…………………………

– Mon enfant, dit M. Ouine, approchez, tendez-moi votre main. Il prend cette main entre ses paumes enflées, glissantes et molles.

– Lâchez ma main, fit brutalement Steeny, et il regretta aussitôt cette inconvenance.

Mais M. Ouine n’en parut nullement fâché.

– Ayez donc l’obligeance de m’aider à reposer mes bras sur le matelas. Ils sont maintenant trop lourds pour moi. Ils l’ont toujours été, je pense, mais je ne m’en doutais qu’à demi, car la nature est prudente, bienveillante. À l’enfant que je fus, que je suis resté, elle imposa peu à peu ces membres devenus énormes, ce ventre obscène, semblable à une courge, ce cuir velu, livide, plein de poches et de plis. Comment ai-je pu remuer tout cela si longtemps ?

– Vous parlez beaucoup pour ne rien dire, exprès, remarque cruellement Steeny.

– J’ai bien d’autres choses à dire, en effet, réplique posément M. Ouine. En vain ai-je, cette nuit, tâché de les mettre en ordre, elles s’échappent de moi toutes ensemble, je suis hors d’état de les retenir, tel est sans doute le premier symptôme de la corruption. D’autres vont suivre. Jusqu’à quand surmonterez-vous ce dégoût ? Steeny serre les dents pour ne pas répondre. Il ne sait plus s’il en veut à M. Ouine de mourir ou de n’être pas mort.

– Vous ne me faites pas peur, murmure-t-il enfin, avec une indéfinissable expression – si naïve – de regret.

– C’est probablement parce que je parle, observe humblement M. Ouine. Lorsque je me tais, j’éprouve moi-même, à l’égard de ma propre personne, quelque chose du sentiment que vous venez de nommer. Ainsi, d’ailleurs, ai-je discouru tout au long de ma vie solitaire, non pas que je me sois jamais beaucoup parlé à moi-même, au sens exact du mot, j’ai plutôt parlé pour éviter de m’entendre, je me disais n’importe quoi, cela m’était devenu aussi naturel qu’au ruminant la régurgitation du bol alimentaire. Peut-être ai-je deux âmes, comme ces animaux ont deux estomacs ? Ou deux consciences ? Laquelle des deux s’éteindra la première ? Il serait intéressant de l’observer. Que marmottez-vous entre vos dents ?

– Rien. Je pense seulement que vous allez mieux. Je vais rappeler Mme Marchal…

– Gardez-vous-en. Rien ne presse. Vous m’avez déjà sacrifié beaucoup de journées, mon garçon, donnez-moi encore cette nuit, je vous rendrai demain aux vôtres. Après quoi je ne vous importunerai plus, de mon vivant du moins, car je n’aurai naturellement aucun pouvoir sur l’image que vous garderez de moi, réelle ou non. Puisse cette nouvelle créature vous être aussi favorable que l’autre, tel est mon vœu.

– Je ne crains pas les fantômes, grogne Steeny.

– J’espère n’être pas encore un fantôme, réplique M. Ouine avec un sourire. Mais il m’est difficile de rien affirmer sur ce point. Les braves gens disent volontiers d’un moribond docile que le malheureux ne s’est pas vu mourir. Ces mots ont pour moi un sens caché. Peut-être ne suis-je déjà plus capable de me voir mourir ? Du moins de ce regard intérieur dont j’ai tiré trop de jouissance et qui tourne maintenant sur lui-même, ainsi qu’une délicate petite machine devenue folle à l’approche de la seule chose qui mérite d’être vue, qu’il ne verra pas. Que ne puis-je voir cette chose par vos yeux ! Je dis vos yeux, vos vrais yeux, non pas cet œil intérieur qui à votre âge, je l’espère, garde encore la taie de la première enfance. Vos yeux, vos vrais yeux, vos yeux si neufs, si frais.

La voix de M. Ouine faiblit un peu sur les derniers mots, mais le silence qui les suit n’apporte aucune détente. Il est plein d’autres mots non prononcés, que Steeny croit entendre siffler et grouiller quelque part, dans l’ombre, ainsi qu’un nœud de reptiles.

– Qui vous retient donc près de moi ? demande tout à coup M. Ouine. Oui, qui vous retient ?

– Retenir ? Pourquoi : retenir ? Comme la grenouille fascinée par le serpent, peut-être ? Écoutez, M. Ouine, je fais ce qui me plaît, tout ce qui me plaît, dans le temps qui me plaît, voilà !

– Je ne me suis jamais proposé de vous fasciner, dit M. Ouine d’un ton plaintif et pourtant sans réplique. Mais le mot de serpent m’apporte précisément l’image que je cherchais. Je m’épuise en efforts, non pour me retrouver : pour me rejoindre. Oui, pour me rejoindre, ainsi que les deux parts d’un serpent tranché par la bêche. Trop tard, hélas ! les tronçons de ma vie, de mon être, ne se réuniront plus.

