Les Quatre Stuarts

François-René de Chateaubriand

Il naquit sans doute dans la Grande-Bretagne en 1603, à l'avènement de Jacques Ier, plusieurs individus qui ne moururent qu'en 1688, à la chute de Jacques II : ainsi tout l'empire des Stuarts en Angleterre ne fut pas plus long que la vie d'un vieil homme. Quatre-vingt-cinq ans suffirent à la disparition totale de quatre rois qui montèrent sur le trône d'Elisabeth, avec la fatalité, les préjugés et les malheurs attachés à leur race.

Jacques, comme beaucoup de princes dévots, fut gouverné par des favoris : tandis qu'avec sa plume il combattait pour le droit divin, il laissait le sceptre à Buckingham, qui usait et abusait du droit politique : le favori prenait les vices de la royauté, dont le monarque retenait les vertus. Souvent les princes se plaisent à déléguer le pouvoir à un ministre dont ils reconnaissent eux-mêmes l'indignité ; imitant Dieu, dont ils se disent l'image, ils ont l'orgueil de créer quelque chose de rien.

Jacques expira sans violence dans le lit de la femme qui avait tué Marie d'Ecosse, de cette noble Marie, qui, selon une tradition, créa son bourreau gentilhomme ou chevalier ; de cette belle veuve de François de France, laquelle désira avoir la tête tranchée avec une épée à la française, raconte Etienne Pasquier. Le bourreau montra la tête séparée du corps, dit Pierre de L'Estoile, et comme en cette montre la coiffure chut en terre, on vit que l'ennui avait rendu toute chauve cette pauvre reine de quarante-cinq ans, après une prison de dix-huit . Mais Jacques n'en travailla pas moins à établir les principes qui devaient amener la fin tragique de Charles Ier : il mourut toujours tremblant entre l'épée qui l'avait effrayé dans le ventre de sa mère, et le glaive qui devait tomber sur la tête de son fils. Son règne ne fut que l'espace qui sépara les deux échafauds de Fotheringay et de Whitehall ; espace obscur, où s'éteignirent Bacon et Shakespeare.

Jacques était auteur, et auteur non sans mérite. Son Basilicon Doron, qui servit de modèle à l' Eikon Basiliké, renfermait cette inutile leçon pour Charles son fils : « Ne vous en rapportez point à des gens qui ont des intérêts à vous cacher les besoins de vos sujets, afin de vous tenir dans la dépendance, et qui ne portent jamais au souverain les plaintes publiques que comme des révoltes, donnant aux larmes du peuple les noms de désobéissance et de rébellion. »

Charles parvint à la puissance suprême rempli des idées romanesques de Buckingham et des maximes de l'absolu Jacques Ier. Mais Jacques n'avait défendu le droit divin que par la controverse ; sa vanité littéraire et sa modération naturelle avaient permis la réplique : de là était née la liberté des opinions politiques ; la liberté des opinions religieuses était déjà sortie de la lutte entre l'esprit catholique et l'esprit protestant.

De très bonne foi dans ses doctrines, Charles tenait des traditions paternelles que les privilèges de la couronne sont inaliénables, que le roi régnant n'en est que l'usufruitier, qu'il les doit transmettre intacts à son successeur.

La nation, au contraire, commençant à douter de l'étendue de ces privilèges, soutenait que le trône en avait usurpé une partie sur elle. Les premiers symptômes de division éclatèrent lorsque Charles voulut continuer la guerre allumée dans le Palatinat ; le parlement refusa l'argent demandé : avant d'accorder le subside, il prétendit obtenir la réparation des griefs dont il se plaignait ; il sollicitait surtout l'éloignement d'un insolent favori. Charles crut son autorité attaquée : il s'entêta à soutenir Buckingham, cassa le parlement, et leva, en vertu de certaines vieilles lois, des taxes arbitraires. Le reste de son règne s'écoula dans le même esprit.

Charles fit des efforts pour gouverner sans parlement ; mais la nécessité salutaire de la monarchie représentative, nécessité qui oblige le prince à la modération, afin d'opérer la levée paisible de l'impôt, ramenait de force la couronne au principe constitutionnel. Plus le roi avait agi selon le bon plaisir, plus on exigeait de lui de garanties : il cédait ou s'emportait de nouveau, et ses concessions et ses emportements finissaient toujours par la reconnaissance de quelques droits. Dans ce conflit, de grands talents se formèrent, les limites de différents pouvoirs se tracèrent, le chaos politique se débrouilla : à travers beaucoup de passions on entrevit beaucoup de vérités, et quand les passions s'évanouirent, les vérités restèrent.

Buckingham, mignon de Jacques, et qui troubla les premières années du règne de Charles Ier, a fait plus de bruit dans l'histoire passée qu'il n'en fera dans l'histoire à venir, parce qu'il ne se rattache ni à quelque grand mouvement de l'esprit humain ni à quelque grand vice ou à quelque grande vertu dans la chaîne de la morale.

Buckingham était un de ces hommes comme il y en a tant, prodigue, débauché, d'une beauté fade, d'un orgueil démesuré, d'un esprit étroit et fou, un de ces hommes tout physiques, où la chair et le sang dominent l'intelligence. Le favori se croyait un général, et n'était qu'un soldat. Fanfaron de galanterie à la cour d'Espagne, insolent dans ses prétentions d'amour à la cour de France, et peut-être à celle d'Angleterre, il affectait des triomphes que souvent il n'avait pas obtenus.

