VI Diana Monti

Vers quatre heures de l’après-midi, Jacqueline, ses leçons terminées, était rentrée à Neuilly. Après avoir embrassé à plusieurs reprises le portrait de son cher petit Jean, elle était en train de changer l’eau et de renouveler les graines des deux pigeons, lorsqu’on frappa à sa porte.

C’était la bonne Mme Chapuis, qui, la figure toute réjouie, venait lui annoncer qu’il y avait en bas une dame très élégante qui demandait à lui parler pour des leçons de piano.

– Je n’ai pas voulu la laisser monter sans vous prévenir, ajouta-t-elle. Mais ce doit être une personne très bien, car elle est venue en auto de maître.

– Veuillez, chère madame, lui dire que je l’attends.

Quelques instants après, la porte s’ouvrait, livrant passage à Diana.

Deux noms vibrèrent en un accent de surprise simultanée :

– Mademoiselle Marie !

– Madame !

Tout de suite, avec une bienveillance exquise, la fille du banquier s’avançait les mains tendues vers l’ancienne institutrice de son petit Jean… stupéfaite de se retrouver en présence de Mme Aubry.

– Mademoiselle Marie…, reprenait celle-ci, que je suis heureuse de vous revoir !… Mais… comment avez-vous pu découvrir mon adresse ? Seuls, M. Vallières et les Bontemps la connaissaient… et je m’étonne qu’ils se soient permis…

Diana, qui s’était déjà ressaisie, reprenait sur un ton d’hypocrisie affectueuse et déférente :

– Chère madame, je vous en prie, n’incriminez personne… Je n’ai revu ni les Bontemps… ni M. Vallières. Je suis en ce moment dame de compagnie chez de riches Américains qui viennent de se fixer à Paris. Chargée par eux de rechercher pour leurs enfants, un professeur de piano, sachant parler l’anglais… mon attention a été attirée par l’une des annonces que vous avez fait insérer dans un journal ; et je me suis empressée de me rendre chez cette Mme Jeanne Bertin afin de m’entendre avec elle… Vous avez dû voir combien vives ont été ma surprise et ma joie en me trouvant en face de vous.

L’aventurière, plus décidée que jamais à mener jusqu’au bout sa besogne infâme, continua, nullement désarmée par tant de noble courage et de touchante infortune :

– Vous ne pouvez vous imaginer combien je bénis la Providence qui m’a conduite jusqu’à vous.

Et, mettant le comble à son hypocrisie, la maîtresse de Moralès dont le regard venait de se poser sur la photographie du petit Jean, s’écria :

– Ce cher ange adoré !… Excusez-moi, madame, dans mon trouble, j’avais oublié de vous demander de ses nouvelles.

– Il va très bien, je vous remercie, répondait Jacqueline, entièrement dupe des menées de l’ex-institutrice.

Celle-ci insistait, jouant avec un art infini son rôle abominable :

– Que je suis heureuse de pouvoir reconnaître enfin toutes les bontés que vous avez eues pour moi !… En effet, les Hopskings sont excessivement riches… Vous pourrez leur demander vingt francs l’heure… Mais rassurez-vous, je respecterai votre incognito… Ils ne sauront rien… je vous le promets… pas plus eux que personne… Les enfants sont fort bien élevés… très gentils… Ils seront ravis de vous connaître… Ah ! tenez, chère madame, je suis tellement contente, que je vous demande la permission de vous embrasser.

– Très volontiers…, acceptait franchement Jacqueline qui, tout en rendant à la misérable son baiser de traîtrise, fit aussitôt dans l’élan spontané de son cœur généreux :

– Croyez, chère mademoiselle Marie, que je n’oublierai jamais la preuve d’affection que vous venez de me donner.

– N’est-ce pas tout naturel ?

– Quand me présenterez-vous ?

– Tout de suite ; les Hopskings demeurent à Auteuil… Nous y serons dans quelques minutes et dans une demi-heure, tout sera réglé… Venez !

Un peu étourdie par ces paroles que l’aventurière exprimait avec une volubilité cordiale et persuasive, Jacqueline hésitait.

– Allons, chère petite madame, s’écria la Monti, décidez-vous, ou bien je vous enlève de force.

– En ce cas, je vous suis, consentait Jacqueline, pleine de gratitude envers la perfide créature qui avait imaginé le lâche guet-apens où, à force de fourberie et de ruse, elle avait si bien réussi à entraîner la pauvre jeune femme.

Moralès, en costume de sportsman de la plus correcte élégance, faisait les cent pas sur le trottoir… Aussitôt qu’il aperçut Diana et Jacqueline, il s’avança vers elles, sa casquette à la main.

– Mme Jeanne Bertin, présenta aussitôt l’aventurière, M. James Hopskings qui a bien voulu m’accompagner.

Très empressé, Moralès aida la jeune professeur à monter dans la luxueuse limousine qui stationnait devant la porte de la pension Chapuis.

Diana s’assit près de Jacqueline… Moralès s’installa en face d’elle… L’auto gagna rapidement le bois de Boulogne, traversa l’allée de Longchamp, s’engagea dans la route des Lacs… Mais presque aussitôt, au lieu de continuer sa route, le wattman bifurqua à droite, dans une allée déserte.

Alors, Diana bondit sur Jacqueline et appuya fortement contre ses lèvres et ses narines un tampon de ouate chloroformée.

La malheureuse jeune femme n’eut pas le temps de pousser un cri… Ce fut en vain qu’elle voulut se débattre… Moralès l’immobilisait de toutes ses forces, tandis que le narcotique faisait son œuvre, et bientôt ce ne fut plus qu’une pauvre petite chose inerte… que, triomphalement, sauvagement, Diana et son amant emportaient.

– Sais-tu quelle est cette femme ? demanda la Monti à son amant.

– Non.

– Eh bien, c’est Jacqueline Aubry, la fille du banquier Favraux !

– Mais elle a dû te reconnaître ?

– Elle m’a reconnue.

– Et tu as osé ?

– Tais-toi ! Maintenant que nous sommes embarqués, ricana l’aventurière, il faut que nous allions jusqu’au bout du voyage !

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