Le subjonctif malin

Je suis un autodidacte de l’imparfait du subjonctif car je ne me souviens plus de l’avoir appris sur les bancs de l’école (élève dissipé – peut mieux faire !).

En revanche, ce virus m’a été communiqué par un professeur de lettres, M. de Broucker, surnommé Trissotin par les élèves, qui officiait au lycée Georges Leygues de Villeneuve-sur-Lot, et qui utilisait ces formules pour nous faire tenir tranquilles (mission impossible !). Je le remercie ici pour m’avoir donné le goût de la « bonne langue ».

Thierry Chevrier, professeur d’histoire géographie en région parisienne nous écrit :

Seules des oreilles encore vierges de toute influence peuvent entendre ces formules cabalistiques sans les rejeter aussitôt comme sataniques et indésirables, et le professeur de collège que je suis s’est plus d’une fois amusé, au contact d’une classe un peu dispersée, fatiguée et peu encline à se plonger dans une ambiance propice au travail, à la cueillir tout de go d’une saillie impromptue dans le genre : « Chers petits, il serait maintenant séant que vous vous tussiez assez vite et que vous sortissiez gentiment vos affaires, afin que nous pussions sans tarder commencer notre cours dans de bonnes conditions, et que vous fussiez ainsi à même de suivre. »

Silence immédiat garanti, et concentration de regards incrédules sur le prof, suivie d’une demande hésitante du style : « Qu’est-ce que vous avez dit, M’sieur ?… Ça existe vraiment, ces temps-là, ou c’est vous qui les avez inventés ? »

La lecture de la série des San Antonio dans lesquels le vénéré Frédéric Dard faisait parler à l’imparfait du subjonctif ses personnages Pinaud et Bérurier a, je pense, contribué à l’acquisition du réflexe.

Pour moi, ces temps représentent le moyen le plus sûr de convaincre autrui de se plier à ses exigences.

Lorsque j’étais jeune, aux gentes demoiselles, avec un petit sourire en coin :

Nous dansâmes ensembles, nous nous plûmes, il serait séant que nous sortissions du bal pour aller faire un petit tour !

C’était si gentiment demandé que l’accord se faisait sans réticence aucune, enfin presque…

Au lieu de dire :

Aide-moi à lever la table. Ce qui correspond à un ordre, dire plutôt :

Il serait très opportun que tu m’aidasses à lever la table avant que nous n’allassions regarder la télé.

En revanche, ils sont très déconseillés pour s’entretenir avec les représentants de la maréchaussée :

Oh, M. l’agent, il n’aurait pas fallu que j’omisse de boucler ma ceinture ! vous vaudra sûrement une contravention supplémentaire pour insulte à agent.

Le Canadien Francis Ricordi nous écrit :

Je me souviens d’une blague que le père Mayer nous contait, c’était une nounou assise sur un banc qui donnait le sein à son poupon. Un brave zouave en uniforme s’assit auprès d’elle, un policier passa par là et lui dit :

– Pourquoi vous dérangez cette brave femme, ne voyez-vous pas qu’elle donne le sein à son bébé ?

Le brave zouave regarda la poitrine de la femme et dit :

– Il eût fallu que je le visse pour que je le susse !

Sur quoi le policier l’emmena au poste pour impertinence :

– Ah ! mon gaillard, vous vouliez sucer la mamelle de cette nounou… Attentat à la pudeur !

Vieille blague que vous connaissiez, j’en suis sûr !

Déconseillés également avec le corps médical en cas de souffrance atroce :

Allô, M. le dentiste, il faudrait que vous m’accordassiez un rendez-vous dans les plus brefs délais ! Je souffre énormément et je pense qu’il faudrait que vous m’arrachassiez une dent de sagesse !

Il supposera que vous êtes un plaisantin !

Cependant, c’est en qualité de vendeur que ce « tic » m’a le plus servi…

– Madame, réfléchîtes-vous à ma proposition car il faudrait que vous prissiez une décision immédiatement pour que je vous livrasse au plus tôt et que vous fussiez en mesure d’apprécier les services de mon appareil.

Bouche bée, la parole coupée, la cliente oubliait ses objections et la conclusion était bien plus aisée !

Les réfractaires se défendaient avec des :

– Oui, je réfléchîtes…

Mais la bonne humeur dégagée laissait toujours la porte ouverte.

À une époque, je me suis occupé du service après-vente d’une entreprise, et lorsqu’il s’agissait de réclamations, je conseillais à ma secrétaire de noter les coordonnées de la cliente mécontente et de ne jamais me la passer en direct.

Je la rappelais :

– Allô ! Mme Untel, ici M. X de la société Y, vous nous appelâtes ?

Cela donnait souvent :

– Oui, j’appelâtes !

Mais déjà, le ballon de rancœur s’était un peu dégonflé et il était facile d’intimer :

– Il faudrait que nous réglassions rapidement votre problème pour que vous vous servissiez au mieux de votre appareil…

Et en quelques coups de « servisse » ou autre « dépannasse », la cliente rassérénée raccrochait avec le sourire…

« Monsieur, je devrais dire, cher monsieur, puisque le Point m’apprend que nous sommes liés par un même goût de l’imparfait du subjonctif. L’article du Point m’a amusé car je ne pensais pas que cette passion put être aussi répandue.

Il faut dire que l’utilisation habituelle que je fais de la deuxième personne du pluriel de l’imparfait du subjonctif n’est pas entièrement désintéressée. En effet, je défends les victimes d’accidents contre les compagnies d’assurances. J’appelle donc quotidiennement les rédacteurs ou les inspecteurs des diverses compagnies et, lorsque je dis : J’eusse aimé que vous recherchassiez tel dossier… À la lassitude habituelle de mon interlocuteur succèdent un intérêt et une curiosité amusés qui facilitent les rapports qui suivent.

Ceci dit, ma lettre a surtout pour but de vous demander les conditions d’adhésion à CO. R. U. P. S. I. S. à laquelle je ferais volontiers partie.

Il va de soi que si vous avez l’occasion de venir à Paris, je serai (futur) heureux, afin que nous puissions nous rencontrer, que vous me téléphoniez et non pas « téléphonassiez » car l’utilisation de l’imparfait du subjonctif laisse planer une nuance d’incertitude que n’implique pas l’utilisation du présent. Avec mes encouragements, je vous adresse, Monsieur, mes salutations les meilleures ».

Jacques Grumbach (adhérent 533)

Déstabilisation et humour sont les moteurs de la bonne relation avec autrui et ces formules utilisées avec un petit sourire engendrent toujours de la bonne humeur et de la sympathie avec son interlocuteur.

À dose homéopathique, ces temps représentent le moyen le plus sûr de se singulariser tout en restant dans l’orthodoxie de la langue…

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