I. Conflits dogmatiques

Dans le dernier grand conflit relatif à la nature du Christ qui se produisit en Orient au VIIIe siècle, on peut voir se perpétuer les idées qui régnaient dans la philosophie grecque sur le divin et l’humain ; c’est avec des notions platoniciennes que les monophysites avaient essayé de penser le miracle de l’Homme-Dieu : l’âme, dans son ascension vers le Principe suprême, se transforme en intelligence, puis l’intelligence dans l’Un, sans qu’il reste à chaque étape aucun résidu de l’étape précédente ; arrivés au niveau de l’Un, nous ne pouvons parler de nous-mêmes ; nous ne subsistons plus comme âme. Les monophysites enseignaient que, à plus forte raison, quand le Verbe se fait chair, il ne laisse point subsister en lui la nature humaine 0. Une fois le monophysitisme écarté, comment comprendre les rapports des deux natures, humaine et divine ? Ici encore, une thèse, issue de la mystique platonicienne, s’impose d’abord. On sait que le platonisme concevait le rapport de l’âme avec le corps comme celui d’un agent avec un organe ou un instrument ; et il faut se rappeler que l’âme est une essence divine. Dans la divination inspirée, telle que celle des Sibylles ou de l’oracle d’Apollon, le devin passait pour un simple instrument du dieu ; passif, sans volonté propre, il ne parle et n’agit que selon la volonté du dieu. Le monoénergisme ou monothélisme, qui se répandit en Orient au VIIe siècle, soutenait de même, au sujet des rapports des deux natures dans le Christ, que toute l’initiative de ses actes revient à la nature divine, dont la nature humaine n’est que l’instrument passif. La parenté de cette thèse avec celle des monophysites est évidente : il s’agit, dans les deux cas, de résorber la nature en Dieu. C’est même cette parenté qui lui a donné sa raison d’être : elle fut en quelque manière fabriquée sur mesure en 619 par Sergius, patriarche de Constantinople, dans l’intérêt de la politique de l’empereur Héraclius ; il y avait beaucoup de chrétiens monophysites chez l’adversaire perse, qui, après 634, fut remplacé par l’adversaire arabe ; l’affirmation de monoénergisme qui fut publiée en Égypte, en Arménie, en Perse, devait être un moyen de gagner à sa cause les monophysites de ces divers pays. L’affaire paraissait réussir, lorsque en 633, la thèse trouva des contradicteurs, en Orient même, chez les moines Sophonius et Maxime, dont le second devint, en 634, patriarche de Jérusalem. Le conflit fut porté devant le pape et, après beaucoup de discussions compliquées, aboutit, en 681, à la condamnation du monothélisme par le Concile de Constantinople : c’était une victoire éclatante de la papauté sur l’idéalisme spiritualiste encore très fort en Orient : on proclamait que, comme il y avait dans le Christ deux natures, il y avait aussi deux volontés naturelles et deux opérations naturelles 0.

On peut dire que ce fut aussi la fin de cette interprétation mystique et philosophique des dogmes qui avaient engendré tant de conflits en Orient. Les dogmes, tels qu’ils s’expriment maintenant, tendent à maintenir, à l’intérieur de la nature divine, des distinctions que le mysticisme voulait supprimer ou négligeait : l’affirmation dogmatique se détache de plus en plus de la vie mystique.

Share on Twitter Share on Facebook