Il est néanmoins remarquable que Buckingham brava impunément Richelieu, et que ces terribles parlementaires qui, quelque temps après, traînèrent à l'échafaud un grand homme, Strafford, souffrirent, bien qu'en l'accusant, les insolences d'un courtisan vulgaire. C'est qu'on pardonne plutôt à la puissance qu'au génie : reste à savoir encore si d'un côté Richelieu ne méprisa pas un aventurier, et si de l'autre il n'y avait pas dans le caractère impérieux et déréglé de Buckingham quelque chose qui sympathisât avec le caractère national anglais.

Cet homme fut assassiné (1628) de la main d'un autre homme qui n'était le vengeur de rien : Felton poignarda un extravagant patricien par une extravagance plébéienne.

Buckingham laissa deux fils : le cadet périt au milieu de la guerre civile, dans le parti de Charles Ier : l'aîné, devenu gendre de Fairfax, fut, sous Charles II, le chef de ce conseil connu sous le nom de la Cabale . Célèbre héréditairement par sa passion pour les femmes, il tua en duel le comte de Shrewsbury, tandis que la femme du comte, déguisée en page, tenait la bride du cheval de ce second Buckingham. Aussi désordonné que son père, mais d'un esprit brillant et cultivé, il écrivit des lettres, des poèmes, des satires, et travailla avec Butler à une comédie qui changea le goût du théâtre anglais.

Depuis l'avènement de Charles Ier au trône d'Angleterre jusqu'à la mort du duc de Buckingham, trois parlements avaient été convoqués : le premier ne vota qu'une somme insuffisante pour la continuation de la guerre continentale en faveur des protestants, et le second se montra infecté de l'esprit puritain. Déjà l'Angleterre était partagée en deux grandes factions appelées le parti de la cour et le parti de la campagne.

Charles, après avoir cassé le second parlement, ne tarda pas à être obligé d'en convoquer un troisième (17 mars 1628). Ce parlement posa la première pierre de la liberté constitutionnelle anglaise, en faisant passer la fameuse pétition des droits, bill qui tendait, en vertu des principes de la grande charte, à régler les pouvoirs de la couronne. Les communes furent rendues intraitables par leur victoire, et après des scènes violentes où quelques députés en vinrent aux mains, le roi se vit forcé de les renvoyer.

Buckingham assassiné, le troisième parlement dissous, douze années s'écoulèrent sans qu'aucun autre parlement fût appelé. Le conseil de Charles se composait alors de ministres qui présentaient un contraste et un mélange de mérite et d'incapacité.

Le garde des sceaux, sir Thomas Coventry, joignait à beaucoup d'érudition une éloquence simple et la science des affaires ; mais son caractère intègre manquait de cette chaleur qui crée des amis, et de ces passions qui font des disciples. Peu appuyé à la cour, il vit le mal s'accroître sans en avertir son maître : « Il eut le bonheur de mourir, dit Clarendon, dans un temps où tout honnête homme aurait désiré quitter la vie. »

Sir Richard Weston, premier lord de la trésorerie, avait montré dans un rang inférieur un esprit et un courage qui l'abandonnèrent au degré plus élevé du pouvoir : hautain et timide, prompt à l'insulte, prompt à trembler devant l'insulté, il ne laissa à sa famille qu'indigence et malheur.

Des vertus, du génie même et une grâce particulière faisaient remarquer le comte de Pembroke : on ne lui a reproché que sa passion pour les femmes, à laquelle il sacrifia des moments qu'il aurait dû donner aux adversités de son pays.

Le comte de Montgomery n'avait réussi à la cour que par sa belle figure et ses talents pour la chasse ; on ne l'eût pas aperçu dans un temps ordinaire. Sa médiocrité fut reprochée à Charles : dans les révolutions on fait un crime aux rois de ne pas s'entourer d'hommes égaux aux circonstances.

Un esprit agréable, un savoir universel, étaient le partage du comte de Dorset : il brilla également à la chambre des communes et dans la chambre héréditaire. Malheureusement son caractère fougueux le précipita dans des excès. Brave et passionné, il prodigua son temps à des amours sans honneur et son sang à des combats sans gloire.

Le comte de Carlisle ne profita de la faveur que pour jouir des plaisirs. Il avait aux affaires un talent naturel, qu'il n'employa jamais. Il mourut insouciant, sans avoir été atteint de l'orage qu'il écouta de loin.

Flatteur de Charles dans la prospérité, lord Hollande l'abandonna dans l'infortune ; lâcheté vulgaire, commune à tant d'âmes vulgaires : il devint un des boute-feux du parlement. Quand les factions commencent, elles saisissent au hasard leurs chefs ; elles plongent ensuite dans l'abîme les singes qu'elles avaient pris pour des hommes.

