Je n'ai rien dit qu'elle n'entende dire partout, à présent !

– Ne le crois pas ! Rappelle-toi qu'elle ne sort presque jamais ! Et puis, elle a horreur de l'entendre ! Après tout, il ne faut pas oublier qu'elle a été élevée en catholique !

Olivier se rejeta au fond du fauteuil, et considéra rêveusement la fenêtre, devant lui.

– N'est-ce pas étonnant, murmura-t-il, la manière dont persistent ces maudites suggestions ? Voilà une femme intelligente, et assez instruite, qui n'a pas réussi à les faire sortir de sa tête, même après cinquante ans ! En tout cas, veille bien sur elle, n'est-ce pas ?

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