NOUVELLE X ROGER DE JÉROLI OU LES BIZARRERIES DU SORT

Il n’y a pas encore longtemps qu’il existait à Salerne un célèbre chirurgien, qu’on appelait maître Mazzeo de la Montagne, à qui il prit fantaisie de se marier, quoiqu’il fût d’un âge fort avancé. Il épousa donc une demoiselle de sa ville, jeune, fraîche, tout à fait gentille, et qui eût mérité un homme moins âgé. Le bonhomme n’épargnait rien pour lui plaire ; il lui prodiguait bagues, bijoux, robes du meilleur goût, enfin, tout ce qui est capable de flatter la vanité d’une jolie femme. Ce qu’il ne lui prodiguait pas, et ce qu’elle ambitionnait plus que toute autre chose, c’étaient les plaisirs de l’amour conjugal. Il la laissait se morfondre dans son lit, et agissait avec elle à peu près comme un autre Richard de Quinzica, dont nous avons parlé ci-devant, en lui prêchant le jeûne et l’abstinence sur ce chapitre, sous de vains prétextes, dont elle n’était jamais la dupe. Il voulait lui faire entendre, entre autres choses, qu’une femme devait s’estimer heureuse quand son mari la caressait une fois par semaine. La belle, qui n’en croyait rien, et qui voyait que tous les principes de son mari provenaient de son impuissance, résolut, en femme sage et de bon appétit, de se régaler aux dépens d’autrui, puisque son mari était si économe. Après avoir jeté les yeux sur plusieurs jeunes gens, elle se détermina en faveur d’un beau garçon nommé Roger de Jéroli, qui passait pour le plus mauvais sujet de la ville. Il était de bonne maison, mais si déréglé dans sa conduite, et avait fait tant de fredaines, de sottises et d’escroqueries, que pas un de ses parents ne voulait le voir. La jeune dame ne l’ignorait pas ; mais, comme elle cherchait plus la vigueur que la probité, elle résolut d’en faire son amant, sans s’inquiéter de tout ce que l’on en publiait. Dans cette intention, elle chercha les occasions de le voir, et ne cessait de le regarder et de lui sourire, dès qu’elle le rencontrait quelque part. Roger, qui s’aperçut de ses sentiments, fit de son mieux pour s’assurer cette conquête. Il lui fit parler, et comme la belle n’aimait pas les longueurs, elle lui accorda bientôt un rendez-vous, où elle se trouva seule avec lui, par l’habileté d’une jeune servante qui lui était affidée. Après s’être amusés de la manière dont on s’amuse dans un tête-à-tête amoureux, la dame profita de cet agréable commencement pour sermonner le jeune homme ; elle le pria de renoncer pour l’amour d’elle à ses filouteries et autres méchantes actions qui l’avaient perdu de réputation, s’obligeant, pour mieux l’y engager, de lui donner de l’argent de temps en temps. Roger promit de se conduire plus honnêtement, et ils continuèrent de se voir sans que personne en sût rien.

Pendant que ces amants se divertissaient ainsi à petit bruit, le chirurgien eut occasion de voir un malade qui avait une jambe toute pourrie. Comme il était fort habile dans son art, il connut d’abord la cause du mal, et dit aux parents du malade que s’il ne lui ôtait un os gangrené, il faudrait bientôt lui couper entièrement la jambe, ou s’attendre à le voir mourir dans fort peu de temps ; encore ne voulait-il pas répondre du succès de l’opération. Les parents, aimant mieux hasarder sa guérison que de le laisser mourir faute de secours, donnèrent leur consentement pour que le chirurgien fît ce qu’il jugerait convenable. Maître Mazzeo, craignant que le malade ne pût supporter la douleur de l’opération, résolut de l’endormir auparavant avec une eau dont il avait seul la recette. L’opération fut donc remise à un autre moment. Il se mit aussitôt à distiller cette eau soporifique, et après qu’il en eut une quantité suffisante, il la mit dans une fiole, qu’il posa sur la fenêtre de sa chambre, sans dire à personne ce que c’était.

