Notes

Le roi avait demandé le cabinet et la petite chambre prochaine. ( Cette note et les suivantes sont de l'auteur de la Relation . N.d.A.) C'était proche ou en ce lieu-là même que fut tué un bourgeois et trente blessés ; premier sang de cette dernière guerre. L'arrêt de mort du comte de Strafford. Se tournant vers quelques gentilshommes qui écriraient ce qu'il disait. Voulant dire qu'il n'en gâtât pas le tranchant. Regicide's trial . (N.d.A.)

Deux effets furent produits en Angleterre par l'exécution de Charles. D'une part, les hommes de bien furent consternés ; il y eut des douleurs profondes, des morts subites causées par ces douleurs ; et comme la nation était religieuse, il y eut aussi des remords. L' Eikon Basiliké fit regretter Charles Ier, de même que le testament de Louis XVI a fait admirer ce dernier roi. L' Eikon Basiliké n'était point de Charles : le docteur Gauden en est aujourd'hui reconnu l'auteur. Milton eut l'odieuse commission d'éclaircir ce point de critique : toute la sublimité de son génie, appuyé de la vérité du fait, ne put néanmoins triompher d'une imposture, ouvrage d'un esprit commun, mais fondée sur la vérité du malheur.

Que reste-t-il aujourd'hui de toutes ces douleurs en Angleterre ? Une cérémonie établie par Charles second, et qui se célèbre le 30 janvier de chaque année. On est censé jeûner, et l'on ne jeûne point ; les spectacles sont fermés, et l'on se divertit dans les salons et dans les tavernes ; la bourse est aussi fermée, au grand ennui des spéculateurs, qui se soucient fort peu de trouver sur le chemin de leur fortune ou de leur ruine la tête d'un roi. Les siècles n'adoptent point ces legs de deuil ; ils ont assez de maux à pleurer, sans se charger de verser encore des larmes héréditaires.

D'une autre part, la confusion se répandit dans les trois royaumes, après la mort de Charles Ier. Chacun avait un plan de république et de religion. Les Millénaires, ou les hommes de la cinquième monarchie, demandaient la loi agraire et l'abolition de toute forme de gouvernement, afin d'attendre le gouvernement prochain du Christ ; il n'y avait, d'après eux, d'autre charte que l'Ecriture. Les Antoniniens prétendaient que la loi morale était détruite, que chacun se devait conduire désormais par ses propres principes, et non plus d'après les anciennes notions de justice et d'humanité ; ils réclamaient la liberté de tout faire : la fornication, l'ivrognerie, le blasphème, sont, disaient-ils, selon les voies du Seigneur, puisque c'est le Seigneur qui parle en nous. Ils n'étaient pas loin de devenir Turcs, et se plaisaient à la lecture du Coran, nouvellement traduit. Les quakers, et surtout les quakeresses, passaient aussi pour une secte mahométane. Des politiques, s'élevant contre toute espèce de culte, voulaient que le pouvoir ne reconnût aucune religion particulière ; d'autres prétendaient refondre les lois civiles et effacer complètement le passé. Dépouillés de leurs biens et de leurs honneurs, les épiscopaux gémissaient dans l'oppression, et les presbytériens voyaient le fruit d'une révolution qu'ils avaient semée recueilli par les indépendants, les agitateurs et les niveleurs. Ces niveleurs étaient de plusieurs espèces : les uns, les fouilleurs et déracineurs, s'emparaient des bruyères et des champs en friche ; les autres, les guerriers et les turbulents, soulevaient les soldats ou devenaient voleurs de grands chemins : tous demandaient la dissolution du long parlement et la convocation d'un parlement nouveau. Dans cette désorganisation complète de la société, au milieu des potences et des échafauds qui s'élevaient pour punir le crime et la vertu, on n'avait aucun parti arrêté : par une sorte de bonne foi que l'anarchie laissait libre, il était très commun d'entendre des républicains parler de mettre Charles second à la tête de la république, et des royalistes déclarer qu'une république était peut-être ce qu'il y avait de mieux.

Il restait cependant à Londres deux principes de gouvernement et d'administration : le rump, et le conseil des officiers, qui avait déjà subjugué le rump .

On examina d'abord si la chambre des pairs faisait partie intégrante du pouvoir législatif : malgré l'opinion de Cromwell, qui, dans ses intérêts, voulait garder la pairie, il fut décidé que la chambre héréditaire était inutile et dangereuse ; sa suppression fut décrétée. La monarchie éprouva le même sort : le maire de Londres refusa de proclamer l'acte d'abolition de la royauté.

Le royaume d'Angleterre se trouvant transformé en république, un nouveau grand sceau fut gravé ; il représentait d'un côté la chambre des communes, avec cette inscription : Le grand sceau de la république d'Angleterre ; sur le revers on voyait une croix et une harpe, armes de l'Angleterre et de l'Irlande, avec ces mots : Dieu, avec nous ; dans l'exergue on lisait : L'an premier de la liberté, par la grâce de Dieu . 1649. C'est une mauvaise date pour la liberté que celle d'un crime.

