Singulier subjonctif

Le passé simple et l’imparfait du subjonctif sont deux conjugaisons liées qui souffrent du même mal.

Le passé simple est toujours vivant à l’écrit, notamment les troisièmes personnes du singulier et du pluriel qui sont naturellement employées par les enfants dans leurs premières narrations.

La fée ouvrit la porte et entra. Les nains entrèrent à leur tour.

L’imparfait du subjonctif, lui, est totalement oublié, réservé à des lettrés qui ne l’utilisent également qu’aux troisièmes personnes du singulier ou du pluriel.

J’espérais qu’elle vînt, elle arriva !

Grevisse

Que vouliez-vous qu’il fît, contre trois ?

Qu’il mourût, ou qu’un beau désespoir alors le secourût !

Corneille, Horace.

Auraient-ils osé écrire : J’espérais que vous vinssiez, vous vîntes !

ou Que vous mourussiez ou qu’un beau désespoir alors vous secourût !

Depuis trois siècles, la langue d’oïl a oublié la vieille concordance des temps latine et s’est bornée à utiliser l’imparfait du subjonctif pour exprimer l’éventualité.

C’est parce que ces deux temps sont réservés à l’écrit que, par esprit de contradiction ou par anticonformisme, le CO. R. U. P. S. I. S. en prône l’usage dans le langage parlé !

Ce qui ne déplaît pas à certains, comme Alexis Boddaert, journaliste à La Nouvelle République du Centre-Ouest , qui écrit :

« SERVISSES COMPRIS AU PARDAILHAN »

À la recherche de deux temps perdus, Alain Bouissière sert dans son bistrot de Dordogne l’imparfait du subjonctif autant que le Monbazillac. Il fallait que je visse cet amoureux du fût pour que je busse ses paroles.

– Vous nous appelâtes parce que vous lûtes des articles sur notre amour du passé simple et de l’imparfait du subjonctif ?

– Palsambleu, il serait séant que vous vinssiez nous voir ! D’autant plus d’accord que vous êtes en Dordogne au pays du foie gras et du Monbazillac.

Qu’un cabaretier serveur de grands crus et amoureux du fût fasse cohabiter le Grevisse et le pastis n’est au fond pas étonnant !

– Qu’il pleuve ou qu’il vente, il ne faudrait pas que nous ratassions notre rendez-vous. J’arrive afin que vos paroles je buvasse.

– Non, je busse !

Qui emploie encore, oralement surtout, ce passé simple et cet imparfait du subjonctif dont l’usage s’est pratiquement perdu au milieu du XIX e siècle avant que nous existassions tous ? George Sand trouvait cet imparfait-là affreux d’autant qu’il était, écrivait-elle, inconnu des paysans ! Impossible d’ailleurs de conjuguer ainsi les verbes traire et braire ! (…)

Quant au passé simple, Alain Bouissière souhaiterait qu’on ne l’employât pas qu’aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel. Quand il lance à ses clients du petit matin : « dormîtes-vous bien ? », ceux-ci restent souvent cois. À la perplexité succède souvent un sourire libérateur. « J’aimerais que tu me servisses un café » lancera cet habitué du zinc de Monpazier. Ici, ces « servisses » sont compris entre le Bescherelle et la prunelle.

L’emploi du passé simple et de l’imparfait du subjonctif ne va évidemment pas sans quelques jeux de mots. (…)

Même employés correctement, ces deux temps ne sont pas toujours convenables. « Certes vous le pûtes, dira l’autre, mais pour que je le reçusse, encore eût-il fallu que vous le conçussiez. (…) »

Qui n’a pas trébuché sur l’emploi de ces temps retors ? Comme le fit dire Thierry Le Luron à sa caricature de Georges Marchais : « Encore eût-il fallu que je le sachiasse ! »

Avec l’imparfait du subjonctif, l’ordre devient plus doux, fait remarquer le patron de bistrot. « Il serait important que vous m’aidassiez à débarrasser cette table afin que nous allassions nous coucher (…) »

L’initiative d’Alain Bouissière a tant plu que mille personnes sont venues grossir un comité baptisé CO. R. U. P. S. I. S., dont fait partie Jean Dutourd « en toute complicité subjonctive et subjective ». À Monpazier, on aimerait bien convaincre Frédéric Dard et Fabrice Lucchini, deux adeptes du genre. Les anonymes, eux, jouent le jeu dans leurs lettres.