Le silence qui se fait est cette fois un vrai silence, que Steeny n’oserait pas rompre le premier. Visiblement, M. Ouine s’y retrempe aussi, son visage est calme.

– Je crois cette crise surmontée, déclare-t-il. Nous l’avons surmontée ensemble, à votre insu. Si je ne craignais une nouvelle syncope, je me lèverais même volontiers. Fut-ce d’ailleurs une syncope ? Il me semble n’avoir à aucun moment perdu la vue ni l’ouïe, je retardais exprès de voir et d’entendre, j’étais comme devant un clavier dont on s’amuse à effleurer les touches… Non ! Non ! n’appelez pas, je ne me lèverai décidément pas, cela n’en vaut pas la peine… Mieux vaut que vous entamiez seul ma dernière bouteille de porto… Poussez la table plus près… Bien ! Lorsque vous porterez le verre à la bouche, vos yeux si pâles prendront exactement la couleur du vieux vermeil dédoré. Ne froncez pas les sourcils ! Je me rappelle ce premier soir où…

– À ce moment-là, dit Steeny rouge de confusion, je ne savais pas boire.

Il vida deux fois son verre coup sur coup. Le regard de M. Ouine eut une expression mystérieuse.

– Ne poussez pas cette bravade jusqu’au bout, fit-il avec douceur. Ce ne serait ni le temps, ni le lieu. Pardonnez-moi de vous parler sur ce ton ridicule. Quoi que votre malice puisse penser de mes professorats, je suis professeur avant tout, je suis réellement professeur, ce langage m’est devenu naturel. Pourquoi riez-vous ?

– Parce que je ne vous crois pas, monsieur Ouine.

– À votre aise. Je sais que vous me prêtez des facultés poétiques. N’importe ! Mon cher enfant, voilà des jours et des jours que j’abuse de votre générosité, de votre politesse, et plus encore peut-être – disons le mot – de votre curiosité. Le moment est venu de m’acquitter envers vous, je vous dois un secret.

M. Ouine soupire, ferme les yeux, étend sur le lit ses jambes drapées de serge noire. Il a sans doute préparé cette phrase depuis longtemps, mais il semble aussi qu’elle vienne de lui échapper, comme un objet précieux d’une main trop fervente, trop caressante. Les yeux clos et la bouche mince, les lèvres pincées dessinent presque le même trait ironique dans le visage austère, où l’ombre des tempes apparaît maintenant violacée, sinistre.

Steeny vide et remplit son verre. M. Ouine reste impassible.

– Je me moque de vos secrets, crie rageusement l’enfant. Je sais très bien que vous vous fichez de moi, vous êtes aussi vivant qu’une portée de petits chats, c’est de la blague ! Dans six mois, nous serons encore face à face, comme ce soir, avec cette bouteille entre nous deux, la bouteille vide et le secret aussi, tous les secrets sont vides ! Il marche à travers la pièce étroite, jusqu’à ce que la tête lui tourne. Le lit de M. Ouine l’attire et le repousse tour à tour, il s’y heurte sans cesse. Ce lit est-il vide aussi ?

– Les secrets, reprend-il, peuh ! Des blagues, vous dis-je ! Tenez, monsieur Ouine, j’ai lu dernièrement une histoire très curieuse (il ne l’a nullement lue à la vérité, il l’invente à mesure), elle est même tordante. Des marins – pas des vrais marins, naturellement, des types dans notre genre – voient une bouteille qui flotte dans le sillage, et ils décident aussitôt d’aller la pêcher, vous imaginez ça ? Le capitaine a beau menacer, supplier, pleurer, parce que la tempête fait rage, des nèfles ! Voilà tous les bonshommes qui arment un canot, et il reste seul sur la passerelle, jurant comme un possédé. « Nous reviendrons bientôt, qu’ils disent. Ce n’est pas la peine de gueuler pour si peu de chose, capitaine ! » Et jusqu’au soir ils ont manœuvré vers la sacrée bouteille, au milieu de vagues énormes. Enfin la nuit est venue, mais ça ne les a pas gênés autrement : à chaque coup de clair de lune entre deux nuages noirs, ils voyaient briller l’objet tantôt à droite, tantôt à gauche, juste à une longueur de rame. « Il y a un papier dedans, je le jure », criait le mousse. Au petit jour une vague plus haute que les autres a jeté la bouteille par-dessus bord. Eh bien… Ah ! ah ! Je sais, vous pensez qu’elle était vide, hein ? Elle était cassée, monsieur Ouine, le choc l’avait fait voler en éclats, personne n’a jamais su s’il y avait quelque chose dedans… Et le bateau ? Le canot était parti vent arrière, ils n’ont jamais revu le capitaine ni le bateau, ils sont morts. C’est une histoire tordante, épatante. Voilà ce que sont les secrets, monsieur Ouine. Il n’y a pas de secrets, la bouteille est toujours vide, ah ! ah !…

Steeny prononce ces derniers mots avec emphase, comme à la fin d’une tirade trop longue un acteur harassé. Et certes il n’attendait aucune réponse à cette niaiserie, il parlait pour parler, parlait pour lui seul, pour s’amuser du son de sa propre voix, aussi machinalement qu’il arpentait la chambre, passant brusquement d’une gesticulation convulsive à l’immobilité d’un animal effrayé par son ombre. La réponse lui vint pourtant.

