Notes

Je me sers de la traduction de l'excellente édition des Mémoires de Ludlow, dans la Collection des Mémoires relatifs à la révolution d'Angleterre, par M. Guizot. (N.d.A.) Ce document, trouvé avec les lettres de la reine et du roi dans la cassette de Charles, perdue sur le champ de bataille de Naseby, est évidemment falsifié. On ne conçoit pas d'abord comment un document semblable a été conservé par Charles depuis l'année 1626 jusqu'à l'année 1645 parmi des papiers récents et une correspondance toute relative à la guerre civile. Ensuite ces paroles, je passerai sous silence l'affront qu'elle me fit avant que j'allasse à cette dernière et malheureuse assemblée du parlement, si elles signifient quelque chose, présentent un grossier anachronisme. Henriette-Marie débarqua à Douvres le 11 juin 1625 ; le roi Charles, nouvellement parvenu au trône, ouvrit son premier parlement le 18 du même mois, et en prononça la dissolution le 12 août. Il convoqua un second parlement en 1626 ; et ce parlement orageux, à cause de l'accusation de Buckingham, fut cassé au mois de juin de cette même année. Charles n'alla point à cette dernière et malheureuse assemblée du parlement . Il est évident que les faussaires, ne faisant point attention aux dates, ont voulu parler du long parlement, où Charles se transporta en effet le 4 janvier 1642, pour faire arrêter six membres de la chambre des communes, lesquels avaient été avertis des projets du roi par la trahison de la comtesse de Carlisle, jadis maîtresse de Strafford, ensuite attachée à Pym et favorite de la reine. Enfin, le roi parle dans ce document des dévotions de la reine à Tiburn : l'esprit de fanatisme accusait Henriette-Marie d'être allée prier devant la potence à laquelle avaient été pendus quelques prêtres catholiques. Or il est démontré par les pièces diplomatiques anglaises que cette imputation était dénuée de tout fondement. Charles ne pouvait pas écrire ce que son gouvernement même ne croyait pas. (N.d.A.) Note des Mémoires de Ludlow, collect. Guiz. (N.d.A.) Vie de Henriette-Marie. (N.d.A.) Vie de Henriette-Marie. (N.d.A.) Note des Mémoires de Ludlow, collect. Guiz. (N.d.A.) Vie de Henriette-Marie. (N.d.A.) Journaux du P ., IV, 314. (N.d.A.)

Ce fut donc par l'avis de la reine que Charles Ier annonça au conseil des pairs réunis à York la convocation d'un parlement.

Pour ne s'occuper que des affaires intérieures, il se fallait débarrasser des Ecossais. En vain Strafford s'opposa au traité déshonorant que l'on conclut avec eux ; en vain il montra, par une action hardie, combien il était facile de les vaincre ; le roi n'écouta rien, et se hâta de revenir à Londres. Le quatrième parlement avait été dissous le 5 mai 1640, et le 3 novembre de la même année s'ouvrit cette cinquième assemblée, si fameuse dans l'histoire sous le nom du long parlement .

Charles avait passé douze années sans appeler les communes ; il s'était hâté, après ce laps de temps, de les disperser de nouveau ; on ne s'étonne donc pas de voir, par une réaction naturelle, les communes, irritées, établir le bill des parlements triennaux, enlever au roi le pouvoir de proroger ces parlements et de les dissoudre ; par ce seul acte, la monarchie constitutionnelle était changée en une démocratie royale. Le monarque qui avait tant combattu pour la prérogative lorsqu'elle n'était pas virtuellement attaquée l'abandonna au moment même où on lui porta les plus rudes coups.

Désespérant d'être utile à un prince si faible, Strafford avait voulu se retirer du ministère ; Charles retint le conseiller fidèle qui, ne le pouvant plus servir, se dévoua.

Un dessein tout à fait digne du caractère déterminé de Strafford avait été conçu : le ministre voulait dénoncer au parlement même les membres de ce parlement qui avaient appelé l'armée écossaise en Angleterre. Les preuves de l'appel existaient ; mais ceux que Strafford prétendait le devancèrent. Pym présenta, au nom des communes, à la barre de la chambre des pairs, une accusation de haute trahison contre Strafford, qui fut immédiatement saisi et envoyé à la Tour.