Tavernier, vous êtes peut-être l’as des « asses » mais à trop s’enivrer de subjonctif et de passé simple, il serait fâcheux que nous nous déshydratassions ! Il serait temps que vous m’écoutassiez, que nous levassions le coude et que nous trinquassions à la concordance des temps avant que nous mourussions. Décidément, ce monde est aussi imparfait que subjectif et si on trouve le passé simple, le futur nous paraîtra toujours bien compliqué.

Alexis Boddaert

Que le vouvoiement permet de formules cocasses et agréablement choquantes !

Vous vous annonçâtes, vous vîntes, nous conversâmes et, sur l’oreiller, nous nous plûmes !

Très vigilant auprès de la clientèle (complice) :

Si vous avez besoin de quelque chose, il faudrait que vous nous hélassiez !

– Dormîtes-vous bien ? aux clients de l’hôtel vaut bien un bon café pour les réveiller !

Lors de leur départ :

Vous plûtes-vous ? Réponse garantie :

Oui, nous nous plûtes !

Inquisiteur :

Lûtes-vous le dépliant touristique que je vous ai donné ?

Qu’il est plaisant de déranger autrui avec l’arsenal offert par la langue française et de lire sur le visage de ses contemporains ces mimiques successives : la surprise, la réflexion et le sourire libératoire de celui qui a enfin compris !

Feu Jean Laguionie (décédé en avril 1998) nous écrivait :

Monsieur, j’ai lu hier dans Sud-Ouest l’article : L’imparfait du subjonctif au bistrot.

J’avais déjà appris votre initiative par ce journal. Il fallait y penser et je vous félicite.

L’imparfait du subjonctif est employé couramment par les Espagnols qui s’en servent comme des autres temps sans se rengorger d’être tombés juste.

Notre langue d’oc fait de même et une dame âgée m’a dit l’autre jour, traduit directement de sa langue maternelle : Si vous fussiez venu, hier vous auriez pu le voir.

Je suis né en 1932, de père et mère instituteurs et je peux dire que, déjà, l’imparfait du subjonctif n’abondait pas dans nos rédactions. Il fallait lire les classiques pour en rencontrer quelques-uns.

En revanche, le passé simple nous servait beaucoup, comme l’inévitable paire de bottes de l’agriculteur. C’est lourd mais c’est commode…

L’imparfait du subjonctif, assené dans la conversation sans prévenir, provoque des réactions vives tel le recul d’un fusil de guerre. À un ancien élève devenu quincaillier, je demandai un article tarabiscoté, genre vis à pas inversé : j’en ai pas, me dit-il et moi : J’aurais pourtant aimé que vous en eussiez !

Les yeux exorbités il s’écria : PU. U. U. U. TAIN !

Je crois qu’il existe un poème fait d’une accumulation d’imparfaits et vous devez le posséder. Il était du genre : « Fallait-il que vous m’aimassiez et que je vous idolâtrasse pour que… etc. »

Mais où le retrouver ? Peut-être quelque vieil instituteur le sait-il encore ou le tient-il au chaud dans ses archives ?

Monpazier c’est loin ! Si j’y passe, j’irai vous voir (certitude). Si je passais, j’irais vous voir (moins certain). En passant à Monpazier, il serait opportun que je vous visse et que vous me servissiez quelque rafraîchissement.