– Je suis vide, moi aussi, dit M. Ouine.

Ces mots surprirent moins Steeny que l’énorme soupir qui les suivit. Il semblait que la forte poitrine du professeur de langues se vidât non seulement de son air, mais de tout souci, de toute prévision, de toute inquiétude humaine, si profondément, si complètement que Steeny crut se sentir comme aspiré par ce soulagement monstrueux, retint son souffle ainsi qu’il eût retenu sa vie. La main de M. Ouine cherchait la sienne dans l’ombre.

– Jeune homme, dit-il, est-ce possible ? Je me vois maintenant jusqu’au fond, rien n’arrête ma vue, aucun obstacle. Il n’y a rien. Retenez ce mot : rien !

À peine Steeny reconnut-il cette voix, et n’eût été la main grasse qui pesait à présent dans sa paume, son étreinte molle, il aurait sans doute cru rêver. Car la voix de M. Ouine ne semblait nullement faite pour exprimer un sentiment aussi simple, aussi naïf que celui de la surprise, d’une surprise pour ainsi dire à l’état pur, prise à sa source, sans aucun mélange de curiosité ou d’ironie. Et Steeny lui-même n’avait que peu d’expérience d’un tel mouvement de l’âme auquel l’homme a donné un nom sans éclat, ainsi qu’à tous les dieux qu’il redoute. De la surprise comme de l’angoisse, la plupart d’entre eux ne connaissent que la surface scintillante et moirée, pareille à celle des abîmes liquides. Le double secret reste enseveli dans la mémoire de la première enfance – l’enfance plus gorgée de lait qu’un malade de bromure ou de morphine, l’enfance sans paroles et presque sans regard, ignorée de tous, inviolable – car le berceau est moins profond que la tombe.

– Lâchez-moi, voyons, ne me tenez pas ainsi, j’ai horreur d’être tenu… Je ne me sauverai pas, c’est idiot.

– J’ai faim, dit M. Ouine, mais cette fois avec une sorte d’étonnement stupide.

– Ce n’est pas une raison pour serrer si fort, répliqua Steeny, s’efforçant de rire. Voyons, monsieur Ouine, vous n’allez tout de même pas me manger.

De sa main libre, il desserre les gros doigts noués aux siens et il tremble d’énervement et de colère. Un seul pas le porte jusqu’à l’autre extrémité de la chambre, mais la tête lui tourne aussitôt, il s’accote à l’angle du mur, passe et repasse sur les lèvres sa langue toute poissée du vin liquoreux. Pouah !

– J’ai faim, répète M. Ouine. Je suis enragé de faim, je crève de faim.

– Il n’y a pas de quoi faire tant d’histoires, monsieur Ouine. On vous bourrera de tartines beurrées, voilà tout, de tartines beurrées et de confitures, hou ! hou ! vieux comédien.

Il baisse à peine la voix sur cette dernière insolence, car certainement M. Ouine n’a pu l’entendre, M. Ouine délire. Son délire n’a d’ailleurs jusqu’ici rien d’effrayant, n’évoque nullement l’agonie.

– On ne me remplira plus désormais, remarque le professeur avec gravité. Ç’aurait été un grand travail que de me remplir, et ce travail n’est même pas encore entrepris. Vainement me suis-je ouvert, dilaté, je n’étais qu’orifice, aspiration, engloutissement, corps et âme, béant de toutes parts. Entre tant de pâtures offertes, enfoui dans la provende comme un bœuf, avec quel soin m’appliquais-je à discerner les plus riches en sève, les plus nourrissantes, pauvres seulement d’aspect, parfois répugnantes et généralement dédaignées des imbéciles. Je ne me pressais point, je me flattais de savoir attendre, j’évaluais posément ma jouissance et mon profit, calculant le point exact de parfaite succulence, l’extrême maturité qui précède de peu le commencement de la corruption, toujours seul, afin de ne partager ni ma peine, ni mon plaisir. Hélas ! qu’eussé-je partagé ? Je désirais, je m’enflais de désir au lieu de rassasier ma faim, je ne m’incorporais nulle substance, ni bien, ni mal, mon âme n’est qu’une outre pleine de vent. Et voilà maintenant, jeune homme, qu’elle m’aspire à mon tour, je me sens fondre et disparaître dans cette gueule vorace, elle ramollit jusqu’à mes os.

– Pouah ! vous parlez de votre âme comme la grenouille pourrait parler du serpent.