Charles alors, croyant adoucir les communes, consentit à tout ce qu'elles voulurent entreprendre contre l'autorité de la couronne ; mais en renonçant, comme on vient de le dire, au pouvoir de dissoudre le parlement, il se priva du moyen le plus sûr de sauver son ami.

Les chefs du parti étaient, dans la chambre des lords, le duc de Bedford, lord Say, lord Mandeville et le comte d'Essex.

Le duc de Bedford jouissait d'un revenu immense, qui provenait en grande partie des confiscations dont la couronne avait doté sa famille. Il avait ce commun bon sens que le vulgaire prend pour de la sagesse : orgueilleux d'une richesse de mauvaise origine, et d'une raison suffisante pour vaquer aux intérêts ordinaires de la vie, regardant les bienfaits des cours, non comme une faveur, mais comme un tribut payé à sa puissance, Bedford, si zélé pour le régime légal, et dont les biens étaient les iniques présents de l'arbitraire, se réservait, au jour du malheur, le droit d'être ingrat.

Lord Say, violent puritain, n'avait qu'une fortune médiocre. Son ambition était démesurée, son esprit fin, son caractère réservé : les royalistes n'avaient pas d'ennemi plus dangereux.

Sans talents réels, avec de l'urbanité et quelque chose de sincère, lord Mandeville gagna l'affection et la confiance des communes.

Quant au comte d'Essex, dupe des chefs populaires qui flattaient sa vanité, c'était un de ces hommes, à l'esprit étroit et faux, pour qui l'expérience est nulle ; un de ces hommes qui voient le bonheur de l'espèce dans le malheur de l'individu, toujours prêts à recommencer les mêmes fautes, toujours s'ébahissant de ce qui arrive ; personnages qui sont les niais d'un parti, comme d'autres en sont les trafiquants ou les héros.

Dans la chambre des communes, Pym était chargé de toutes les propositions de loi ; il n'avait d'autre talent que celui des affaires, auxquelles il semblait donner du poids par une parole lourde et un ton dogmatique ; il ne manquait pas de conscience, et son jugement était droit. Il ne désirait qu'une amélioration dans le gouvernement : chef des réformateurs à la naissance des troubles, il se trouva loin derrière eux quand la révolution eut fait des progrès.

Hampden vint à point pour aider au renversement d'un empire : passé tout à coup d'une vie dissipée aux moeurs les plus sévères, cachant sous les dehors de l'affabilité des desseins vastes, il est probable qu'il conçut l'idée d'une république quand on ne songeait encore qu'aux privilèges parlementaires.

Hampden prenait une partie de sa force dans la flexibilité de ses talents : son éloquence et son esprit étaient à volonté concis ou diffus, clairs ou embarrassés, et cette obscurité, dont il était le maître, lui donnait plus de puissance en le rattachant aux défauts de son siècle. Tantôt il résumait les débats du parlement avec une précision admirable, quand ces débats menaient au triomphe de son opinion ; tantôt il embrouillait la question de manière à la faire ajourner, si elle paraissait se résoudre contre son avis. Poli et modeste avec art, paraissant se défier de son jugement et céder à celui d'autrui, il finissait toujours par emporter ce qu'il désirait. Intrépide à l'armée, profond dans la connaissance des hommes, lui seul devina Cromwell, alors que la foule n'apercevait encore rien dans ce destructeur du trône des Stuarts. Sylla pénétra de même l'âme de César : les aigles voient de loin et de haut. On a cru pourtant qu'Hampden fut tenté par la proposition à lui faite d'être gouverneur du prince de Galles, s'il voulait, avec Pym et Hollis, s'engager à sauver Strafford .

Sombre, vindicatif, implacable, Saint-John formait avec Pym et Hampden le triumvirat qui dominait la nation. Ces trois hommes se servaient encore du fanatisme de Fiennes et des talents de sir Henry Vane.