Dans l’après-dînée, étant sur le point d’aller trouver l’homme à la jambe malade, pour lui porter ce breuvage et l’opérer, il reçut de Melfi un exprès, avec une lettre d’un de ses intimes amis, qui le priait très-instamment de partir tout de suite pour venir panser plusieurs personnes de sa connaissance qui avaient été blessées à une batterie qu’il y avait eu la nuit précédente : il remit donc l’opération de la jambe au lendemain, et montant sur un batelet, il partit sur-le-champ pour Melfi.

Sa jeune et fringante moitié ne fut pas plutôt instruite qu’il ne reviendrait au logis que le lendemain, qu’elle envoya querir Roger, et l’enferma dans sa chambre jusqu’à ce que tout le monde de la maison fût couché. Soit que le galant eût travaillé le jour, soit qu’il eût mangé salé, il éprouvait une soif ardente, et ne trouvant dans la chambre d’autre eau que celle que le chirurgien avait mise sur la fenêtre, il ne fit aucune difficulté de l’avaler jusqu’à la dernière goutte. L’eau fit son effet, et notre homme s’endormit un moment après. La belle vint le trouver aussitôt qu’elle fut libre. Le voyant dans cet état, elle se met à le secouer, lui disant tout bas de se lever ; mais à tout cela, ni mouvement, ni réponse. Dépitée de sa lenteur à s’éveiller, elle le secoue beaucoup plus fort, en lui disant : « Lève-toi donc, gros dormeur ; si tu avais tant envie de dormir, fallait-il donc venir ici ? » La secousse qu’elle lui donna fut si forte, qu’il tomba de dessus un coffre sur lequel il s’était endormi. Cette chute ne fit pas plus d’effet sur Roger que s’il eût été mort. La dame, un peu surprise de ce qu’il ne donnait aucune marque de sentiment, se met à lui pincer le nez et à lui arracher, par douzaines, les poils de la barbe. Elle n’en est pas plus avancée : pas le moindre signe de vie ; de sorte qu’elle commença à craindre qu’il ne fût mort. Elle l’agite de nouveau, le pince plus vivement, lui pose les doigts sur la flamme de la chandelle, et voyant qu’il se brûle sans les retirer, elle ne doute plus qu’il ne soit mort. On sent quelle dut être son affliction. Elle pleura, se lamenta avec le moins de bruit qu’il lui fut possible ; mais craignant enfin d’ajouter la honte et le déshonneur à son chagrin, si l’événement venait à se découvrir, elle commença à rêver aux moyens qu’elle devait prendre pour mettre sa réputation à couvert. Elle va trouver sa fidèle servante, lui raconte en peu de mots sa triste aventure et lui demande conseil. La confidente, bien étonnée, comme on l’imagine, ne peut croire que Roger soit véritablement mort, qu’auparavant elle ne l’ait pincé, secoué de toute manière, sans en avoir arraché la moindre marque de sentiment ; mais alors, n’en doutant plus, elle fut d’avis de le porter hors de la maison. « Comment faire, répondit sa maîtresse, pour qu’on n’imagine pas que c’est ici qu’il est mort ? car on ne manquera pas de le soupçonner, lorsqu’on le trouvera dans la rue. – Que cela ne vous inquiète point, madame : j’ai vu tantôt, à nuit close, une espèce de coffre devant la boutique du menuisier du coin, qu’on a sans doute oublié d’enfermer, et qui fera notre affaire, s’il y est encore. Cette caisse n’est pas grande, mais nous pourrons l’y mettre dedans ; puis, quand nous l’y aurons enfermé, nous lui donnerons trois ou quatre coups de couteau, qui persuaderont qu’il a été assassiné ; on le croira d’autant plus aisément, que sa conduite, comme vous savez, lui a fait beaucoup d’ennemis. On imaginera qu’il a été tué en flagrant délit, et votre honneur, par ce moyen, sera à couvert. » Le conseil de la servante fut trouvé bon. Sa maîtresse consentit à le suivre, aux coups de couteau près, qu’elle ne pourrait jamais se résoudre de lui donner, et qui lui paraissaient d’ailleurs inutiles. Cette fille intelligente alla donc voir si la caisse était encore au même endroit, et l’y ayant trouvée, elle revint promptement l’annoncer à sa maîtresse, qui l’aida à charger le corps de Roger sur ses épaules, et qui sortit devant pour faire sentinelle, afin de n’être rencontrées par personne. Arrivées à l’endroit où était le coffre, elles l’ouvrent, y mettent le corps de Roger, et s’en retournent précipitamment après l’avoir refermé.

