VII

– « Maman ne se sent pas très bien, » disait Renée à Jaffeux, quelques minutes plus tard. Elle l’avait presque aussitôt trouvé, en effet, à la place indiquée, et tous deux remontaient dans ce même ascenseur, où l’autre soir Pierre Stéphane se cachait pour fuir le témoin de sa lointaine faute. – « Vous allez lui parler de mon frère. Je le sais. Je vous en conjure, monsieur Jaffeux, ménagez-la… »

– « Je n’ai heureusement à lui rapporter de Gilbert que des propos qui lui feront le plus grand plaisir, et d’abord qu’il s’est engagé sur l’honneur à ne plus jamais toucher une carte…

– « Vous avez obtenu de lui cette parole ? »

– « Moi, non, » répliqua-t-il, un peu gêné par cette question si directe.

– « Qui, alors ? » demanda-t-elle.

– « Il ne m’a nommé personne… » Et, saisissant, par un réflexe professionnel, cette occasion de contrôler l’autre accusation de la lettre anonyme : « Savez-vous qui je suis tenté de soupçonner ? C’est invraisemblable… M. Neyrial, le danseur… »

Renée ne répondit pas. Ce silence même, le frémissement de ses paupières, la contraction de son visage disaient assez quelle impression elle éprouvait à entendre ce nom. Mais déjà elle introduisait l’avocat dans la chambre de sa mère et se retirait discrètement dans la sienne, pour laisser toute liberté à leur entretien. Une espérance venait de la consoler dans sa détresse. Jaffeux rendrait témoignage à celui qu’elle aimait et d’un sentiment si trouble ! Ce sont, hélas ! les plus profonds. Elle savait trop bien, comme elle l’avait reconnu devant sa mère, qu’elle ne pouvait pas, qu’elle ne devait pas l’épouser. Elle n’était pas chez elle depuis dix minutes, quand la voix de l’avocat, l’appelant par la porte, la fit tressaillir. Il lui sembla y surprendre un accent d’émotion, comme de pitié. La malade subissait-elle une nouvelle crise ? Non. Mme Favy, – signe qu’au contraire elle se sentait mieux, – se tenait maintenant assise sur le canapé. Mais pourquoi cette pitié aussi dans ses yeux, comme dans le regard de Jaffeux, si impersonnel, si surveillé d’habitude ?

– « Ma chère Renée, » disait la mère, « j’ai tenu à ce que notre excellent ami, » – Que de reconnaissance dans cette appellation ! – « te répétât ce qu’il vient de m’apprendre. Il faut que tu saches d’abord que je lui ai montré la lettre anonyme. »

– « Oh maman, pourquoi ?… »

– « Mais c’est providentiel, mon enfant, que j’aie eu cette idée ! Avant d’avoir lu cette lettre, M. Jaffeux, par délicatesse, se faisait un scrupule de nous dire ce qu’il sait sur un misérable dont j’ai été la dupe, comme toi. Ce Neyrial, à qui nous nous sommes intéressés, que j’ai laissé ton frère traiter comme un ami, c’est un bandit… »

– « Un bandit ?… » balbutia Renée ; et, s’adressant à l’avocat – « Mais, tout à l’heure encore, vous l’estimiez, vous admettiez comme possible qu’il eût obtenu de mon frère cette promesse de ne plus jouer… »

– « C’était une petite épreuve, » dit Jaffeux, « pardonnez-la-moi. Je voulais me rendre compte du degré de votre sympathie pour ce misérable. Le mot que votre mère vient de lui appliquer n’est que trop exact. Jugez-en. »

Et, sans remords, maintenant, de son implacabilité envers le séducteur, dont il fallait à tout prix préserver la jeune fille, l’ancien patron de Pierre-Stéphane commença de raconter le vol de livres dont il avait été la victime, et la disparition de son secrétaire, puis comment il l’avait retrouvé l’avant-veille, et pourquoi il s’était tu. Le voleur pouvait être redevenu honnête homme. Il disait maintenant sa visite au commissariat, aussitôt averti de la disparition du bijou de lady Ardrahan, et l’aveu du danseur. Renée Favy écoutait ce discours, terrible pour elle, les yeux baissés, le visage immobile et comme figé, dans une attitude dont le calme contrastait étrangement avec sa nervosité d’auparavant. Quand l’accusateur eut fini, elle releva la tête, et, le fixant avec des yeux de désespoir, mais sans une larme :

– « C’est bien vrai, monsieur Jaffeux ? demanda-t-elle. « À votre tour, pardonnez-moi. C’est bien vrai ?… »

– « Mais, Renée !… » interjeta la mère.