Celui-ci joignait à une dissimulation profonde un esprit prompt et une parole mordante : dans la laideur bizarre de sa physionomie on croyait lire des destinées extraordinaires. Emporté par une imagination inquiète et ardente, libertin à Londres, puritain à Genève, séditieux à Boston, Vane excitait partout des troubles ; il enflammait les esprits pour des principes dont il se jouait. Après avoir traîné une vie d'aventures sur tous les rivages, il revint dans son pays, où la révolution semblait attirer et demander son fatal génie.

Strafford ayant été mis en accusation, le parlement crut qu'il était temps de recourir aux grandes mesures populaires. On fit sortir des prisons et promener en triomphe trois écrivains condamnés pour des libelles. Dans les temps de troubles, la licence de la presse est souvent confondue avec la liberté de la presse, et l'on se sert ensuite de la crainte qu'inspire la première pour enchaîner la seconde : Milton prit la plume en faveur de celle-ci. On trouve pour la première fois le grand nom de l'Homère anglais confondu parmi ceux des pamphlétaires du temps, comme on lit le nom d'Olivier Cromwell sur la liste des colonels de cavalerie de l'armée parlementaire. Des pétitions étaient colportées de maison en maison, et revêtues de la signature d'honnêtes citoyens dont la bonne foi était surprise. Quiconque à la chambre basse se montrait modéré perdait son siège : on trouvait cent causes de nullité à son élection ; et quiconque entrait violemment dans les idées du jour restait député, sa nomination fût-elle entachée de tous les vices. Le pouvoir passé entièrement aux communes, il fut aisé de prévoir la mort de Strafford.

Cet homme n'eut qu'un défaut, et ce défaut le perdit : il méprisait trop les conseils et les obstacles. Fait par la nature pour commander, la moindre contradiction lui était insupportable. L'empire appartient sans doute aux talents, la souveraineté réside dans le génie ; mais c'est un malheur quand le sentiment d'une supériorité incontestable est révélé à celui qui la possède dans une seconde place, alors qu'il lui est impossible d'atteindre à la première. Ce qui serait grandeur et puissance légitime au plus haut degré de l'ordre social devient un degré plus bas orgueil et tyrannie.

Amené devant la chambre des pairs, Strafford sans assistance, sans préparation, sans connaître même les accusations dont il était chargé, luttant seul contre la faiblesse du roi, la fougue des communes, le torrent de l'inimitié populaire, Strafford se défendait avec tant de présence d'esprit, que ses juges n'osèrent d'abord prononcer la sentence.

Toutes les paroles de l'illustre infortuné furent calmes, dignes, pathétiques et modestes. Son discours, qui nous est resté, n'est point souillé du jargon de l'époque. Strafford, dans son adversité, se montra aussi supérieur aux Pym et aux Fiennes par la beauté du génie que par la grandeur de l'âme. La conclusion de sa défense, citée partout, arracha des pleurs à ses ennemis :

« Mylords, j'ai retenu ici vos seigneuries beaucoup plus longtemps que je ne l'aurais dû ; je serais inexcusable si je n'avais parlé pour l'intérêt de ces gages qu'une sainte, maintenant dans le ciel, m'a laissés (il montrait ses enfants, et ses pleurs l'interrompirent) ; ce que je perds moi-même n'est rien ; mais, je l'avoue, ce que mes indiscrétions vont faire perdre à mes enfants m'affecte profondément : je vous prie de me pardonner cette faiblesse. J'aurais voulu dire quelque chose de plus, mais j'en suis incapable à présent : ainsi je me tairai.

« Et maintenant, mylords, je remercie Dieu de m'avoir instruit, par sa grâce, de l'extrême vanité des biens de la terre comparés à l'importance de notre salut éternel. En toute humilité et en toute paix d'esprit, mylords, je me soumets à votre sentence. Que cet équitable jugement soit pour la vie ou pour la mort, je me reposerai plein de gratitude et d'amour dans les bras du grand Auteur de mon existence. »

Socrate fut moins soumis : il accusa ses juges à la fin de son apologie. « Il est temps, leur dit-il, que je me retire, vous, pour vivre, moi, pour mourir. »

Ce ne fut qu'à force de menaces que l'on parvint à faire condamner Strafford dans la chambre des pairs : malgré ces violences, dix-neuf voix sur quarante-six l'osèrent encore absoudre.

