III

Le pape restait assis, sur sa chaise, se rappelant et méditant les intolérables blasphèmes qu'il venait de lire. Ses cheveux blancs tombaient en boucles fines, et déjà plus rares, sur ses tempes brunies ; ses mains étaient vraiment comme les mains d'un fantôme ; et son jeune visage apparaissait tout ridé et creusé de souffrance. Ses pieds nus ressortaient, sous sa tunique sale, et son vieux burnous brun gisait à terre, près de lui.

Plus d'une heure encore, il resta ainsi ; et déjà le soleil avait à demi perdu sa cruelle chaleur, lorsque des pas de chevaux se firent entendre, dans la cour pavée de la maison. Alors Sylvestre se redressa, glissa ses pieds nus dans ses souliers, et souleva de terre son burnous, pendant que la porte s'ouvrait, et qu'un prêtre, maigre, tout brûlé de soleil, s'approchait de lui.

– Les chevaux sont prêts, Votre Sainteté ! lui dit le prêtre.

Le pape ne prononça pas une parole, tout cet après-midi, jusqu'au moment où, vers le coucher du soleil, les deux cavaliers atteignirent le sentier qui sépare Nazareth du Thabor. Ils avaient fait leur tour habituel par Cana, gravissant une hauteur d'où l'on pouvait voir tout le long miroir du lac de Génésareth, puis se dirigeant toujours vers la droite, sous l'ombre du Thabor, jusqu'à ce que, une fois de plus, Esdraélon se déployât à leurs pieds comme un tapis d'un gris vert, un grand cercle de six lieues de diamètre, pauvrement décoré de petits groupes de cabanes, avec Naïm apparaissant d'un côté, le Carmel dressant sa longue forme, à droite très loin, et Nazareth, niché à un kilomètre et demi de distance, sur le plateau que les deux hommes venaient de traverser. C'était un spectacle d'une paix extraordinaire, et que l'on aurait pu croire extrait de quelque vieil album de vues, peint depuis des siècles. Ici, nulle trace d'une ardente pression humaine, nul témoignage de cet effort continu et stérile qu'on appelait la civilisation. Quelques Juifs fatigués, seuls, étaient venus se joindre aux indigènes de cette calme petite terre, comme on voit souvent des vieillards revenir, sans trop savoir pourquoi, terminer leurs jours au village natal ; et leur arrivée avait fait joindre quelques cubes blancs de plus aux entassements blancs qui apparaissaient çà et là. Mais, à cela près, la plaine devait avoir été toute pareille, cent ans, mille ans auparavant.

Elle était à demi ombragée par le Carmel, et à demi baignée d'une lumière dorée et poussiéreuse. Au-dessus, le ciel clair de l'Orient était teinté de rose, comme l'avaient vu Abraham, Jacob et le Fils de David. Nulle part au monde, peut-être, depuis la destruction de Rome, on n'aurait pu retrouver aussi pleinement le vieux ciel et la vieille terre, intacts et immuables ; et déjà le patient printemps, revenu, avait étoilé le sol de ces glorieux lis des champs à qui ne peuvent pas même être comparées les robes écarlates du roi Salomon. Mais aucun message ne venait du trône céleste, comme lorsque Gabriel était descendu, dans cette même atmosphère, pour saluer Celle qui était bénie entre les femmes ; aucune promesse ni espérance n'était accordée, excepté celles que Dieu accorde chaque jour à l'humanité, dans chacun des mouvements de sa création.

Lorsque les deux cavaliers s'arrêtèrent, les chevaux fixèrent un regard immobile et curieux sur l'immensité de la lumière et de l'air, au-dessous d'eux. Puis un petit cri d'appel retentit doucement ; et un berger passa, à quelques mètres plus loin, sur le flanc de la colline, traînant derrière lui son ombre allongée ; et, tout de suite après lui, avec un tintement joyeux de clochettes, son troupeau se montra, une vingtaine de moutons obéissants et de chèvres capricieuses, tout cela broutant, et suivant, et broutant, et chaque bête appelée par son nom, dans la triste voix en tons mineurs de celui qui les connaissait toutes, et les conduisait. Mais, bientôt, le gentil tintement s'affaiblit, l'ombre du berger s'étendit presque jusqu'aux pieds des deux prêtres, et disparut de nouveau ; et la voix même qui appelait se fit plus lointaine, puis s'éteignit tout à fait.

Pendant un instant, le pape souleva sa main jusqu'à ses yeux, et la promena sur son visage un peu moite.

Ses regards tombèrent sur une tache particulièrement claire de murs blancs, qui, juste en face de lui, brillait dans la buée violette du crépuscule.

– Cet endroit, mon père ! dit-il, comment l'appelle-t-on ?

Le prêtre syrien, avec sa vivacité naturelle de mouvements, considéra d'abord le lieu indiqué, puis le visage du pape, et puis, de nouveau, le lieu.

– Le village qui est là-bas, parmi les palmiers, Votre Sainteté ?

– Oui.

– Il s'appelle Mégiddo ! dit le prêtre. Mais bien des gens, dans le pays, affirment que son vrai nom est Armageddon !

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