Les cheveux de ton chef sont comme la pourpre du roi.
Ô fille de prince, combien sont beaux tes pas en chaussures ! Les joinctures de tes cuisses sont comme joyaux, lesquelles sont forgées de la main de l’ouvrier. Tes deux mamelles sont comme deux bichelots gémeaux de la biche.
LA BIBLE.
– Eh bien ! l’homme, que faites-vous ? Restez donc à votre banc, et ramez en courant. Redescendons ; vous voyez bien qu’il est déjà tard. Ne m’approchez pas !…
– Vous êtes belle, ma damoiselle !
– Vous êtes fou !
– C’est vous qui m’avez mis cette folie en tête.
– Retirez-vous ; mais enfin ne me touchez pas ! Que me voulez-vous ?
– Rien, seulement ce que M. le sénéchal a voulu à ma sœur il y a trois mois.
– M. le sénéchal… vous le calomniez.
– Je le calomnie… c’est le ventre de ma sœur qui le calomnie… Oh ! les douces mains ! j’en ai peu touché d’aussi douces. Quel bonheur d’être caressé par des mains blanches et mignonnes ! le joli pied !… et la jambe, voyons !
– Au secours ! au secours ! Laissez-moi donc, grossier !
– Tout beau, tout beau, la donzelle… ne nous égosillons pas… Ah ! la jambe est divine !
– Au secours ! à l’assassin !…
– À l’assassin, non pas encore ; vous allez vite en besogne. Allons, calmons-nous, que je baise ces beaux yeux ; soyons sage, la petite, on ne vous veut pas de mal ; laissez donc, que je baise ce beau cou !
– Ah ! que je meure… Holà ! au secours ! à l’assassin !
– Vous appelez en vain, personne ne viendra ; et, d’ailleurs, puis-je pas vous faire taire ? J’ai là une provision de cordes et de quoi faire des bâillons.
– Traître ! lâche ! tuez-moi !
– Je ne m’effraie pas pour si peu ; j’ai l’habitude de cela, moi ; ce qu’on obtient de gré pour moi est sans valeur, c’est le viol que j’aime !… Aussi, à la dernière guerre d’Allemagne, m’étais-je enrôlé volontaire ; et, Dieu sait ! que j’y ai semé plus de Français que je n’y ai tué d’Allemands. Vous avez beau vous débattre, la belle, on n’est pas forte ! Je ne m’effraie pas, vous dis-je, j’ai l’habitude de cela ; je viole une fille comme vous touchez de l’épinette, et je tue, au besoin, comme vous brodez une fraise.
– Ô mon pauvre fiancé !…
– Ah ! ah ! à ce qu’il paraît, nous sommes fiancée ?… Très bien, la nuit est sereine, causons : vous êtes fiancée, ma belle vierge ?… Votre fiancé s’en passera : ce n’est pas toujours le pêcheur qui mange l’alose ; c’est ainsi qu’en ce monde, on ne peut compter sur rien ; Guillot bat, et c’est Charlot qui engraine. Oh ! que vous êtes charmante, noble dame ! que je vous aime ! Quelle joie de vous presser dans mes bras ! moi, Jean Ponthu, un passeur, un manant, une noble dame !… Oh ! si vous vouliez m’aimer !… Voyons, les belles bagues ! jolies et de prix, n’est-ce pas ? même main que ma Marion. Béni soit Dieu ! laissez donc faire, je lui offrirai de votre part…
– Vous me déchirez les doigts !…
– Souvent, quand j’étais soldat, et la nuit en védette, je réfléchissais, et je me disais : – Nous autres paysans, nos sœurs, nos filles et nos femmes sont toujours pour MM. les seigneurs, les nobles, les bourgeois ; ce sont eux qui violentent nos amies, et nous autres bétas nous ne faisons jamais rien à leurs femmes, à leurs filles ; cela n’est pas juste. Je me disais aussi : – Pourquoi donc nous autres que nous sommes pauvres, et eux autres sont-ils riches ?… Ah ! par exemple, cela, je n’ai jamais pu me l’expliquer ; ce n’est pas juste, est-ce pas ? Pour former un garçon et le rendre malin, il n’y a tel que la guerre.
Le charmant collier, les gentilles perles fines ! Ma Marion a juste le même cou que vous. Béni soit Dieu ! cela se trouve bien. Je lui offrirai de votre part, est-ce pas ?…
Vraiment, je suis désolé de dégarnir d’aussi mignonnes oreilles ; que je les baise pour la peine ! Mais, ma Marion n’a pas de pendants sortables pour la vogue prochaine, et vous sentez bien… Allons, ne pleurez pas, je lui offrirai de votre part aussi. Mais avec une toilette aussi simple, maintenant, vous ne pouvez garder ces épingles d’or en vos cheveux ; je me vois forcé de vous décoiffer… Oh ! vous êtes cent fois plus belle échevelée !
Maintenant, nous n’avons plus rien à perdre, à moins…
– Au secours ! au secours ! laissez-moi, je vous en supplie, ou tuez-moi à l’instant.
– Nous nous débattrons donc toujours ?… Maudite ! donnez ces petites mains que je les lie.
– À l’assassin ! personne ne viendra donc ?…
– Vous vous tairez, voici un bandeau qui vous apaisera ; allons, levez la tête, que je noue ce bâillon.
– De grâce, de grâce ! laissez-moi, au nom de Dieu ! oh lâchez-moi ! Que voulez-vous, de l’argent ? que voulez-vous !… vous l’aurez !…
Ah ! vous me torturez par trop, bourreau ! brigand !
Haie !… haie !… je suis perdue…
Alors, on n’entendit plus dans la barque que des plaintes sourdes, des cris étouffés, et des râlements qui s’éteignirent.
Une heure après, environ, Jean Ponthu, le batelier, sortit de dessous la tente, traînant Dina par les cheveux ; au moment où il la jeta dans la Saône, son bâillon se défit, et, d’une voix brisée, elle appela Aymar.
Et Jean Ponthu, à la proue de sa barque, un harpon à la main, penché, refoulait et renfonçait sous l’eau le corps de Dina, chaque fois qu’il remontait à la surface.