Enfin, l'archevêque de Cantorbéry ferme la liste des conseillers de Charles, dans les temps qui précédèrent les troubles. Il parut à la cour avec cette raideur de caractère qui le rendit incapable de se plier aux circonstances. Haï des grands, dont il méprisait l'art et les moeurs, il n'eut pour se soutenir que l'autorité d'une vie sainte et la renommée d'une intégrité poussée jusqu'à la rudesse. De même qu'il dédaigna de s'abaisser devant la faveur des courtisans, il s'opposa aux excès du peuple, et de la persécution des intrigues il tomba dans la proscription des révolutions.

Charles, appuyé de ce conseil, régna l'espace de douze ans avec une autorité illimitée ; il n'en fit pas un mauvais usage sous le rapport administratif, mais il cherchait en théorie ce qui était devenu impossible en pratique, une monarchie absolue. Du gouvernement absolu au gouvernement arbitraire, la conversion est facile : l'absolu est la tyrannie de la loi, l'arbitraire est la tyrannie de l'homme.

Si l'Angleterre avait voulu souffrir la levée d'un impôt d'ailleurs fort modéré, elle eût vécu sous un assez doux despotisme. Charles avait des vertus domestiques, du courage, de la modération, de la probité ; mais on lui disputait, la loi à la main, tous ses actes : ils pouvaient être bons, mais ils n'étaient pas légaux. Une seule résistance amenait l'emploi de la force et un scandale. Au défaut du pouvoir parlementaire, les conseillers du monarque suscitèrent le pouvoir de la chambre étoilée, dont on augmenta les attributions : fatal auxiliaire de la couronne.

Le jugement rendu contre Hampden (1636) pour n'avoir pas voulu se soumettre à la taxe du shipmoney remua de plus en plus les esprits : une commotion religieuse ébranla l'Ecosse. Par ce concours de circonstances, qui produit le renouvellement des empires, le peuple d'Ecosse et celui d'Angleterre inclinaient au puritanisme au moment même où les évêques voulaient faire triompher l'Eglise anglicane, et prétendaient introduire quelque chose de la pompe catholique dans le culte protestant.

La nouvelle liturgie est repoussée (1637) à Edimbourg. La foule s'écrie : Le pape ! le pape ! l' antéchrist ! le royaume se soulève, et le covenant est signé.

C'est pourtant de cet acte fanatique, mystique, inintelligible, exprimant dans un jargon barbare les idées les plus rétrécies, que sont émanées la liberté, la tolérance et la civilisation constitutionnelle d'Angleterre. C'est ainsi que des horribles comités de 1793 est pour ainsi dire sorti le pacte de notre nouvelle monarchie. Chaque trouble politique chez un peuple est fondé sur une vérité qui survit à ce trouble. Souvent cette vérité est confusément enveloppée dans des mots sauvages et dans des actions atroces ; mais dans les grands changements des Etats les mots et les actions passent ; le fait politique et moral qui reste d'une révolution est toute cette révolution. Quand celle-ci ne réussit pas, c'est qu'elle a été tentée ou trop tôt ou trop tard, en deçà ou au delà de l'époque où elle eût trouvé les choses et les hommes au degré de maturité propre à sa fructification.

Une assemblée générale de la nation écossaise succéda aux premiers troubles d'Edimbourg. L'épiscopat fut aboli (1638), et l'on commença des levées pour soutenir des opinions avec des soldats.

Sir Thomas Wentworth, membre du troisième parlement, avait fortement provoqué dans ce parlement la fameuse pétition des droits, mais lorsque le fondement de l'indépendance constitutionnelle eut été posé, Wentworth devint le soutien de la prérogative royale attaquée, comme il avait été le défenseur de la liberté populaire méconnue. Charles l'avait nommé pair d'Angleterre et vice-roi d'Irlande. Ce monarque, dans les circonstances difficiles où il se trouva engagé, consulta le nouveau lord Wentworth. Ce sujet fidèle donna à son souverain des conseils énergiques. Que sert de recommander la force à la faiblesse ?

Dans toute révolution, il y a toujours quelques moments où rien ne semblerait plus facile que de l'arrêter ; mais les hommes sont toujours faits de sorte, les choses arrangées de manière, qu'on ne profite jamais de ces moments. Au lieu de résister, Charles fit lui même un covenant, comme Henri III avait fait une ligue. Les covenantaires écossais traitèrent de satanique le covenant du roi. Après d'inutiles concessions, le roi réunit des troupes ; lord Wentworth lui fournit de l'argent, et pouvait lui amener une seconde armée : il ne s'agissait que d'avancer ; Charles recula : il conclut une trêve (17 juin 1639), lorsqu'il était assuré d'une victoire.

Bientôt les Ecossais reprirent les armes. Lord Wentworth, créé comte de Strafford, voulait qu'on portât la guerre dans le coeur du royaume rebelle, et qu'on assemblât un parlement anglais : Charles ne suivit que la moitié de ce conseil.

On aurait pu croire que ce quatrième parlement, rassemblé après un intervalle de douze années, éclaterait en justes reproches : Strafford le ménagea avec tant d'habileté, que les communes se montrèrent d'abord assez dociles. Elles étaient divisées en trois partis : les amis du roi, les partisans de la monarchie constitutionnelle, et les puritains : ceux-ci voulaient un changement radical dans les lois et la religion de l'Etat ; ces trois partis furent cependant au moment de se réunir pour voter les subsides. La trahison du secrétaire d'Etat, sir Henry Vane, que protégeait la reine, perdit tout.