Ce même jour, deux jeunes gens qui prêtaient sur gages étaient venus se loger dans ce quartier, deux ou trois maisons au-dessus de celle du menuisier. Ayant aperçu le coffre, et n’étant pas riches en meubles, ils avaient formé le projet de l’emporter chez eux, dans le cas qu’on ne le retirât point. Ils sortent vers le minuit, dans l’intention de s’en assurer, et le trouvant à la même place, ils se hâtent de l’emporter, sans s’inquiéter ni du poids, ni de ce qu’il y avait dedans. De retour chez eux, où ils étaient sans lumière, ils le posèrent dans un coin de la chambre où couchaient leurs femmes, et s’en allèrent dormir dans la leur, qui donnait dans celle-là.

Or, il advint que Roger, qui avait cuvé son breuvage, et qui dormait depuis longtemps, se réveilla un peu avant le jour, le corps brisé, moulu, et la tête étourdie. Il ouvre les yeux, et ne voyant rien, il tâtonne et il étend les bras. Se trouvant dans une caisse, il ne sait s’il dort encore ou s’il veille. « Où suis-je donc ? Qu’est-ce que ceci ? disait-il en lui-même. Je me souviens fort bien que j’étais hier dans la chambre de ma bonne amie, que je m’endormis sur un coffre ; et, Dieu me pardonne, m’y voilà à présent dedans, si je ne me trompe. Qu’est-ce que cela signifie ? serait-il arrivé quelque accident ? le chirurgien ne serait-il point de retour ? sa femme ne m’aurait-elle pas caché ici pour me soustraire à sa jalousie ? » Cette pensée l’engagea à se tenir tranquille, et à écouter s’il n’entendrait pas quelque chose. Cependant il n’était rien moins qu’à son aise ; la caisse était petite et étroite ; il s’était tenu si longtemps dans la même attitude, que le côté sur lequel il était couché lui faisait beaucoup de mal. Pour soulager sa douleur, il voulut changer de situation et se mettre sur l’autre côté. Il le fit si lestement, que donnant des reins contre un des panneaux du coffre, qui n’était pas en lieu uni, il le fit d’abord pencher, et par un second mouvement, le renversa sur le plancher. Le bruit de la chute fut assez grand pour éveiller les femmes, dont le lit était fort près. Elles furent saisies de frayeur, sans néanmoins oser dire mot. Roger, qui sentit que la caisse s’était ouverte en tombant, et croyant qu’il valait mieux, en cas de malheur, être libre qu’enfermé, sortit tout doucement de cette étroite prison. Ignorant le lieu où il est, il va, tâtonnant çà et là, dans l’espérance de trouver quelque porte par où il puisse gagner l’escalier. Les femmes, qui entendent marcher et tâtonner, se mettent à crier d’une voix timide et tremblante : « Qui va là ? » Roger, qui ne reconnaît pas leurs voix, demeure coi et ne répond rien. Alors les femmes d’appeler leurs maris ; mais ils dorment si profondément, qu’ils ne les entendent pas. Ne voyant venir personne à leur secours, leur peur augmente. Enfin elles prennent le parti de sauter du lit, courent aux fenêtres, et crient à pleine tête : « Au voleur ! au voleur ! » Pendant que les voisins accourent à leurs cris et entrent dans la maison les uns par les toits, les autres par la porte, les maris, que ce grand bruit avait éveillés, se saisirent de Roger. Celui-ci, bien surpris de se trouver là, et de ne pouvoir s’évader, se laissa lier les bras sans dire mot. Il fut mis entre les mains des sergents du gouverneur de la ville, qui étaient accourus. En faveur de sa bonne réputation, il fut d’abord appliqué à la question, et croyant en être plutôt quitte, il convint qu’il était entré chez les usuriers pour les voler, sur quoi le gouverneur délibéra de le faire pendre.