En 1902, Rémy de Gourmont, déclarait à propos des formules :

Il faudrait que nous sussions, que nous reçussions,

« N’hésitons pas à les proférer lorsque nous voulons exciter le rire ou la stupeur ». Ces formules cocasses appartiennent à notre inconscient collectif et elles nous font sourire parce qu’elles sont équivoques.

Pierre Gallon nous a procuré ce texte à propos d’Alphonse Allais :

C’est à l’époque du Chat Noir que se placent ses tumultueuses amours avec Jane Avril. Avant de la traquer, comme je l’ai dit, revolver en main, tout au long de l’avenue Trudaine, Alphi avait composé pour elle le poème d’amour suivant, dont on ne sait si l’on doit admirer surtout la noblesse du sentiment ou la perfection grammaticale.

Monsieur, si j’en crois l’hebdomadaire La Vie de la mi-mai 1997, vous êtes un ardent défenseur de notre belle et riche langue française, même dans les vocables les plus délicats à exprimer. Je me permets donc de vous en transmettre un échantillon croustillant, dû, autant que je sache, à l’un des poètes et chansonniers de Montmartre aux alentours des années 1900. Je vous en souhaite bonne et réjouissante lecture. Amitiés.

B. Lepelletier

Les stances du professeur de grammaire à sa bien-aimée :

Oui, dès l’instant où je vous vis,

Beauté féroce, vous me plûtes ;

De l’amour qu’en vos yeux je pris,

Sur-le-champ, vous vous aperçûtes.

Mais de quel air froid vous reçûtes

Tous les soins que je vous rendis !

Combien de soupirs je perdis !

De quelle cruauté vous fûtes !

Et quel profond dédain vous eûtes

Pour les vœux que je vous offris !

En vain, je priai, je gémis,

Dans votre dureté vous sûtes

Mépriser tout ce que je fis.

Même un jour je vous écrivis

Un billet tendre que vous lûtes,

Et je ne sais comment vous pûtes,

Voir de sang froid, ce que j’y mis

Ah ! Fallait-il que je vous visse,

Fallait-il que vous me plussiez,

Qu’ingénument je vous le disse,

Qu’avec orgueil vous vous tussiez ;

Fallait-il que je vous aimasse,

Que vous me désespérassiez,

Et qu’en vain je m’opiniâtrasse

Et que je vous idolâtrasse,

Pour que vous m’assassinassiez ?

Ce poème est attribué à tort à Alphi, Alphonse Allais, sous le titre :

Épître amoureuse d’un puriste, complainte amoureuse adressée à la danseuse Jane Avril.

Signe d’une appartenance à la tradition orale, toutes les versions de ce poème ne sont pas identiques, certains l’attribuant à Alphonse Allais, d’autres à Georges Courteline.

Nous nous bornerons à citer la source la plus ancienne que nous ayons retrouvé, datant de 1875, retrouvée dans le GRAND DICTIONNAIRE UNIVERSEL DU XIXe SIÈCLE, tome XIV :

Il arrive souvent, lorsque la règle l’exige, qu’un verbe soit mis à l’imparfait du subjonctif ; beaucoup de personnes emploient le présent du même mode pour ne pas se donner d’affectation qui prêterait au ridicule.

Les lignes suivantes ont paru, il y a déjà quelque temps dans le Journal de Genèvequi les rapportait sans en indiquer la source. C’est un badinage sans doute, mais un badinage instructif, puisqu’il est destiné à nous démontrer qu’au-dessus de toutes les règles de grammaire, il y en a une qu’il faut observer avant tout, c’est le goût.

Il faut maintenir l’imparfait du subjonctif mais il ne faut pas en abuser, comme on l’a fait, par plaisanterie d’ailleurs dans les vers suivants :

Suivait in extenso le poème « Épître amoureuse d’un puriste » cité plus haut.

Notre campagne médiatique a fait resurgir (ressurgir, avec deux esses, il me semble que cela sourd mieux !) des mémoires ces quelques strophes qui ont fait partie des épreuves obligées des bizutages d’hypokhâgne et de khâgne et qui ont amusé les potaches jusqu’à la dernière guerre.