– Elle me fascine en effet, poursuivit imperturbablement M. Ouine. Est-ce sa faim que je sens, ou la mienne ? Au fond, je ne me suis jamais soucié de ma faim, j’ai joui de ma faim, aujourd’hui ma faim jouit de moi. Oh ! oh ! mon garçon, si ce

n’est ici qu’un rêve, ce rêve est bien étrange. Êtes-vous encore capable de me rendre service ? N’êtes-vous pas ivre ?

– Si vous continuez, je le serai sûrement. Quel plaisir pouvez-vous trouver à parler de telles choses ? Notez bien que vous ne me faites pas peur, vous m’agacez, voilà tout, vous me mettez, comme on dit, les nerfs en pelote.

– Assez ! cria soudain M. Ouine, d’une voix aiguë.

Il sauta presque légèrement hors de son lit. Sa forte carrure se détachait en noir sur la lueur louche de la fenêtre, et si obscurément que Steeny crut d’abord que le vieil homme lui tournait le dos. La face bouffie, paupières closes, avait d’ailleurs exactement le gris livide des mèches de cheveux, trempées de sueur.

– Je ne veux pas vous effrayer, pleurniche le singulier moribond, tenez-vous en repos un moment, rien qu’un petit moment, … heu ! heu !… c’est une grâce que je vous demande. Tout ce qui bouge m’échappe désormais à l’instant même, comme si cela sautait brusquement de mon monde dans le vôtre. Est-ce paresse des yeux ou du cerveau, je l’ignore. Peut-être aussi ai-je définitivement trouvé mon point d’équilibre, mon point exact d’équilibre, mon centre ?

– Vous l’aviez bien perdu il y a un instant, votre point d’équilibre. Allons donc ! vous sautez très bien de votre lit sur le plancher.

– J’ai encore l’usage de mes jambes, protesta M. Ouine. Je les sens même assez gaillardes.

Il pivota lourdement sur les talons, puis gagna la fenêtre en sautillant.

– La nuit tombe, fit-il après un long silence. Tombe-t-elle ou non ? Partez, petit sot ! Chaque fois qu’on a besoin de vos services, vous êtes ivre. Que puis-je faire à présent d’un ivrogne ?

– Je suis… moins… ivre que vous, cria Steeny et il avança d’un pas.

– Gardez-vous de porter la main sur moi, dit sévèrement M. Ouine. Je ne vous veux d’ailleurs aucun mal, mais vous n’avez nullement besoin de mes secrets.

– Je ne vous les demande pas, vos secrets. Donnez-les ou gardez-les, à votre choix. Ils ne me font pas peur non plus.

– Vous faire peur ? Ils ne sauraient inspirer ce sentiment à personne. Leur complication m’apparaît désormais aussi vaine que celle des rêves. Sont-ce là seulement des secrets ? Peut-être jadis m’ont-ils fait honte. Je voudrais maintenant les haïr, mais je ne les hais ni ne les aime, la malice s’en est lentement affaiblie à mon insu. Ils ressemblent à ces trop vieux vins sans saveur, d’un rose livide, qui avant de mourir ont dévoré le liège du bouchon et mordu jusqu’aux flancs du verre. J’ai fait le mal en pensée, jeune homme, je croyais ainsi en exprimer l’essence – oui, j’ai nourri mon âme des vapeurs de l’alambic et elle est devenue enragée à l’heure où je ne puis plus rien pour elle, je n’ai même pas un remords à lui jeter pour tromper sa faim, le temps me manque. Au point où je me trouve, il ne me faudrait pas moins que toute une vie pour réussir à former un remords. Le mot lui-même a perdu son sens, voilà sans doute bien des années que je le prononçais par habitude. Je ne puis plus concevoir ce dédoublement de moi-même, ce désaveu, cette décomposition bizarre… Toute une vie, une longue vie, toute une enfance… une nouvelle enfance.

– Peuh ! dit Steeny, l’enfance, un homme comme vous, n’avez-vous pas honte ? Je ne fais pas plus de cas d’un enfant que d’un cochon de lait.

– Une nouvelle enfance, toute une enfance, murmura M. Ouine à voix basse, avec l’accent d’une énorme convoitise.

Il était assis au bord du lit, les pieds reposant sur les talons, les longues jambes perdues dans les plis de son pantalon. La profonde inclinaison de sa tête faisait ressortir la nuque plate, informe, marquée d’un rouge violâtre. Ainsi replié sur lui-même, dans une position incommode qui rendait probablement sa suffocation plus douloureuse, il ne cessait de grogner et de geindre.

– Toute… une… enfance, répétait-il entre deux halètements, une… enfance… entière, et il faisait de ses deux mains lourdes, hésitantes, le geste de caresser ou de pétrir. La compassion l’emporta cette fois au cœur de Steeny sur l’espèce de curiosité presque féroce qui plus qu’aucun autre sentiment l’attachait à ce maître de hasard. Il s’approcha lentement, posa sur la nuque de M. Ouine sa paume fraîche. Depuis leur première rencontre, c’était la seule marque d’affection qu’il lui eût jamais donnée, ou même qu’il eût jamais été tenté de lui donner.