L'accusé, dans sa défense, avait surtout foudroyé Pym, l'accusateur, réduit à balbutier une misérable réplique. L'animosité des communes contre Strafford n'était peut-être si grande que parce que le noble pair avait fait partie de la chambre populaire, et qu'il s'était montré lui même ardent adversaire de la couronne. Les chefs plébéiens le regardaient comme un déserteur. L'envie s'attachait aussi à l'élévation du ministre de Charles : le mérite oublié plaît ; récompensé, il offusque.

Enfin, il faut dire encore que les partis ont un merveilleux instinct pour découvrir et pour perdre les hommes de taille à les combattre. Dans les grandes révolutions, le talent qui heurte de front ces révolutions est écrasé ; le talent qui les suit peut seul s'en rendre maître : il les domine lorsque, ayant épuisé leurs forces, elles n'ont plus pour elles le poids des masses et l'énergie des premiers mouvements. Mais cette sorte de talent complice appartient à des personnages plus grands par la tête que par le coeur, car ils sont longtemps obligés de se cacher dans le crime pour s'emparer de la puissance.

Charles dans son palais, tremblant pour les jours de la reine, nomma une commission chargée de ratifier tous les bills portés à la sanction royale. Parmi ces bills se trouvait celui qui condamnait Strafford : dernière et misérable faiblesse d'un prince qui cherchait à couvrir son ingratitude à ses propres yeux, en comprenant dans un acte général de l'autorité suprême l'acte particulier qui donnait la mort à un ami ! On sait que le monarque fut déterminé à permettre l'exécution de la sentence par la chose même qui l'aurait dû affermir dans la résolution de s'y opposer. Le magnanime Strafford écrivit une lettre à Charles pour dégager la conscience de son roi et lui donner la permission de le faire mourir.

« Ma vie, lui mandait-il, ne vaut pas les soins que Votre Majesté prend pour me la conserver : je vous la donne avec empressement en échange des bontés dont vous m'ayez comblé, et comme un gage de réconciliation entre vous et votre peuple. Jetez seulement un regard de compassion sur mon pauvre fils et sur ses trois soeurs. »

De tous les conseillers de la couronne, Juxon, évêque de Londres, eut seul le courage de dire au roi qu'il ne devait pas souscrire à la condamnation s'il ne trouvait pas Strafford coupable. Exemple frappant de la justice divine ! ce fut ce même Juxon, cet équitable et courageux prélat, qui assista Charles Ier à l'échafaud.

Lorsque Strafford apprit que son supplice avait été autorisé, il se leva avec étonnement de son siège, et s'écria dans le langage de l'Ecriture ; « Ne mettez point votre confiance dans la parole des princes ni dans les enfants des hommes. » Strafford avait-il cru au courage du roi ? un reste d'amour de la vie s'était-il caché au fond du coeur d'un grand homme ?

Charles n'apaisa point les esprits en laissant verser le sang de son ministre : une lâcheté n'a jamais sauvé personne. Les princes de la terre, que des fautes ou des crimes exposent souvent à perdre la couronne, feraient mieux de la compromettre quelquefois pour des causes saintes.

Au surplus, l'infortuné Stuart ne cessa de se reprocher sa faiblesse : condamné à son tour, il déclara que sa mort était un juste talion de celle de Strafford. Cette confession publique, prononcée à haute voix sur l'échafaud, est une des plus hautes leçons de l'histoire : la postérité n'a pas absous l'ami, mais elle a pardonné au monarque en faveur de la sincérité du repentir et de la grandeur de l'expiation.