Dès le matin, on sut dans tout Salerne que Roger avait été pris chez des prêteurs sur gages, qu’il avait intention de voler. Quand la nouvelle parvint aux oreilles de la dame et de la confidente, elles furent si surprises, qu’elles étaient tentées de croire que ce qui s’était passé la nuit dernière n’était qu’un songe. Cependant la belle, considérant le péril où était son amoureux, se tourmentait tellement, qu’il était à craindre que la tête ne lui tournât. Elle aurait voulu le sauver au péril de sa propre vie ; mais le moyen ?

Le chirurgien, arrivé sur les neuf heures du matin, dans l’intention d’aller opérer son malade, court à la fenêtre où il avait posé son eau, et trouvant la fiole vide, fait un si grand bruit, que personne n’ose se montrer devant lui. Sa femme, qui avait l’esprit occupé de tout autre chose que de son eau, lui dit avec mauvaise humeur qu’une fiole d’eau jetée par inadvertance ne valait pas la peine de faire un si grand fracas, comme si l’eau était très-rare. Le chirurgien lui répondit qu’elle était dans l’erreur d’imaginer que ce fût de l’eau commune ; il lui dit que c’était une eau composée pour faire dormir, et lui apprit à quoi il l’avait destinée. Sa femme, comprenant alors que Roger devait l’avoir bue : « C’est ce que j’ignorais, répliqua-t-elle ; mais le mal n’est pas grand, il vous sera aisé d’en faire d’autre. »

Sur ces entrefaites, la servante, qui était sortie par ordre de sa maîtresse pour apprendre des nouvelles plus positives de l’affaire de Roger, arriva, et rapporta qu’on parlait fort mal de lui, que tous ses amis l’avaient abandonné ; que pas un de ses parents ne voulait faire des démarches pour le sauver, et qu’on ne doutait pas que le prévôt ne le fît pendre le lendemain. « J’ai rencontré, ajouta-t-elle, le menuisier qui était en grande contestation avec un homme que je ne connais pas, au sujet de la caisse où nous avons porté le pauvre Roger, et qui la réclame comme lui appartenant. Le menuisier, qui l’avait sans doute en garde chez lui, prétend qu’elle lui a été volée ; l’homme l’accuse de l’avoir vendue à deux prêteurs sur gages, chez lesquels il l’a vue au moment où l’on a arrêté Roger. “Ce sont des fripons, a répliqué le menuisier, s’ils disent qu’ils me l’ont achetée. Ils l’ont enlevée cette nuit devant ma porte, où je l’avais oubliée ; ainsi ils me la payeront, ou ils vous la rendront tout à l’heure.” Sur cela, ils sont allés chez les prêteurs sur gages, et je m’en suis revenue. Je comprends, madame, d’après cette contestation, et vous en jugerez vous-même, que Roger a été transporté, dans la caisse, au lieu où il a été pris ; mais de savoir comment il est ressuscité, c’est ce que j’ignore. »

La dame, comprenant alors très-bien ce qui devait s’être passé, apprit à la confidente ce que son mari lui avait dit, et la pria de faire tout ce qu’elle pourrait pour tâcher de sauver son amant, sans toutefois la compromettre. « Enseignez-m’en les moyens, et je vous promets de faire avec zèle tout ce qui dépendra de moi. » La dame, comme la plus intéressée à la chose, fut la première à trouver un expédient. Elle en fit part à la servante, qui, le trouvant assez de son goût, consentit volontiers à le mettre en pratique. Cette fille, aussi obligeante que rusée, commença donc par aller se jeter aux pieds de Mazzeo ; elle lui demande pardon de la faute qu’elle a commise. Son maître, ne sachant ce qu’elle voulait dire. « De quelle faute veux-tu parler ? lui dit-il. – Vous connaissez Roger de Jéroli ? répondit-elle en pleurant ; eh bien, monsieur, il m’aimait depuis près d’un an, et moitié de gré, moitié de force, il m’avait obligée de l’aimer aussi. Il apprit hier au soir que vous étiez allé à Melfi, et que vous ne coucheriez pas au logis, il fit tant par ses sollicitations et ses promesses, qu’il me força de consentir à le laisser coucher avec moi. Il ne fut pas plutôt dans ma chambre qu’il eut une soif démesurée. Ne sachant avec quoi le désaltérer, et craignant que madame ne se doutât de quelque chose si j’allais querir de l’eau ou du vin dans la salle où elle était, j’allai prendre une petite bouteille pleine d’eau que je me souvins d’avoir vue sur la fenêtre. Je la lui donnai ; et après qu’il l’eut bue, je reportai au même endroit cette fiole, pour laquelle vous avez fait tant de bruit. J’avoue ma faute, monsieur, et vous en demande pardon. Qui est-ce qui n’en commet pas quelquefois ? Je suis très-repentante, très-affligée de la mienne, non-seulement à cause de votre eau, que vous avez raison de regretter, mais à cause de ce qui s’en est suivi, puisque le pauvre Roger est sur le point d’en perdre la vie. Permettez-moi donc, monsieur, d’aller à son secours ; car je suis assurée qu’il n’est point coupable. »