– « Je ne suis pas offensé, » fit l’avocat. « C’est tout naturel que la fille d’une mère comme vous, madame, et d’un père comme le colonel Favy, élevée comme elle l’a été et vivant dans votre milieu, ne croie pas facilement à de certaines vilenies… »

Et, se tournant vers la jeune fille, il l’interpella, lui si volontiers cérémonieux, en des termes qui révélaient sa propre émotion devant le coup qu’il lui portait pour la guérir :

– « Oui, ma chère petite Renée, tout ce que je vous ai rapporté est strictement vrai. Je vous en donne ma parole d’honneur. »

– « Je vous crois, monsieur Jaffeux… »

Et elle sortit de la chambre.

– « Vous n’avez pas peur, madame ?… » interrogea l’avocat.

– « Qu’elle ne commette un acte de désespoir ? » dit la mère ; et, par allusion à sa propre déclaration de tout à l’heure : – « Elle aussi, elle a un courage de soldat. Elle sait souffrir. Toute petite, elle était déjà si énergique. Personne ne l’a jamais entendue se plaindre. En ce moment même, j’en suis sûre, elle ne se plaint pas. Elle est assise. Elle endure, comme son père, quand il a été blessé en Champagne et que le chirurgien lui demandait en le charcutant : « Je vous fais mal, mon colonel ?… » – « Très mal, » répondait mon mari, « mais se battre contre la douleur, c’est encore se battre, c’est mon métier. »

– « Allez tout de même auprès d’elle, madame, » dit Jaffeux.

– « Et mon fils ? » répondit Mme Favy. « D’après votre conversation avec lui, vous admettez comme possible que cet abominable Neyrial lui ait prêté de l’argent pour payer une dette de jeu. Il faut le savoir, et, si c’est exact, que cet argent soit rendu tout de suite. »

– « Laissez-moi me charger encore de ça, madame. Une explication entre Gilbert et vous, à cette minute, et dans l’état où vous êtes, vous ne la supporteriez pas. Vous auriez une nouvelle crise. Ce qu’il faut, c’est vous soigner. Pour votre fille, d’abord… » – Et, désignant de la main la chambre de Renée – « Allez auprès d’elle, je vous le répète… Quant à l’autre chose, fiez-vous à moi. »

Mme Favy s’était levée et marchait vers la porte. Elle s’arrêta pour demander :

– « Cette promesse de ne plus jouer, vous ne pensez pas que ce soit à cet homme que Gilbert l’ait faite ? Ce serait trop contradictoire avec tout le reste. »

– « Plus les incidents se multiplient, » dit Jaffeux, « plus je pense que Pierre-Stéphane Beurtin est devenu un redoutable roué et que nous nous trouvons en présence de la plus calculée des intrigues. Il a parfaitement vu, soyez-en assurée, que Renée est très naïve et qu’il lui troublait le cœur. S’est-il simplement amusé de la passion qu’il voyait naître dans cette enfant ? A-t-il rêvé de la séduire ?… »

Et, sur un geste de révolte de la mère :

– « Pardon, madame. Mais le courage, c’est aussi de voir les choses telles qu’elles sont. Pour moi, ce brigand s’est imaginé, la sachant riche, – il a dû prendre des renseignements, – qu’il arriverait à l’épouser, s’il lui tournait tout à fait la tête, peut-être en l’enlevant. La sympathie du frère lui était nécessaire. D’où ce prêt d’argent, d’où cette promesse de ne plus jouer arrachée au remords de ce pauvre garçon, de quoi se donner auprès de vous figure d’honnête homme et de sage conseiller. Votre déconcertement devant cette action prouve que ce calcul n’était pas si faux. »

– « Mais que d’horreurs ! » s ‘écria Mme Favy. « Comme je bénis Dieu que vous soyez venu dans cet hôtel ! Je frémis à la pensée de ce qui pouvait arriver. »

– « Allez, madame, allez, » insista Jaffeux, et, comme il ouvrait la porte de Renée, d’un geste qui prolongeait sa parole, il put la voir, les yeux fixes, immobile, toujours sans une larme sur les joues, ainsi que la mère l’avait annoncé.

