PREMIER CITOYEN : J'ai atteint la grille, et je peux distinguer autour du Doge les Dix revêtus de leurs robes de cérémonie.
DEUXIÈME CITOYEN : Je ne puis aller aussi loin que toi, malgré mes efforts. Que se passe-t-il ? Parle-nous du moins, puisqu'il n'y a que ceux qui sont aux barreaux de la grille qui peuvent voir.
PREMIER CITOYEN : Un d'eux s'est approché du Doge ; il ôte de dessus sa tête la toque ducale... Le Doge lève les yeux au ciel ; je les vois briller, et ses lèvres se meuvent... Silence !... silence !... Non, ce n'est qu'un murmure... maudite soit la distance !... Ses paroles sont inarticulées ; mais sa voix grossit comme un tonnerre sourd. Si nous pouvions entendre une seule phrase !
DEUXIÈME CITOYEN : Silence ! peut-être entendrons-nous.
PREMIER CITOYEN : C'est en vain, je ne puis... Sa blanche chevelure flotte sur ses épaules, comme l'écume sur les flots... Maintenant, maintenant il s'agenouille... On forme un cercle autour de lui. On ne voit plus rien... Mais j'aperçois la hache levée en l'air... Ah ! écoutez... elle frappe.
Le peuple murmure.
TROISIÈME CITOYEN : Ils ont tué celui qui voulait nous affranchir.
QUATRIÈME CITOYEN : Il fut toujours bon pour le peuple.
CINQUIÈME CITOYEN : Ils ont fait prudemment de fermer leurs portes. Si nous avions su ce qu'ils préparaient avant de venir ici, nous aurions porté des armes pour les enfoncer.
SIXIÈME CITOYEN : Êtes-vous sûr qu'il est mort ?
PREMIER CITOYEN : J'ai vu tomber la hache. Mais voyez... que nous vient-on montrer ?
Un chef des Dix se présente sur le balcon du palais, avec un glaive sanglant. Il l'agite trois fois aux yeux du peuple, et s'écrie :
La justice a frappé le traître !
Les portes s'ouvrent ; la populace se précipite vers l'escalier du Géant, où l'exécution a eu lieu. Les premiers crient aux autres :
La tête sanglante roule sur les marches de l'escalier.
La toile tombe.
FIN