Le roi et le parlement, également trompés par ce ministre, se crurent brouillés, lorsqu'ils s'entendaient. Charles, avec sa précipitation accoutumée, s'imaginant qu'on lui allait refuser les subsides, fit pour la dernière fois usage d'une prérogative dont il avait abusé. Il cassa encore ce quatrième parlement (5 mai 1640), lequel devait être suivi de l'assemblée qui brisa à son tour la couronne.

A l'instigation des puritains, les Ecossais, ayant envahi de nouveau l'Angleterre, surprirent les troupes du roi à Newborn. Charles, arrivé à York pour repousser les Ecossais, manda un grand conseil des pairs. Il lui déclara tout à coup que la reine désirait la réunion d'un cinquième parlement.

Arrêtons-nous ici pour parler de cette reine dont l'influence fut si grande sur la destinée de Charles Ier son mari, et sur celle de Jacques II son fils.

Sixième enfant et troisième fille de Henri IV, Henriette-Marie naquit le 25 novembre 1609, six mois avant l'assassinat de son père, et mourut vingt ans après le meurtre de son mari. Elle fut tenue sur les fonts de baptême par le nonce qui devint pape sous le nom d'Urbain VIII. Elle épousa Charles, roi d'Angleterre (11 mai 1625). Le contrat de mariage, rédigé sous les yeux du pape, contenait des clauses favorables à la religion catholique. Henriette-Marie arriva en Angleterre avec les instructions de la mère Madeleine de Saint-Joseph, carmélite, et sous la conduite du père Bérulle, accompagné de douze prêtres de la nouvelle congrégation de l'Oratoire : ceux-ci, renvoyés en France, furent remplacés par douze capucins. Rien ne pouvait être plus fatal à Charles Ier que le hasard de cette union catholique, d'ailleurs si noble, dans le siècle du fanatisme puritain. La haine populaire se tourna d'abord contre la reine, et rejaillit sur le roi.

Il est impossible de pénétrer aujourd'hui dans le secret des raisons qui firent agir Henriette-Marie au commencement des troubles de la Grande-Bretagne : on la trouve placée dans l'intérêt parlementaire jusqu'au moment de l'explosion de la guerre civile ; elle protège sir Henry Vane, qui brouilla le roi et le quatrième parlement ; elle demande la convocation de ce long parlement, qui conduisit Charles à l'échafaud ; elle arrache au roi la confirmation de l'arrêt qui frappa Strafford ; ce fut par sa protection que le conseil du roi se remplit des ennemis ou des adversaires de la couronne.

Henriette-Marie était-elle en mésintelligence domestique avec le roi, comme le prétendaient les parlementaires ? Bossuet laissa entendre quelque chose d'une division secrète. « Dieu, dit-il, avait préparé un charme innocent au roi d'Angleterre dans les agréments infinis de la reine son épouse. Comme elle possédait son affection, car les nuages qui avaient paru au commencement furent bientôt dissipés, etc . » Il n'y a plus aujourd'hui de doute sur le genre de division qui régna un moment entre Charles et Henriette-Marie : élevée dans une monarchie absolue, dans une religion dont le principe est inflexible, dans une cour où l'on passe tout aux femmes, dans un pays où l'humeur est mobile et légère, Henriette fut d'abord un enfant capricieux, qui prétendit à la fois faire dominer sa volonté, sa religion et son humeur. Les prêtres, les femmes et les gentilshommes qu'elle avait amenés avec elle voulaient les uns exercer leur culte dans tout son éclat, les autres établir leurs modes et se moquer des usages d'une cour barbare . Charles, accablé de toutes ces querelles, renvoya en France la suite de la reine. Il se plaint de la conduite d'Henriette-Marie dans des instructions pour la cour de France, datées du 12 juillet 1626.

« Le roi de France et sa mère n'ignorent pas, dit-il , les aigreurs et les dégoûts qui ont eu lieu entre ma femme et moi, et tout le monde sait que je les ai supportés jusqu'ici avec beaucoup de patience, croyant et espérant toujours que les choses iraient mieux, parce qu'elle était fort jeune, et que cela venait plutôt des mauvais et artificieux conseils de ses domestiques, qui n'avaient que leur propre intérêt en vue, que de sa propre inclination. En effet, lorsque je me rendis à Douvres pour la recevoir, je ne pouvais pas attendre plus de marques de respect et d'affection qu'elle n'en fit paraître en cette occasion. La première chose qu'elle me dit fut que, comme elle était jeune et qu'elle venait dans un pays étranger, dont elle ignorait les coutumes, elle pourrait ainsi commettre quantité d'erreurs, et qu'elle me priait de ne me point fâcher contre elle pour les fautes où elle pourrait tomber par ignorance, jusqu'à ce que je l'eusse instruite de la manière de les éviter... Mais elle n'a jamais tenu sa parole. Peu de temps après son arrivée, Mme de Saint-Georges... mit ma femme de si mauvaise humeur contre moi, que depuis ce temps-là on ne peut pas dire qu'elle en ait usé envers moi deux jours de suite avec les égards que j'ai mérités d'elle...