« C’est vrai qu’elle sait souffrir, » se disait-il lui-même en s’éloignant, tandis que Mme Favy marchait vers sa fille qui continuait à ne pas se retourner. « Elle endure, comme son père, et moi, j’aurai été le chirurgien. Au tour du frère, à présent. L’opération sera moins sanglante, mais plus délicate. Que s’est-t-il passé réellement avec Pierre-Stéphane ? C’est cette affaire du prêt d’argent qu’il faut tirer au clair. Ce n’est pas facile. Il a quelque chose en lui de si défiant, et d’abord pas de regard, comme les gens qui se sont trop défendus intérieurement contre leur entourage. » Le souvenir du colonel lui revenait à la pensée, et le mot rapporté tout à l’heure par sa femme : « Si c’est le métier d’un soldat de se battre, » se disait-il encore, « le métier d’avocat, c’est de faire causer ceux qui veulent se taire. J’aurai votre secret, monsieur Gilbert Favy… »

Le jeune homme était à une des tables du hall, comme il l’avait dit, en train de libeller l’adresse d’une lettre. Il se leva pour aller au bureau acheter un timbre. Jaffeux le suivit.

– « Eh bien ! » commença-t-il, « j’ai parlé à madame votre mère. Elle est rassurée. Mais, moi, j’ai notre conversation sur le cœur. »

– « Que voulez-vous dire ? »

– « Que je vous ai laissé faire l’éloge de M. Neyrial, le danseur, sans protester, et que j’ai eu tort. »

– « Et pourquoi ? » interrogea Gilbert, avec cette demi-ironie, si insolente dans son apparente déférence, des jeunes gens vis-à-vis des aînés qu’ils trouvent « vieux jeu ». « Parce que je vous ai avoué que je lui enviais son métier ?… »

– « Non, j’admets très bien que la destinée amène quelqu’un à devenir danseur mondain dans un hôtel et qu’il reste un très honnête homme ? »

– « Alors, M. Neyrial n’est pas un honnête homme ? »

– « Non, » dit Jaffeux, « et ce que je me reproche, c’est de ne pas vous avoir averti tout de suite, par une pitié pour lui, que je ne peux plus avoir… Vous allez comprendre… »

Tandis qu’il répétait, presque mot pour mot, le récit de ses anciens rapports avec son secrétaire, fait une demi-heure plus tôt devant la pauvre Renée Favy, la physionomie de son auditeur révélait d’une façon saisissante la différence de sensibilité entre le frère et la sœur. La compression paternelle avait créé en elle une de ces exaltées silencieuses qui se réfugient dans le rêve, mais rien n’était touché dans cette âme des principes inculqués par cette compression même. D’apprendre l’infamie de celui qu’elle aimait ou croyait aimer, lui avait été un écroulement moral autant que sentimental. Pour Gilbert, – ses propos sur les bonnes fortunes du danseur l’avaient prouvé à Jaffeux, – s’évader de l’atmosphère familiale, ç’avait été déjà se corrompre. Ce passé de Neyrial l’étonnait, sans l’indigner. Il en écoutait le détail avec un intérêt qui se manifesta, quand l’avocat conclut, n’ayant encore parlé que du premier vol : « Voilà pourquoi vous l’avez vu, dès mon arrivée, quitter l’hôtel… » par une question singulière :

– « Aviez-vous jamais eu à vous plaindre de lui, avant ? »

– « Jamais. »

– « Voyons, monsieur Jaffeux, n’estimez-vous pas que l’on peut redevenir un très honnête homme, après une première faute, commise dans une heure d’aberration ? »

– « Oui. Mais il ne faut pas recommencer, et Pierre-Stéphane a recommencé, pas plus tard que cette semaine, et ici même. Il a volé, dans la chambre d’une dame anglaise, une barrette d’émeraudes et de diamants, oubliée sur la table à toilette. Il se savait soupçonné. Il a rapporté lui-même le bijou au commissaire, qui lui a fait avouer… »

– « Qu’il était l’auteur du vol ? » interrogea Gilbert d’une voix frémissante.