Cette nuque était aussi dure à ses doigts et aussi lisse qu’une bille de chêne bien polie, mais Steeny n’eut pas le loisir de s’en étonner. Il se retrouva brusquement à demi étendu sur le sol, la tête à la hauteur des genoux du vieil homme, dont le visage penché touchait presque le sien. Il n’en sentait pourtant ni la chaleur, ni l’haleine.

– Je n’ai pas de secrets, disait M. Ouine. Peut-être ai-je disposé jadis d’un grand nombre de secrets, peut-être n’aurais-je eu alors qu’à choisir. Je n’ai plus de secrets, supposé que j’en aie jamais eu. Dieu me joue ce tour, jeune homme.

Les fortes épaules couvraient Steeny de leur ombre, elles avaient la forme d’un arc surbaissé, d’une voûte puissante, exactement calculée, inébranlable. Elles donnaient à l’enfant une impression presque écrasante de durée sans changement ni fin, d’éternité, d’équilibre éternel. Il n’éprouvait cependant aucune peur, mais une pitié vague, indéfinie, une sorte de sérénité douloureuse, comme celle qui suit les grandes crises d’un mal, lorsque l’aube attendue de la convalescence est encore au-dessous de l’horizon.

– J’ai besoin d’un secret, reprit M. Ouine, j’ai le plus pressant besoin d’un seul secret, fût-il aussi frivole que vous pouvez l’imaginer, ou plus répugnant et hideux que tous les diables de l’enfer. Oui, n’eût-il que le volume d’un petit grain de plomb, je sens que je me reformerais autour, je reprendrais poids et consistance… Un secret, comprenez-moi bien, mon enfant, je veux dire une chose cachée qui vaille la peine d’un aveu – d’un aveu, d’un échange, une chose dont je puisse me décharger sur autrui.

– Et à quoi diable cela vous servirait-il ? À quoi bon ?

En dépit de sa forme ironique, la question ne sembla pas autrement mortifier M. Ouine. Il réfléchit longtemps avant de répondre. Sa main pesait lourd sur l’épaule de l’enfant, mais moins lourd encore que le regard si proche que pour en distinguer la prunelle Steeny eût dû se rejeter un peu en arrière. Il n’en voyait que la lueur, le reflet, l’expression indéfinissable et d’ailleurs contradictoire, de rêve et de ruse.

– Cela me sauverait, fit M. Ouine, d’une voix presque indifférente qui n’exprimait nullement le désir d’être sauvé en effet, mais plutôt un détachement haineux de son propre sort, une conviction glacée. Cela romprait l’équilibre, s’il en était temps encore. Car je ne puis déjà plus rien donner à personne, je le sais, je ne puis probablement plus rien recevoir non plus. Mais quoi ! quelque chose peut tomber de moi, comme le fruit d’un arbre, ou du moins – car il n’est plus question de fleur ni de fruit – comme une pierre d’un bloc. Il suffirait d’une poussée, d’une chiquenaude. Le plus petit caillou…

Au-dessus de Steeny l’ombre des épaules dessinait toujours sa courbe trapue, solide, et cette image donnait aux dernières paroles de M. Ouine un sens sinistre.

– Eh bien quoi ! essayez, je trouve cela si simple. N’importe quel secret… Alors… Est-ce que vous parlez sérieusement, M. Ouine ? Tout le monde a sa cachette, sa petite armoire à poisons. Quelque chose qui ferme à clef.

– Justement… précisément… balbutia M. Ouine (et son autre main restée libre vint se poser sur l’épaule de Steeny, avec lenteur) cette clef ne saurait plus me servir à rien, la porte est béante, les flacons vides, les poisons répandus dans l’air, dilués à l’extrême, inoffensifs. Il faudrait les concentrer des siècles pour en obtenir de quoi tuer seulement une souris.

–Pouvez-vous bien penser encore aux poisons ? Des poisons ! Baste ! Toute chose est poison, ou nectar, ou même eau pure, cela dépend de qui la consomme, du jour, de l’heure, de la tristesse ou de la joie – ou peut-être seulement – qui sait ? – de l’étiquette du flacon.

– De l’eau… de l’eau pure… répéta M. Ouine, d’une voix peu perceptible. Non pas pure – insipide, incolore, sans fraîcheur ni chaleur… Aucun froid ne saurait la ternir, elle ne saurait éteindre aucun feu. Qui voudrait boire avec moi de cette eau ? L’acier est moins dur, le plomb moins dense, nul métal n’y pourrait mordre. Elle n’est pas pure, au sens exact du mot, mais intacte, inaltérable, polie comme un miroir de diamant. Et ma soif aussi lui ressemble, ma soif et cette eau ne font qu’un.