« Je ne prendrai pas la peine de m'arrêter à quantité de petites négligences, comme le soin qu'elle prend d'éviter ma compagnie, si bien que lorsque j'ai à lui parler de quelque chose, il faut que je m'adresse d'abord à ses domestiques, autrement je suis assuré d'avoir un refus ; son peu d'application à l'anglais et d'égards pour la nation en général. Je passerai de même sous silence l'affront qu'elle me fit avant que j'allasse à cette dernière et malheureuse assemblée du parlement ; on n'en a déjà que trop discouru, et vous en avez l'auteur sous vos yeux en France... Après avoir donc supporté si longtemps avec patience les chagrins que je reçois de ce qui devait faire ma plus grande consolation, je ne saurais plus souffrir autour de ma femme ceux qui sont la cause de sa mauvaise humeur, et qui l'animent contre moi ; je devrais les éloigner, quand ce ne serait que pour une seule chose, pour l'avoir engagée à aller en dévotion à Tiburn  ».

On ne peut donc attribuer la mésintelligence de Charles et d'Henriette qu'à une sorte d'incompatibilité d'humeur entre les deux époux. Si le temps et l'adversité l'affaiblirent, la vie de Charles ne fut pas assez longue pour la faire entièrement disparaître. Charles avait quelque chose de doux, de facile et d'affectueux dans le caractère ; sa femme était plus impérieuse, et l'on s'apercevait qu'elle avait un certain mépris pour la faiblesse de Charles. La reine était charmante : quoiqu'elle fût née d'un sang et dans une cour qui n'abondait pas en austères vertus, les républicains mêmes n'osèrent calomnier ses moeurs. Nous avons des portraits d'elle laissés par lord Kensington, par Ellis et Howel. Un des historiens français de sa vie nous la dépeint ainsi au moment de son mariage : « Elle n'avait pas encore seize ans. Sa taille était médiocre, mais bien proportionnée. Elle avait le teint parfaitement beau, le visage long, les yeux grands, noirs, doux, vifs et brillants, les cheveux noirs, les dents belles, la bouche, le nez et le front grands, mais bien faits, l'air fort spirituel, une extrême délicatesse dans les traits, et quelque chose de noble et de grand dans toute sa personne. C'était de toutes les princesses ses sœurs celle qui ressemblait le plus à Henri IV, son père : elle avait comme lui le coeur élevé, magnanime, intrépide, rempli de tendresse et de charité, l'esprit doux et agréable, entrant dans les douleurs d'autrui et compatissant aux peines de tout le monde. »

Les historiens anglais la représentent petite et brune, mais remarquable par la beauté de ses traits et l'élégance de ses manières.

Charles aimait Henriette avec passion : il ne paraît pas qu'elle éprouvât pour lui le même degré de tendresse ; et pourtant, tandis qu'il ne lui témoignait aucune inquiétude, c'était elle qui se plaignait et qui semblait un peu jalouse. Dans les lettres de Charles, imprimées par ordre du parlement, respire le sentiment le plus touchant d'amour pour Henriette.

Le 13 février 1643, il lui mande : « Je n'avais pas éprouvé jusque ici combien il est quelquefois heureux d'ignorer, car je n'ai appris le danger que tu as couru en mer par la violence de la tempête que lorsque j'avais déjà la certitude que tu en étais heureusement échappée... L'effroi que m'a causé ce danger ne se calmera pas jusqu'à ce que j'aie eu le bonheur de te voir, car ce n'est pas à mes yeux la moindre de mes infortunes que tu aies couru pour moi un si grand péril, et tu m'as témoigné en ceci tant d'affection, qu'il n'y a chose au monde qui me puisse jamais acquitter, et des paroles beaucoup moins que toute autre chose ; mais mon coeur est si rempli de tendresse pour toi et d'une impatience passionnée de reconnaissance envers toi, que je n'ai pu m'empêcher de t'en dire quelques mots, laissant à ton noble coeur le soin de deviner le reste . »

Il lui écrit d'Oxford, le 2 janvier 1645 : « En déchiffrant la lettre qui arriva hier, je fus bien surpris d'y trouver que tu te plains de ma négligence à t'écrire... Je n'ai jamais manqué aucune occasion de te donner de mes nouvelles... Si tu n'as point la patience de t'interdire un jugement défavorable sur mes actions jusqu'à ce que je t'en aie marqué les véritables motifs, tu cours souvent risque d'avoir le double chagrin d'être attristée par de faux rapports et d'y avoir cru trop vite. Ne m'estime qu'autant que tu me verras suivre les principes que tu me connais. »

Charles lui écrit du même lieu, le 9 avril de la même année : « Je te gronderais un peu, si je pouvais te gronder, sur ce que tu prends trop tôt l'alarme. Songe, je te prie, puisque je t'aime plus que toute autre chose au monde, et que ma satisfaction est inséparablement unie avec la tienne, si toutes mes actions ne doivent avoir pour but de te servir et de te plaire... L'habitude de ta société m'a rendu difficile à contenter ; mais ce n'est pas une raison pour que tu m'en plaignes moins, toi le seul remède à cette maladie. Le but de tout ceci est de te prier de me consoler par tes lettres le plus souvent qu'il te sera possible. Et ne crois-tu pas que les détails de ta santé soient des sujets agréables pour moi, quand même tu n'aurais pas autre chose à m'écrire ? N'en doute pas, ma chère âme, ta tendresse est aussi nécessaire à la consolation de mon coeur que ton secours à mes affaires. »

Lorsqu'on songe que Charles épanchait ainsi son coeur au milieu des horreurs de la guerre civile, au moment de tomber entre les mains de ses ennemis, on est profondément attendri.