– « Parfaitement. Il n’y avait pas de plainte officielle. Ce commissaire a cru ne pas devoir donner suite à l’affaire. Pour moi, cet aveu et cette restitution ne rachètent rien. Il a eu peur de mon témoignage sur son premier vol, tout simplement… »

Ce tressaillement du jeune homme, le geste de stupeur et de protestation qu’il n’avait pu retenir, le flot de sang dont s’empourpraient ses joues, tout dans son attitude à cette minute, aurait dû, semble-t-il, rappeler à Jaffeux cette hypothèse du policier qui, une fois déjà, lui avait traversé l’esprit. Mais non. L’avocat portait maintenant dans sa tête un système dont tous les détails se liaient si clairement l’aventurier projetant de conquérir la jeune fille et sa fortune, en s’assurant l’appui du frère, premier groupe de faits. Second groupe le vol du bijou et la restitution provoquée par la terreur de sa présence, à lui, Jaffeux. L’automatisme professionnel marque à la fois la puissance et la limite de nos facultés. Habitué dans ses plaidoiries à dégager les données logiques d’un procès, et à s’y tenir, il ne chercha pas au trouble de son interlocuteur une autre cause que celle qui s’insérait très naturellement dans la trame de ses déductions. Comment s’étonner que Gilbert, si léger fût-il, éprouvât un sursaut de révolte à l’idée d’être l’obligé d’un escroc ? Et, poussant sa pointe de ce côté, Jaffeux continuait :

– « Vous n’avez pas voulu me nommer tout à l’heure la personne qui vous a secouru après votre perte au jeu. Si, par hasard, c’était M. Neyrial, le fils du colonel Favy ne peut pas devoir de l’argent à un voleur. Voilà pourquoi je me suis considéré, par respect pour votre père, comme engagé d’honneur à vous renseigner sur un personnage, qui n’a malheureusement pas dupé que vous. Ai-je besoin d’ajouter que je suis à votre disposition pour vous avancer l’argent nécessaire au remboursement de cette dette ?… »

Puis, comme il voyait le jeune homme de plus en plus ému, il lui prit la main, et, paternel :

– « Allons, mon enfant, combien lui devez-vous ? »

– « Mille cinquante francs, » dit brusquement Gilbert, de cette voix passionnée qui sort du fond le plus intime de l’être. « Monsieur Jaffeux, cet aveu que je pourrais vous refuser, je vous le fais pour avoir le droit de vous parler de Neyrial, comme tout à l’heure, de la générosité, de la délicatesse. Il me voit dans la détresse, dans l’agonie. Car j’étais dans l’agonie. Il me sauve, et comment !…

Il s’arrête une seconde, et, rougissant de nouveau :

– « Est-ce d’un homme de cœur, cette charité-là, oui ou non ? Car enfin il n’avait aucun intérêt à me sauver… »

– « Aucun intérêt ? » répliqua Jaffeux. Mais celui d’avoir un allié dans la cour qu’il fait à votre sœur… »

– « À ma sœur ? Lui ? Qui vous a dit cela ? »

– « Madame votre mère. Elle a été avertie par une lettre anonyme qu’elle a montrée à Renée, et celle-ci a dû reconnaître…

– « Qu’elle se laissait faire la cour ? »

– « Qu’elle s’intéressait à lui plus que de raison. »

– « Et maman ? »