– C’est donc que vous êtes vous-même intact, inaltérable, dit Steeny, sans prêter d’ailleurs beaucoup d’attention à sa réponse machinale.

– Je le suis. (Et le dernier mot se perdit dans une espèce de grognement inintelligible.) Oh ! Dieu ! j’ai cru manier la lime et le burin tandis que je passais sur cette matière un pinceau si tendre qu’il n’aurait pas effacé le pollen d’une fleur.

La voix de M. Ouine – du moins lorsqu’elle parvenait distincte – n’avait rien perdu en apparence de sa gravité professionnelle et pourtant le timbre s’en trouvait comme bizarrement rompu, elle donnait à Steeny le même malaise qu’un masque d’homme mûr au visage d’un petit enfant. Et malgré lui, peu à peu, il sentait sa propre voix s’accorder à celle de son maître, si étroitement que l’une et l’autre ne semblaient plus en faire qu’une. Ils parlaient ainsi, dans l’ombre, d’égal à égal, ainsi que deux vagabonds au détour d’une route inconnue, dans une solitude parfaite.

– On ne grave rien sur sa vie, c’est des bêtises, fit Steeny, on écrit seulement sur la vie des autres, – peut-être – et encore nous ne savons pas ce que nous y avons écrit, comment le savoir ?

– N’ai-je rien écrit sur la vôtre ? demande M. Ouine. Heu… Heu… ne vous hâtez pas de répondre. Ou plutôt ne répondez pas du tout, votre réponse n’aurait aucun prix à mes yeux. Avoir écrit, qu’importe ? Il suffirait que j’eusse effacé un mot de ce qui s’y trouve écrit, un seul mot, une seule syllabe, de cette langue inconnue. Oh ! jeune homme, n’aurais-je que rayé ce miroir, je réussirais à me faire assez petit, je me glisserais tout entier dans cette gerçure de métal.

– Pour vous cacher de qui ? de quoi ? Que craignez-vous tant, monsieur Ouine ? Est-ce la mort ?

– J’ignore ce que vous entendez par ce mot, dit le professeur de langues avec solennité. L’espèce de résolution des humeurs qu’on désigne ordinairement ainsi n’a jamais beaucoup retenu mon attention, je ne suis pas chimiste. Bref, la mort fut toujours pour moi le dénouement d’un drame moral. Je crains d’avoir manqué ce drame. Il n’y a eu en moi ni bien, ni mal, aucune contradiction, la justice ne saurait plus m’atteindre, – je suis hors d’atteinte – tel est probablement le véritable sens du mot perdu. Non pas absous ni condamné, notez bien : perdu, – oui, perdu, égaré, hors d’atteinte, hors de cause.

– Il n’y a pas que la justice, il y a la miséricorde, le pardon. Ou rien peut-être, absolument rien, pourquoi pas ?

– Imbécile ! grogna M. Ouine (mais sa voix n’exprimait ni indignation, ni colère). S’il n’y avait rien, je serais quelque chose, bonne ou mauvaise. C’est moi qui ne suis rien.

Le mot tomba littéralement des lèvres de M. Ouine sur le jeune visage tendu comme pour le recevoir, et ce visage le reçut en effet. Steeny le reçut avec son visage plus qu’il ne l’entendit de ses oreilles, avec son visage, son front, ses yeux – le mot baigna ses tempes et brusquement remplit sa poitrine ainsi qu’un bloc de glace.

– Assez ! crut-il gémir, mais l’orgueil encore lui fermait la bouche, il ne demandait grâce qu’à lui-même.