La reine, un an auparavant, lui écrivait d'York, le 30 mars, ces paroles un peu rudes : « Souvenez-vous de ce que je vous ai écrit dans mes trois dernières lettres, et ayez plus de soin de moi que vous n'en avez eu jusque ici, ou faites semblant du moins d'en prendre davantage, afin qu'on ne s'aperçoive pas de votre négligence à mon égard. »

Charles crut devoir déclarer, en mourant, à sa jeune fille, la princesse Elisabeth, qu' il avait toujours été fidèle à la reine, et la lettre d'adieux qu'il écrivit à celle-ci se terminait par ces mots : « Je meurs satisfait, puisque mes enfants sont auprès de vous. Votre vertu et votre tendresse me répondent du soin que vous aurez de leur conduite. Je ne puis vous laisser des gages plus chers et plus précieux de mon amour. Je bénis le ciel de faire tomber sa colère sur moi seul. Mon coeur est plein pour vous de la même tendresse que vous y avez toujours vue. Je vais mourir sans crainte, me sentant fortifié par le souvenir de la fermeté d'âme que vous m'avez fait paraître dans nos périls communs. Adieu, madame, soyez persuadée que jusqu'au dernier moment de ma vie je ne ferai rien qui soit indigne de l'honneur que j'ai d'être votre époux  ».

Cette dernière lettre de Charles, qui n'est pas assez connue, montre que ses sentiments intimes étaient aussi nobles et peut-être encore plus touchants que ceux qu'il fit éclater sur l'échafaud.

On peut reprocher à Henriette-Marie du penchant à l'intrigue, penchant qu'elle tenait du sang des Médicis ; elle se livra aussi à des moines sans prudence et à des favorites qui la trahirent. Elle avait le courage du sang ; le courage politique lui manquait quelquefois : et quand les orages populaires grondaient, quoique femme de tête et de coeur, elle donnait des conseils pusillanimes. Bienfaisante et magnanime, elle fit souvent accorder la liberté et la vie à ses ennemis. Elle ne voulait pas même connaître le nom de ses calomniateurs. « Si ces personnes me haïssent, disait-elle, leur haine ne durera peut-être pas toujours, et s'il leur reste quelque sentiment d'honneur, ils auront honte de tourmenter une femme qui prend si peu de précaution pour se défendre. » Les infortunes d'Henriette-Marie avaient été pour ainsi dire prédites par François de Sales, qui reste à notre histoire au triple titre de saint, d'homme illustre et d'ami de Henri IV.

Quoi qu'il en soit des altercations religieuses et domestiques qui troublèrent la paix intérieure de Charles et d'Henriette ; quoi qu'il en soit des causes qui amenèrent la liaison, jusqu'à présent inexplicable, de la reine et des premiers parlementaires, quand les malheurs de Charles éclatèrent, la fille du Béarnais retrouva comme lui dans la guerre civile le courage et la vertu.

Lorsqu'en 1625 elle alla recevoir la couronne de la Grande-Bretagne, la reine Marie de Médicis sa mère, la reine Anne d'Autriche sa belle soeur, l'accompagnèrent jusqu'à Amiens. Toutes les villes sur son passage lui rendaient des honneurs extraordinaires : par une pompe digne de la royauté chrétienne, les prisons étaient ouvertes à son arrivée, et elle voyait devant elle une infinité de malheureux qui la remerciaient de leur liberté et la comblaient de bénédictions . Les trois reines se quittèrent à Amiens. Vingt vaisseaux qui attendaient Henriette de France à Boulogne la transportèrent à Douvres : elle fut reçue au bruit de l'artillerie et aux acclamations du peuple. Il y eut des combats à la barrière, des jeux et des courses de bagues.

Quand la reine d'Angleterre revint en France, en 1644, elle y rentra en fugitive ; les prisons ne s'ouvraient plus par le charme de son sceptre ; elle se dérobait elle-même aux prisons. Voyageant d'un royaume à l'autre, échappant à des tempêtes pour arriver à des combats, quittant des combats pour retrouver des tempêtes, Henriette était saisie par la fatalité qui poursuivait les Stuarts. On vit cette courageuse femme, canonnée jusque dans la maison qui lui servait d'abri contre les flots, obligée de passer la nuit dans un fossé où les boulets la couvraient de terre. Une autre fois, le vaisseau qui la portait étant près de périr, elle dit aux matelots ce mot, qui rappelle celui de César : « Une reine ne se noie pas. »

Libre d'esprit au milieu de tous les dangers, elle écrivait au roi, de Newark, le 27 juin 1643 : « Tout ce qu'il y avait actuellement de troupes à Nottingham s'est rendu à Leicester et à Derby, ce qui nous fait croire qu'elles ont dessein de nous couper le passage... J'emmène avec moi trois mille hommes d'infanterie, trente compagnies de cavalerie ou de dragons, six pièces d'artillerie et deux mortiers. Henri Germyn, en qualité de colonel de mes gardes, commande toutes ces forces ; il a sous lui sir Alexandre Lesley qui commande l'infanterie, Gérard la cavalerie, et Robert Legg l'artillerie ; Sa Majesté est madame la généralissime, pleine d'ardeur et d'activité ; et en cas que l'on en vienne à une bataille, j'aurai à commander cent cinquante chariots de bagages . »

Après de nouveaux revers, privée de presque toute assistance dans la petite ville d'Exeter, que le comte d'Essex se préparait à assiéger, elle mit au monde, le 16 juin 1644, sa dernière fille.