Autre version :

Tout d’abord vous m’idolâtrâtes,

Puis ensuite vous me trompâtes,

Je n’aurais pas cru que vous le pussiez,

Ni que, mon rival, vous l’aimassiez.

Il fallait que je vous écrivisse

Et que tous les jours je vous visse

Pour que vous me le répétassiez…

Vous ne m’aimiez plus ; il fallait que j’eusse

Assez de force pour que je pusse

Prendre mon cœur sans que vous le retinssiez

Pour pas que vous ne l’abimassiez.

Combien de cruautés vous eûtes !

Que de noirs projets vous conçûtes

Pour que vous m’ensorcelassiez

Et que vous me poignardassiez !

Oui, dès l’instant que je vous vis,

Sachez de moi que vous me plûtes !

De l’amour qu’à vos yeux je pris

Sur-le-champ vous vous aperçûtes.

Mais de quel air froid vous reçûtes

Tous les soins que je vous rendis !

Combien de soupirs je perdis !

De quelle cruauté vous fûtes !

Et quel profond dédain vous eûtes

Pour les vœux que je vous appris !

En vain je priai, je gémis ;

Dans votre dureté, vous sûtes

Mépriser tout ce que je fis !

Ah ! Fallait-il que je vous visse !

Fallait-il que vous me plussiez !

Qu’ingénument je vous le disse,

Qu’avec orgueil vous vous tussiez !

Fallait-il que je vous aimasse,

Que vous me désespérassiez,

Et qu’en vain je m’opiniâtrasse

Et que je vous idolâtrasse

Pour que vous m’assassinassiez !

Fallait-il, Madame, que j’en vinsse

Qu’à vos fers vous me retinssiez ?

Que, pour quelque temps, je m’abstinsse,

Et plus épris je redevinsse,

Sans que compte vous m’en tinssiez.

Fallait-il que je me complusse

À jurer sans que vous me crussiez

Et que trop tard je m’aperçusse

Qu’il fallait qu’alors je mourusse

Sans qu’aucun gré vous m’en eussiez !

Dans ce que nous venons de lire, le XIXe siècle pudibond avait creusé la tombe de l’imparfait du subjonctif et c’est pour ces mêmes raisons qu’il a été refoulé au fond de nos mémoires.

C’est à l’époque de la Restauration que les manuels de grammaire ont considéré qu’il était malséant de les utiliser et, lorsque c’était possible, qu’il fallait les remplacer par des infinitifs.

Les lettres suivantes illustrent parfaitement les raisons de la désaffection de ces temps :

Monsieur, je viens de découvrir votre intérêt pour l’imparfait du subjonctif. Je vous signale que j’ai dû abandonner cet usage le jour ou voulant dire :

– « Certes, vous pouviez le faire, mais pour que je le reçoive, il aurait fallu le concevoir. », j’ai annoncé :

– « Certes, vous le pûtes, mais pour que je le reçusse, encore eût-il fallu que vous le conçussiez. »

Avouez que ce n’est pas convenable !

Bien à vous

Yves Brette

ou encore cette lettre d’une adhérente :

Cher monsieur, lorsque nous nous rencontrâmes au début du mois, et que vous me fîtes l’honneur de m’accepter dans votre association, je vous promis ma citation ; je ne pus vous la donner sur le moment, car il eût fallu que je la connusse par cœur. La voici donc :

« Je l’ai dit un jour à Léon-Pierre Quint, lui-même homosexuel sans que je le susse. »

Béatrice Lumeau (adhérente 813)

Toutefois, il faut relativiser les visées de notre association. Il s’agit plus d’utiliser la truculence de la langue française que de vouloir imposer un retour en arrière.

Au contraire, il s’agit de remettre en service un arsenal de termes pittoresques et truculents tout en restant dans l’orthodoxie de la grammaire et de rajouter à notre langue actuelle des termes anciens oubliés.

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