Strafford s'était certainement rendu coupable d'actes arbitraires en Irlande ; mais l'Irlande avait été gouvernée. Je tout temps par l'autorité militaire et par des lois exceptionnelles. D'ailleurs les limites des privilèges de la couronne et des droits du parlement étaient encore si confuses, que l'on se pouvait ranger du côté d'un de ces deux pouvoirs d'après des antécédents d'une égale autorité. Cinquante ans plus tard, Strafford eût été sévèrement mais justement condamné ; à l'époque de l'arrêt prononcé sur lui, les lois qu'on lui appliqua étaient ou non faites, ou contestées, ou détruites par d'autres lois. Le bill d' attainder renferma implicitement le délit et la peine ; la sentence fut à la fois un jugement et une loi, laquelle loi avait un effet rétroactif : il y eut donc violence et iniquité.

Strafford se prépara au supplice avec le plus grand calme . Le 22 mai 1641, au matin, on le conduisit au lieu de l'exécution : en passant au pied de la tour où l'archevêque Laud, accusé comme lui, était renfermé, il éleva la voix, et pria le prélat de le bénir. Le vieillard parut à la fenêtre ; ses cheveux étaient blancs, des larmes baignaient son visage, deux ecclésiastiques le soutenaient. Strafford se mit à genoux : Laud passa ses mains à travers les barreaux ; il essaya de donner une bénédiction, que l'âge, l'infortune et la douleur ne lui permirent pas d'achever ; il défaillit dans les bras de ses deux assistants.

Strafford se releva, prit la route de l'échafaud où le vieil évêque le devait suivre. Le ministre de Charles marcha au supplice d'un air serein, au milieu des insultes de la populace. Avant de poser le front sur le billot, il prononça ces paroles : « Je crains qu'une révolution qui commence par verser le sang ne finisse par les plus grandes calamités et ne rende malheureux ceux qui l'entreprennent. » Il livra sa tête, et passa à l'éternité (1641).

La révolution précipite son cours ; le roi part pour l'Ecosse ; la conspiration irlandaise éclate et est suivie d'un des plus horribles massacres dont il soit fait mention dans l'histoire ; les chefs du parti puritain saisissent cette occasion pour hâter la marche des événements. Charles revient de l'Ecosse ; le parlement lui présente des remontrances séditieuses, et fait emprisonner les évêques.

Irrité de tant d'affronts, le roi va lui-même accuser de haute trahison dans la chambre des communes les six membres les plus fameux de la faction puritaine. Ceux-ci, prévenus de cette imprudente démarche par une indiscrétion de la reine, se réfugient dans la cité. Une insurrection éclate ; les bruits les plus absurdes se répandent : tantôt c'est la rivière que les cavaliers doivent faire sauter en l'air par l'explosion d'une mine ; tantôt ce sont ces mêmes cavaliers (les royalistes) qui viennent mettre le feu à la demeure des têtes rondes (les parlementaires). Menacée d'un décret d'accusation, la reine force le roi à donner sa sanction à la loi qui privait les évêques du droit de voter. Henriette quitte l'Angleterre ; Charles se retire à York, après avoir refusé d'apposer sa signature au bill relatif à la milice ; bill qui tendait à mettre le pouvoir militaire aux mains de la chambre élective : de part et d'autre on se prépare à la guerre.

On remarque dans la conduite du roi, depuis son avènement au trône jusqu'à l'époque de la guerre civile, cette incertitude qui prépare les catastrophes. Entêté de la prérogative, il se la laissa d'abord arracher par lambeaux, et la livra ensuite toute à la fois ; il était brave : il pouvait en appeler à l'épée, et il ne recourut aux armes que quand ses ennemis eurent acquis le pouvoir de résister ; toutes les voies constitutionnelles lui étaient ouvertes pour agir au nom de la constitution, même contre le parlement, et il n'entra point dans ces voies. Enfin, Charles lutta inutilement contre la force des choses ; son temps l'avait devancé : ce n'était pas sa nation seule qui l'entraînait, c'était le genre humain ; il voulut ce qui n'était plus possible. La liberté conquise s'alla perdre d'abord dans le despotisme militaire, qui la dépouilla de son anarchie ; mais enlevée aux pères, elle fut substituée aux fils, et resta en dernier résultat à l'Angleterre.