– « Elle a été si remuée qu’elle a eu une demi-syncope. Rassurez-vous. La crise est passée. Comprenez-vous, maintenant, le manège de cet homme de cœur ? Sachant que vous êtes unis, vous et Renée, qu’est-ce qu’il a voulu ? Tout simplement vous faire plaider sa cause auprès d’elle, et vous rendre son complice, à votre insu, dans son entreprise de séduction ? Je sais. Vous allez me répondre : « On ne séduit pas une Renée Favy. Elle a trop d’honneur. » Aussi, l’avisé coquin n’a-t-il pas cru une seconde qu’il pouvait devenir son amant. Mais plus une jeune fille est pure, plus elle caresse le rêve d’un mariage d’amour, surtout quand elle croit réparer une injustice du sort. Se faire aimer pour amener la pauvre enfant à ce rêve-là, tel a été son plan. Vous me direz encore : « Mais ce mariage avec un danseur d’hôtel, c’est fou, jamais mon père n’y donnera son consentement. » Ce garçon ne connaît pas votre père. Il a le droit de penser qu’une fois de plus le cas qui s’est produit des centaines de fois se reproduira : la volonté passionnée d’une jeune fille faisant céder les parents. D’ailleurs qu’un calcul soit insensé, ce n’est pas une raison pour qu’un aventurier comme lui, et déclassé, ne le fasse pas. Il a fait ce calcul, et il vous a mis dedans. C’est le cas d’employer cette expression, – dans les deux sens. Mais tout cela, c’est du passé. Il est parti. Votre mère et votre sœur sont éclairées sur son compte. Il ne faut qu’il ait l’idée de se rapprocher d’elles par vous. Tenez, asseyez-vous à cette table… »

Et, tirant son portefeuille de sa poche, puis, de ce portefeuille des billets de banque :

– « Un mot sur votre carte, simplement. Mettez-la dans une de ces enveloppes de l’hôtel avec ces billets. C’est moi qui vais libeller l’adresse. Je la sais par le directeur. »

Et, penché sur la table à son tour, la plume à la main :

– « Beurtin connaît mon écriture. Il comprendra. Fermez l’enveloppe. Il faut la mettre à la poste en la recommandant et déclarant la somme pour qu’il ne puisse pas nier qu’il a été payé. »

– « Je vais à la ville, » dit Gilbert Favy, « et dans une heure…

Il avait fait un pas, l’enveloppe à la main, et, se retournant tout d’un coup :

– « Monsieur Jaffeux… » dit-il.

Distinctement des mots lui venaient aux lèvres, – lesquels et découvrant quel mystère ? – Il ne les prononça pas, et se reprenant, après cette énigmatique interruption :

– « Alors Renée a vraiment avoué qu’elle l’aimait ? »

– « Elle l’a avoué. »

– « À ma mère. Mais à lui, à Neyrial ? »

– « Je n’en sais rien, » dit Jaffeux, mais qu’il l’ait deviné, j’en suis trop sûr. Il m’avait suffi, à moi, de la voir le regarder dans ce thé-dansant, pour m’en convaincre. C’est pour vous empêcher, vous, Gilbert, de vous en apercevoir, qu’il vous a joué cette comédie d’amitié. Vous avez été sa dupe. »

– « Je ne la suis plus, » fit le jeune homme en montrant la lettre. « Voilà qui va le lui prouver, et merci, monsieur Jaffeux, merci… »

« Tous deux sont mis en garde, à présent, » se disait Jaffeux, quelques minutes plus tard, en le regardant, de la terrasse, marcher d’une allure rapide dans l’allée du jardin qui menait à la sortie. « Comme disent les marins : « À Dieu vat ! » L’inspecteur a eu tort tout de même de ne pas faire arrêter ce brigand de Pierre-Stéphane, puisqu’il y avait eu vol. Moi aussi, j’ai eu tort, autrefois. Je me suis tant reproché d’avoir été trop dur pour lui. Avec ces natures perverses, on ne l’est jamais assez. » Et, continuant de suivre des yeux Gilbert, arrivé maintenant au portail : « Que celui-ci est influençable ! Je l’ai retourné si vite. Cependant, il hésitait encore tout à l’heure. Pourvu qu’il ne rencontre pas l’autre avant d’avoir envoyé sa lettre ? Non. Dès qu’il a été question de sa sœur, comme il a vibré ! La famille, voilà le point de force dans cette vieille bourgeoisie française. Les Beurtin en étaient pourtant. Ah ! comment ce Pierre-Stéphane a-t-il pu descendre si bas, avec cette mère incomparable ? Et quel roué ! Avoir demandé à sa dupe sa parole d’honneur de ne plus jouer ! J’entends d’ici ce pauvre Gilbert parler à Renée de son bienfaiteur, comme à moi… Enfin, justice est faite. Il n’était que temps. »

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