Note aux fils spirituels de Maurice Grevisse

On nous objecte souvent notre usage de l’imparfait du subjonctif après un conditionnel présent. Le Bruxellois Claude BOUMAL nous l’émet ici avec un talent et humour :

« Cela dit, n’en faites tout de même pas trop : à force de n’en rechercher que l’effet comique, on en vient à négliger la règle grammaticale qui régit l’emploi de l’imparfait du subjonctif. Ainsi, aurait-il convenu que vous vous souvinssiez que celui-ci est un temps du passé, et ne saurait donc, dans une proposition subordonnée, être utilisé à bon escient qu’en présence d’un temps passé dans la proposition principale. On dira donc :

«Il faut (ou il faudrait) que vous le sachiez», mais «Il fallait (ou il fallut) que vous le sussiez».

Et, avec des temps composés :

«Il a (ou il aura) fallu que vous le sachiez», mais «il avait fallu (ou il a fallu) que vous le sussiez».

Le mieux étant encore – lorsque le contexte s’y prête, évidemment – d’avoir recours au mode conditionnel, de préférence dans sa deuxième forme :

«Il aurait (ou, mieux : il eût) fallu que le sussiez».

N’hésitons pas non plus à recommander, chaque fois que cela semble possible, le recours à son petit frère bâtard, le plus-que-parfait du subjonctif, bien que d’un effet nettement moins drôle :

«J’eus pensé qu’il eût fallu que vous eûtes su» (qu’est-ce que je vous disais ?). »

Nous rappelons ici que le XIXe siècle pudibond avait creusé la tombe de l’imparfait du subjonctif et qu’il avait été refoulé, par la suite, au fond de nos mémoires.

C’est à l’époque de la Restauration que les manuels de grammaire ont considéré qu’il était malséant de les utiliser et, lorsque c’était possible, qu’il fallait les remplacer par des infinitifs.

GRAND DICTIONNAIRE UNIVERSEL DU XIXe SIÈCLE

Édition de 1875, Tome 14 :

Il arrive souvent que, lorsque la règle l’exige, qu’un verbe soit mis à l’imparfait du subjonctif, beaucoup de personnes emploient le présent du même mode pour ne pas se donner d’affectation qui prêterait au ridicule.

Les lignes suivantes ont paru, il y a déjà quelque temps dans le Journal de Genève qui les rapportait sans en indiquer la source. C’est un badinage sans doute, mais un badinage instructif, puisqu’il est destiné à nous démontrer qu’au-dessus de toutes les règles de grammaire, il y en a une qu’il faut observer avant tout, c’est le goût.

Il faut maintenir l’imparfait du subjonctif mais il ne faut pas en abuser, comme on l’a fait, par plaisanterie d’ailleurs, dans les vers suivants… :

Tout d’abord vous m’idolâtrâtes,

Puis ensuite vous me trompâtes,

Je n’aurais pas cru que vous le pussiez,

Ni que, mon rival, vous l’aimassiez.

Il fallait que je vous écrivisse

Et que tous les jours je vous visse

Pour que vous me le répétassiez…

etc.

* * * *

La première édition du manuel de grammaire Le Bon Usage de Maurice Grevisse date de 1936 et ce génial grammairien avait oublié cette fameuse concordance latine que nous nous plaisons à réutiliser.

DES PREUVES ÉVIDENTES

Si un ministre de l’Éducation nationale, pour des raisons louables d’uniformité des corrections des examens civils et militaires, a formulé cette loi, c’est bien la preuve que cette règle était encore en usage.

Pour la petite histoire, il a omis de formuler cette tolérance pour les conditionnels passés, 1ère forme et 2e forme. Nous commettons donc une faute lorsque nous disons :

Il aurait fallu qu’il vienne ou il eût fallu qu’il vienne !

Et le gourou Littré aurait-il commis une faute en nous annonçant :

– « Ces formes n’ont rien de rude ni d’étrange et il serait bon que l’usage ne les abandonnât pas. » ?

C. Q. F. D.

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