– La curiosité me dévore, poursuivit M. Ouine. À ce moment elle creuse et ronge le peu qui me reste. Telle est ma faim. Que n’ai-je été curieux des choses ! Mais je n’ai eu faim que des âmes. Que dire, faim ? Je les ai convoitées d’un autre désir, qui ne mérite pas le nom de faim. Sinon une seule d’entre elles m’eût suffi, la plus misérable, je l’eusse possédée seul, dans la solitude la plus profonde. Je ne souhaitais pas faire d’elles ma proie. Je les regardais jouir et souffrir ainsi que Celui qui les a créées eût pu les regarder lui-même, je ne faisais ni leur jouissance ni leur douleur, je me flattais de donner seulement l’imperceptible impulsion comme on oriente un tableau vers la lumière ou l’ombre, je me sentais leur providence, une providence presque aussi inviolable dans ses desseins, aussi insoupçonnable que l’autre. Je me félicitais d’être vieux, laid, podagre, je m’épanouissais au son de ma propre voix, j’en exagérais scrupuleusement le timbre de basson nasillard, fait pour rassurer les marmots. Avec quelle jubilation j’entrais dans ces modestes consciences, si peu différentes d’aspect, si communes – de petites maisons de briques sans éclat, noircies par l’habitude, les préjugés, la sottise, comme les autres par la suie des villes – ces âmes pareilles aux corons des cités minières. Je m’y installais avec dignité, je les remplissais de ma bienveillance, de ma discrète sollicitude, elles me donnaient d’un coup leur secret, mais je ne me hâtais pas de le prendre. Je couvais du regard tout ce que ces sortes de maisons offrent innocemment à l’étranger, au passant, – maisons sans âme, âmes sans nom – leur ridicule confort, les napperons brodés, les photographies pendues au mur, la sellette coiffée d’une fille de plâtre, les glaces noircies de chiures de mouches plus mystérieuses que l’ornière des bois, l’unique tapis luisant de crasse, le serin dans sa cage – oui, je forçais du regard toutes les humbles défenses à l’abri desquelles la médiocrité se consomme tranquillement elle-même. Je n’interrompais nullement, en apparence, cette espèce de résorption, je la rendais peu à peu impossible, à leur insu. La sécurité de ces âmes était entre mes mains, et elles ne le savaient pas, je la leur cachais ou découvrais tour à tour. Je jouais de cette sécurité grossière comme d’un instrument délicat, j’en tirais une harmonie particulière, d’une suavité surhumaine, je me donnais ce passe-temps de Dieu, car ce sont bien là les amusements d’un Dieu, ses longs loisirs… Telles étaient ces âmes. Je me gardais de les changer, je les découvrais à elles-mêmes, aussi précautionneusement que l’entomologiste déplie les ailes de la nymphe. Leur Créateur ne les a pas mieux connues que moi, aucune possession de l’amour ne peut être comparée à cette prise infaillible, qui n’offense pas le patient, le laisse intact et pourtant à notre entière merci, prisonnier mais gardant ses nuances les plus délicates, toutes les irisations, toutes les diaprures de la vie. Telles étaient ces âmes. Voilà ce que je fis de Néréis, ce pauvre enfant malchanceux. Voilà ce que je fis de Jambe-de-Laine, dans cette vieille maison qui devra conserver ma mémoire, dont chaque pierre s’est imprégnée de mon plaisir. D’une pâte vulgaire, j’ai fait une bulle de savon – plus légère, plus impalpable – ces gros doigts que vous voyez là ont réussi cette merveille.

– Alors quoi ? vous n’aurez donc pas vécu en vain ?

– Ai-je fait réellement ce que je viens de dire ? gémit M. Ouine. L’ai-je seulement voulu ? L’ai-je rêvé ? N’ai-je été qu’un regard, un œil ouvert et fixe, une convoitise impuissante ?

– Jambe-de-Laine est morte, dit Steeny.

– Elle s’est échappée, voilà le mot, elle s’est élancée hors de toute atteinte – échappée n’est peut-être pas le mot qui convient – elle s’est élancée comme une flamme, comme un cri.

– Vous l’aimiez ? demanda Steeny.

Une fois de plus, la phrase était prononcée avant qu’il en eût pénétré tout à fait le sens. M. Ouine ne parut d’ailleurs pas l’entendre. Il continuait à gémir et à haleter, mais ce gémissement n’avait pas l’accent d’une plainte. Il exprimait plutôt la même surprise profonde, sans cesse accrue, comme d’un homme, qui les derniers pas faits vers la crête longtemps immobile au-dessus de lui, découvre l’espace immense et les horizons s’engendrant les uns les autres si vite que son regard ne peut suivre le déroulement multiplié de la spire vertigineuse. Steeny pense aussi au grognement de l’idiot glouton qu’il a vu un jour à la porte de l’asile cantonal, et dont les larmes et la salive coulaient ensemble dans la gamelle fumante.

– Vous vouliez tout à l’heure des secrets, fit-il, jetant toujours les mots au hasard. Eh bien ! voilà des secrets !

– Des secrets, peuh ! Si c’était vraiment des secrets, je ne m’en délivrerais pas aisément. Je ne m’en délivre même pas, ils tombent de moi, ils se détachent, ils semblent ne m’avoir jamais appartenu. Ils n’ajoutent ni ne retirent rien à mon poids, et d’ailleurs je n’ai plus de poids. Mon enfant, reprit-il avec son ancienne emphase, au cours de ma carrière universitaire comme après, je n’ai nullement songé à nier l’existence de l’âme, et aujourd’hui même, je ne saurais la mettre en doute, mais j’ai perdu tout sentiment de la mienne, alors qu’il y a une heure seulement, je l’éprouvais ainsi qu’un vide, une attente, une aspiration intérieure. Sans doute a-t-elle achevé de m’engloutir ? Je suis tombé en elle, jeune homme, de la manière dont les élus tombent en Dieu. Nul ne se soucie de me demander compte d’elle, elle ne peut rendre compte de moi, elle m’ignore, elle ne sait même plus mon nom. De n’importe quelle autre geôle, je pourrais m’échapper, ne fût-ce que par le désir. Je suis précisément tombé là où aucun jugement ne peut m’atteindre. Je rentre en moi-même pour toujours, mon enfant.