A peine accouchée, elle fut forcée de fuir de nouveau, n'ayant pour toute aide que son confesseur, un gentilhomme et une de ses femmes, qui avaient de la peine à la soutenir, à cause de son extrême faiblesse . Elle avait été obligée d'abandonner à Exeter sa fille nouvellement née : c'était cette princesse prisonnière dix-sept jours après sa naissance, cette princesse frappée par la mort à Saint-Cloud dans toute la fleur de la beauté et de la jeunesse, cette duchesse d'Orléans, cette seconde Henriette, que la gloire de Bossuet devait atteindre comme la première.

Une cabane déserte, à l'entrée d'un bois, s'offrit à la fuite d'Henriette-Marie. Elle y demeura cachée pendant deux jours. Elle entendit défiler les troupes du comte d'Essex qui parlaient de porter à Londres la tête de la reine, laquelle tête avait été mise à prix pour une somme de 6 000 liv. sterl.

Henriette, arrivée à Plymouth à travers mille périls, s'embarque pour l'île de Jersey ; l'amiral Batty la poursuit. Alors, comme la femme de Saint Louis, elle fait promettre à un capitaine de la tuer et de la jeter dans la mer avant qu'elle tombât aux mains de ces infidèles d'une nouvelle sorte. Elle aborde avec quelques matelots parmi des rochers sur la côte de la Basse-Bretagne ; les paysans, prenant ces étrangers pour des pirates, s'arment contre eux ; Henriette-Marie se fait reconnaître, part pour Paris, arrive au Louvre, et tombe dans de nouveaux malheurs.

Outragée par des libelles jusque sur le continent, elle tombait des mains de la populace féroce de Londres dans celles de la populace insolente de Paris. Ballottée entre deux guerres civiles, sur les bords de la Tamise elle rencontre les crimes sérieux des révolutions, sur les rivages de la Seine les pasquinades sanglantes de la Fronde ; là le drame de la liberté, ici sa parodie. Les bouchers et les boulangers d'Angleterre veulent tuer Henriette-Marie dans le palais des Stuarts ; les bouchers et les boulangers de France lui refusent des aliments dans le palais des Bourbons, oubliant que leurs pères avaient été nourris par celui dont ils dédaignaient de nourrir la fille.

« Cinq ou six jours avant que le roi sortît de Paris, dit le cardinal de Retz, j'allai chez la reine d'Angleterre, que je trouvai dans la chambre de Mademoiselle, sa fille, qui a été depuis madame d'Orléans. Elle me dit d'abord : Vous voyez, je viens tenir compagnie à Henriette ; la pauvre enfant n'a pu se lever aujourd'hui faute de feu... La postérité aura peine à croire qu'une petite-fille d'Henri le Grand ait manqué d'un fagot pour se lever au mois de janvier dans le Louvre et sous les yeux d'une cour de France. »

Elle était souvent obligée de se promener des après-dînées entières dans les galeries du Louvre pour s'échauffer... Elle appréhendait non seulement les insultes du peuple de Paris, mais la dureté de ses créanciers... Les Parisiens ne la pouvaient souffrir, et un jour que le roi Charles II, son fils, se promenait sur une terrasse qui donnait du côté de la rivière, quelques mariniers lui firent des menaces ; ce qui l'obligea de se retirer, de peur de les aigrir davantage par sa présence .

Triste et extraordinaire complication et ressemblance de destinée ! Henriette-Marie, en 1639, avait reçu à Whitehall sa mère exilée, Marie de Médicis. Les habitants de Londres, déjà soulevés contre la reine d'Angleterre, se portèrent à des excès contre l'ancienne reine de France. La fille de Henri IV, qui se défendait à peine contre la haine publique, fut obligée de demander une garde pour protéger la veuve de Henri IV : et Anne d'Autriche fut impuissante, à son tour, dans Paris, pour mettre à l'abri la soeur fugitive de Louis XIII et la tante de Louis le Grand.