Quoique le chirurgien fût de très-mauvaise humeur contre sa servante, il ne put s’empêcher de la plaisanter sur son aventure. « Te voilà punie, lui répondit-il d’un ton railleur, par l’endroit sensible. Tu croyais avoir cette nuit un galant frais et dispos, et tu n’as eu qu’un dormeur. Je te permets d’aller le délivrer, si tu peux, du danger qui le menace ; je te pardonne ; mais songe à ne plus lui donner de rendez-vous chez moi ; car si cela t’arrive encore, je t’en ferai repentir de la bonne manière. »

Un commencement si favorable lui donnant sujet d’espérer, elle alla sur-le-champ à la prison où était Roger, et sut si bien amadouer le concierge, qu’elle parvint à lui parler en particulier. Après l’avoir instruit de ce qu’il devait dire pour se tirer d’affaire, sans compromettre sa maîtresse, elle alla chez le prévôt, pour en obtenir une audience particulière. Le prévôt, la trouvant à son gré, voulut en tâter avant de l’entendre. La suppliante, pour mieux réussir dans son dessein, ne fit de résistance qu’autant qu’il en fallait pour attacher plus de prix à sa complaisance. La besogne achevée, elle dit au prévôt que Roger de Jéroli, qui avait été pris et condamné comme un voleur, n’était rien moins que cela. Après lui avoir répété l’histoire qu’elle avait faite au chirurgien, elle ajouta que, l’eau l’ayant si fort endormi, elle l’avait cru mort, et que, pour se tirer d’embarras, elle l’avait porté dans le coffre. Elle lui conta ensuite la conversation du menuisier avec celui qui soutenait que le coffre avait été vendu aux prêteurs sur gages, pour lui faire comprendre que son amant prétendu pouvait bien avoir été transporté dans la maison des usuriers par les usuriers eux-mêmes.

Le prévôt, porté à obliger cette fille, qui venait elle-même de l’obliger, considérant qu’il était aisé d’éclaircir la chose, fit d’abord venir le chirurgien pour savoir s’il avait fait une eau soporifique, et Mazzeo lui confirma la vérité de cette circonstance. Le menuisier, l’homme à qui le coffre appartenait, et les deux prêteurs sur gages, furent également appelés ; et après de longs débats et un sérieux examen, il se trouva que les derniers avaient dérobé la caisse. Roger fut ensuite interrogé, pour savoir l’endroit où il avait couché la nuit dernière. « Je l’ignore, répondit-il ; tout ce que je sais, c’est que j’étais allé chez maître Mazzeo, dans l’intention de coucher avec sa servante, où je me suis endormi après avoir bu d’une certaine eau qu’elle m’a donnée pour me désaltérer, et que le matin, en me réveillant, je me suis trouvé dans un coffre dans la maison où j’ai été pris comme un voleur. »

Le prévôt, trouvant l’aventure fort plaisante, se plut à faire répéter plusieurs fois à chacun son rôle ; renvoya Roger, qu’il reconnut innocent, et condamna les prêteurs sur gages à une amende de dix onces d’argent.

Il ne faut pas demander si Roger, sa maîtresse et la servante, furent satisfaits d’un pareil jugement ; leur joie égala la crainte qu’ils avaient eue. L’amour alla toujours son train, et l’on se divertit longtemps des coups de couteau que la confidente était d’avis qu’on donnât au galant.

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