À la stupéfaction de Steeny, le halètement précipité de M. Ouine finit dans un rire d’abord étouffé, puis franc et limpide, tel qu’il n’en eût jamais attendu de cette bouche austère. En même temps l’ombre des larges épaules cessa de peser au-dessus de lui et il se retrouva debout, libre.

M. Ouine continuait de rire à petits coups, la tête légèrement inclinée sur la droite, un œil ouvert, l’autre fermé, ce qui donnait à son visage une expression assez vulgaire. Une grosse larme luisait dans un pli de sa joue.

– Je passe un sacré moment, fit-il avec un énorme soupir. Rentrer en soi-même n’est pas un jeu, mon garçon. Il ne m’en aurait pas plus coûté de rentrer dans le ventre qui m’a fait, je me suis retourné, positivement, j’ai fait de mon envers l’endroit, je me suis retourné comme un gant.

Le petit bruit de son rire s’élevait à peine au-dessus du silence, il ressemblait maintenant au hoquet de l’eau dans l’ornière d’argile, au cliquetis de l’averse sur les cailloux, à n’importe quel murmure inintelligible des choses, il n’avait plus aucun sens humain. Qu’il sortît de ce corps pesant, affaissé sous ses hardes, dans la blancheur livide du lit bouleversé, n’étonnait même pas Steeny. Et d’ailleurs cela ne s’élevait pas, cela coulait de l’ombre ainsi qu’un mince filet limoneux, insaisissable, intarissable, c’était sans commencement ni fin.

– Eh bien quoi ! sans vous commander, monsieur Steeny, vous pourriez me prêter la main, je ne suis pas assez forte pour le manier.

(D’où vient ce bruit de source ?… C’est le médecin qui se lave les mains, la cuvette posée à terre, entre ses jambes.)

– Si le décès remonte à deux heures, c’est donc vrai que le monsieur a passé quand je venais de descendre. Eh bien ! vrai, docteur, ça m’étonne. J’aurais cru le retrouver frais comme l’œil.

– Les agonies des vieillards sont volontiers décevantes, remarque le médecin qui, faute de serviette, agite les mains au-dessus de sa tête pour les sécher. D’une manière générale, les enfants meurent mieux, madame Marchal. Oh ! dites donc, jeune homme, inutile de tâter le cœur, vous le cherchez d’ailleurs beaucoup trop à gauche. Sur cette question comme sur d’autres, la physiologie n’est pas d’accord avec la littérature.

– Je vous jure, docteur, qu’au moment même où vous avez ouvert la porte, nous causions ensemble, lui et moi.

– Cela me rappelle le titre d’un roman lu jadis, les Morts qui parlent ou quelque chose d’approchant. En ce qui vous concerne, jeune homme, j’incline à croire que le mot de l’énigme se trouve au fond de cette bouteille de porto.

– Allons ! allons ! Si vous restez ainsi planté contre le lit, je ne pourrai jamais tirer le drap, grogna Mme Marchal furieuse. Je ne dis pas que ça soit ici la place d’un garçon comme vous, mais puisque vous y étiez, vous auriez pu employer votre temps plus utilement qu’à boire du porto, pas vrai ? Une femme de mon âge a le droit de parler franchement.

C’est merveille de la voir ainsi affairée à sa besogne d’ensevelisseuse, passant et repassant contre la lumière de la lampe posée à terre, presque légère dans le gauche essor de ses jupons de laine. On dirait qu’elle prend la mesure du fardeau ainsi qu’un gros insecte diligent, puis elle jette tout à coup en avant ses bras courts, avec une précision infaillible, et le cadavre docile roule d’un bord à l’autre, ainsi qu’un canot balancé par la houle. En un clin d’œil, aux yeux stupéfaits de Steeny, M. Ouine dépouillé de son enveloppe familière s’est comme glissé de lui-même dans une antique chemise de nuit à grands pans, brodée au col d’une fleurette rouge. Alors Mme Marchal a rabattu le drap, exactement comme on ferme une enveloppe, et le visage du professeur de langues paraît s’enfoncer doucement, doucement, non pas au creux de l’oreiller, mais dans une matière invisible où il a été pris tout à coup, s’est figé tout à coup ainsi qu’un cachet dans la cire – parfaitement semblable à l’ancienne effigie, d’une ressemblance miraculeuse, sans qu’y manque la moindre ride, le plus minuscule bouton, avec le compte exact de poils, et pourtant totalement différent de l’ancien visage – celui qui parlait, riait, frémissait même en songe du mouvement de la pensée qui ne s’arrête ni jour ni nuit, frémissait à la pensée comme la feuille du bouleau à la brise. Cette masse prend peu à peu, d’ailleurs, la couleur de l’argile, semble durcir à l’air, au point que la clarté de la lampe se refuse à en épouser les contours. Seul, le nez qu’allonge démesurément le creux des orbites, l’affaissement des muscles de la face, reste vivant d’une vie désormais sans cause et sans but, ainsi qu’une petite bête malfaisante.

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