Une fausse nouvelle parvint d'abord à la reine d'Angleterre sur la catastrophe du 30 janvier 1649 : le bruit courut que Charles Ier avait été délivré sur l'échafaud par le peuple ; mais la lettre d'adieu de l'infortuné monarque, qui fut remise à Henriette le 9 février, dans le couvent des Carmélites à Paris, la tira d'erreur ; elle s'évanouit. Le lendemain, Mme de Motteville la vint complimenter de la part de la reine régente. Le malheur donnait le droit à la reine d'Angleterre de faire des leçons : elle chargea Mme de Motteville de dire à Anne d'Autriche « que le roi son seigneur (Charles Ier) ne s'était perdu que pour n'avoir jamais su la vérité... que le plus grand des maux qui pouvaient arriver aux rois, et celui qui seul dévorait leurs empires, était d'ignorer la vérité. »

Cette insistance d'Henriette n'expliquerait-elle pas son premier penchant pour les parlementaires, et son antipathie pour Strafford, dont elle trouvait peut-être l'esprit trop absolu ? Elle ajouta dans cette conversation « qu'il fallait prendre garde à irriter les peuples ». Si Charles Ier ne s'était perdu que pour n'avoir pas connu la vérité, au dire de la reine, cette reine ne partageait donc pas l'entêtement du roi sur l'étendue de la prérogative ? Elle aimait les parlements : lorsqu'elle songea à quitter l'Angleterre avec Marie de Médicis, sa mère, les deux chambres lui présentèrent une humble pétition pour la supplier de ne pas s'éloigner. Henriette répondit en anglais par un gracieux discours qu'elle resterait, et qu'il n'y avait point de sacrifices que le peuple ne pût attendre d'elle .

Après la mort de son mari, elle se donna le surnom de reine malheureuse, et elle porta le deuil toute sa vie.

L'épreuve la plus rude que cette reine eut à soutenir fut de solliciter un douaire de veuve auprès de l'homme qui l'avait faite veuve : Cromwell répondit au cardinal Mazarin qu'Henriette de France n'avait jamais été reconnue reine d'Angleterre. Cette réponse sauvage, qui transformait en concubine d'un prince étranger la fille d'un de nos plus grands rois, étonne moins que la demande même de cette petite-fille de Jeanne d'Albret. Lorsque Henriette apprit ce refus, elle dit noblement : « Ce n'est pas à moi, c'est à la France que cet outrage s'adresse. » Telle était en effet l'abjection où la politique d'un ministre sans honneur avait alors réduit notre patrie. Mazarin était descendu jusqu'à se faire l'espion de Cromwell auprès de la famille royale exilée : ce fait résulte d'une lettre de Cromwell, qui n'était lui-même qu'un grand espion couronné et armé.

Quelque temps auparavant, Henriette-Marie avait été forcée de demander au parlement de Paris ce qu'elle appelait une aumône.

Retirée à Chaillot, chez les soeurs de la Visitation, établies dans une maison bâtie par Catherine de Médicis, Henriette devint bigote : il est assez curieux de lire que Port-Royal lui avait offert de l'argent et un asile. Dans les histoires de sa vie, tristes sont ces petits contes de religieux et de religieuses, ces conseils de nonnes qui parlent des plus grands événements dont elles entendent à peine le bruit, qui jugent du fond de leurs cellules les choses de la politique, et qui, immobiles dans leurs saints déserts, ne s'aperçoivent même que le monde marche et passe au pied des murs de leur cloître. Henriette-Marie essaya de rendre ses enfants à l'Eglise romaine. Charles II, indifférent à tout principe, préféra sa couronne à sa foi : il ne se fit catholique qu'en mourant, lorsqu'il n'avait plus rien à perdre des biens de la terre. Le duc de Glocester et la princesse d'Orange restèrent zélés protestants ; le duc d'York seul (Jacques II) reçut des impressions qui le devaient ramener un jour à Paris, pour y mourir dépouillé comme sa mère. La princesse Henriette, depuis duchesse d'Orléans, fut élevée dans la religion romaine.

A la restauration de Charles II, la veuve de Charles Ier passa en Angleterre, et ne put se résoudre à y demeurer. Elle ne connaissait plus personne ; elle allait pleurant dans les palais de Whitehall, de Saint-James et de Windsor, poursuivie qu'elle était par quelques souvenirs. Après avoir vu mourir deux de ses enfants (la princesse d'Orange, veuve de vingt-six ans, et le duc de Glocester), elle s'embarqua avec sa fille Henriette pour revenir en France. Son vaisseau échoua ; Henriette fut saisie d'une rougeole dangereuse, et resta, soignée par sa mère, un mois entier à bord du vaisseau. La compagne éprouvée de l'infortuné Charles maria Henriette au duc d'Orléans, et reçut à Chaillot le bref de la béatification de saint François de Sales : dernières grandeurs de la terre et du ciel qui la visitèrent dans la solitude.

Vers l'an 1663, Henriette-Marie fit un dernier voyage à Londres. Enfin, rentrée pour toujours dans sa patrie, elle tomba malade à Sainte-Colombe, petite maison de campagne située à peu de distance de la Seine. Un grain d'opium qu'elle prit la plongea dans un sommeil dont elle ne se réveilla plus. Elle expira vers minuit, le 10 septembre 1669. Un historien dit qu' elle avait fait un saint usage de ses maux . Bien que son corps fut porté à Saint-Denis et son coeur à la Visitation de Chaillot, elle serait morte oubliée si Bossuet ne s'était emparé de ce grand débris de la fortune pour le façonner à la manière de son génie.

Le grand orateur, en envoyant l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre et de madame Henriette à l'abbé de Rancé, lui écrivait : « J'ai laissé ordre de vous faire passer deux oraisons funèbres qui parce qu'elles font voir le néant du monde peuvent avoir place parmi les livres d'un solitaire, et qu'en tous cas il peut regarder comme deux têtes de mort assez touchantes. »

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