Dans les combats de plume qui précédèrent des combats plus sanglants, le parti de Charles eut presque toujours raison par le fond et par la forme : ce parti posa très nettement les questions relatives aux formes du gouvernement ; il prouva que la constitution anglaise était composée de monarchie, d'aristocratie et de démocratie (c'était la première fois que l'on s'exprimait ainsi) ; il prouva que les demandes du parlement tendaient à dénaturer la constitution monarchique et à jeter la Grande-Bretagne dans l'état populaire, le pire de tous les états. Falkland et Clarendon écrivaient pour le roi ; tous deux étaient ennemis déclarés des mesures arbitraires de la cour.

Pourquoi un parti si raisonnable dans ses doctrines ne fut-il pas écouté ? C'est qu'on ne le crut pas sincère, et qu'ensuite il était froid ; il se trouvait placé du côté d'un pouvoir qui tendait à conserver, tandis que les passions étaient du côté d'un pouvoir qui voulait détruire. Enfin, ce parti était dépassé dans ses sentiments de liberté par les puritains, qui marchaient à la république. Plus tard on retourna aux principes de Clarendon et de Falkland ; mais il fallut dévorer vingt ans de calamités. Ainsi nous sommes revenus en 1814 aux doctrines de 1789 : nous aurions pu nous épargner le luxe de nos maux.

Cependant (il est triste de le dire), les crimes et les misères des révolutions ne sont pas toujours des trésors de la colère divine dépensés en vain chez les peuples. Ces crimes et ces misères profitent quelquefois aux générations subséquentes, par l'énergie qu'ils leur donnent, les préjugés qu'ils leur enlèvent, les haines dont ils les délivrent, les lumières dont ils les éclairent. Ces crimes et ces misères, considérés comme leçons de Dieu, instruisent les nations, les rendent circonspectes, les affermissent dans des principes de liberté raisonnables ; principes qu'elles seraient toujours tentées de regarder comme insuffisants si l'expérience douloureuse d'une liberté sous une autre forme n'avait été faite.

Falkland a laissé un de ces souvenirs mêlés de mélancolie et d'admiration qui attendrissent l'âme. Il était doué du triple génie des lettres, des armes et de la politique. Il fut fidèle aux muses sous la tente, à la liberté dans le palais des rois, dévoué à un monarque infortuné sans méconnaître les fautes de ce monarque. Accablé des maux de son pays, fatigué du poids de l'existence, il se laissa aller à une tristesse qui se faisait remarquer jusque dans la négligence de ses vêtements. Il chercha et trouva la mort à la bataille de Naseby : on devina son dessein de quitter la vie au changement de ses habits : il s'était paré comme pour un jour de fête.

Le chancelier Clarendon, qui, de son côté, servit si bien Charles Ier, vint dans la suite mourir à Rouen, exilé par Charles II, qui lui devait en partie sa couronne. Sous le règne de ce dernier prince, on condamna à être brûlé par la main du bourreau le mémoire justificatif du vertueux magistrat dont les écrits mêlés à ceux de Falkland avaient fait triompher la cause royale.

L'étendard royal planté à Nottingham donna, dit Hume, le signal de la discorde et de la guerre civile à toute la nation. Clarendon remarque que les parlementaires avaient commis le premier acte d'hostilité en s'emparant des magasins de Hull. L'observation est juste, mais le parlement avait agi dans ses intérêts : lorsque dans les troubles des empires on en est venu à l'emploi de la force, il s'agit moins de la première attaque que de la dernière victoire.

La fortune se déclara d'abord pour le roi : la reine lui amena des secours. Il assembla à Oxford les membres du parlement qui lui étaient demeurés fidèles, afin de combattre le parlement de Londres : ainsi sous la Ligue nous avions le parlement de Tours et celui de Paris ; « mais depuis, dit Bossuet, des retours soudains, des changements inouïs, la rébellion longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse ; nul frein à la licence, les lois abolies, la majestée violée par des attentats jusque alors inconnus ; l'usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté ».

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