Cinq membres des communes furent chargés (Ludlow en était un.) de composer un conseil de Quarante, auquel serait dévolu le pouvoir exécutif. Ce comité des Cinq présenta trente-cinq candidats ; on leur adjoignit le comité des Cinq. Celui-ci fut en outre chargé d'examiner la conduite des parlementaires qui n'avaient pas siégé à Westminster durant le procès du roi.

Il était convenable d'immoler des victimes en l'honneur des funérailles du prince : le duc d'Hamilton, le earl de Holland et lord Capell, prisonniers, furent décapités ; le premier contre le droit des gens, les deux derniers contre le droit de la guerre. Tous les partis regrettèrent lord Capell ; Cromwell fit de lui un éloge magnifique, mais il prétendit qu'on le devait sacrifier à cause même de sa vertu. Le noble pair, étant sur l'échafaud, s'adressa à l'exécuteur : « Avez-vous coupé la tête de mon maître ? » - « Oui », répondit l'exécuteur. « Où est l'instrument qui porta le coup ? » Le bourreau montra la hache. « Etes-vous sûr que ce soit la même ? » reprit lord Capell. Sur sa réponse affirmative, le royaliste prit la hache, la baisa avec respect, la rendit au meurtrier public, en lui disant : « Misérable ! n'étais-tu pas effrayé ? » Le bourreau repartit : « Ils me forcèrent de faire mon métier. J'eus trente livres sterling pour ma peine. »

Eh bien, le bourreau mentait ; il se vantait d'une victoire qui n'était pas la sienne ; il n'avait souillé ni sanctifié ses mains et sa hache dans le sang de son roi. Cet homme, qui se nommait Brandon, n'était que le bourreau ordinaire ; on ne l'avait point appelé (ou peut-être avait-il refusé par frayeur son ministère) à la grande exécution. La peur cessant, la vanité revint ; Brandon songea à sauver ses droits et son honneur : le soir même de la mort de Charles, Brandon tint dans un cabaret le propos qu'il redit à lord Capell, se parant du crime qu'il n'avait pas commis .

Lord Capell livra sa tête, après avoir déclaré qu'il mourait pour Charles Ier, pour son fils Charles II et pour tous les héritiers légitimes de la couronne.

Le rump, feignant de céder à l'opinion publique, s'occupa, en apparence, de sa dissolution, et rechercha les principes d'après lesquels un parlement nouveau pourrait être élu. Le rump n'était pas sincère ; il ne songeait qu'à se perpétuer en attendant les événements, grands débrouilleurs de la politique.

Cependant le comte d'Ormond, lord Inchiquin et le général Preston avaient soulevé l'Irlande, où Monk, qui défendait Dundalk pour le parlement, avait capitulé.

Cromwell, malgré les prétentions de Lambert et de Fairfax, fut nommé au gouvernement militaire et civil d'Irlande. Il partit accompagné d'Ireton, son gendre, après avoir cherché le Seigneur devant Harrison et expliqué les Ecritures.

Il aborde à l'île dévouée avec dix-sept mille vétérans et une garde particulière de quatre-vingts hommes, tous officiers. Tredall est emporté d'assaut ; Cromwell monte lui-même à la brèche : tout périt du côté des Irlandais. Le commandant, sir Arthur Ashton, est tué. Ce vieux militaire avait une jambe artificielle ; elle passait pour être d'or : les soldats républicains se disputèrent cette jambe royaliste, qui n'était que le trésor de bois de l'honneur et de la fidélité.

Wexford est saccagé, Goran rendu par les soldats ; les officiers sont fusillés. Kilkenny, Youghall, Cooke, Kingsale, Colonmell, Dungarvan et Carrik se soumettent. Cromwell et Ireton portent à l'Irlande, comme ils l'avaient annoncé, l'extermination et l'enfer.

Cromwell, au milieu de ses victoires, est rappelé pour repousser les Ecossais : ceux-ci s'étaient décidés à reconnaître les droits de Charles second ; et bien qu'ils eussent pendu le royaliste Montross, parce qu'il n'était pas covenantaire, ils étaient eux-mêmes royalistes. Rien de plus commun que ces inconséquences des partis dans les discordes civiles.

Les négociations entre Charles II et les Ecossais avaient été plusieurs fois interrompues. Charles, enfin, privé de toutes ressources, s'était rendu à Edimbourg : là il avait repris le sceptre de Marie Stuart, à la charge de publier cette déclaration déshonorante :

« Que son père avait péché en prenant femme dans une famille idolâtre ;

« Que le sang versé dans les dernières guerres devait être imputé à son père ;

« Qu'il avait une profonde douleur de la mauvaise éducation qu'on lui avait donnée, et des préjugés qu'on lui avait inspirés contre la cause de Dieu, et dont il reconnaissait à présent l'injustice ;

« Que toute sa vie précédente n'avait été qu'un cours suivi d'inimitié contre l'oeuvre de Dieu ;

« Qu'il se repentait de la commission donnée à Montross, et de toutes ses actions qui avaient pu scandaliser ;

« Qu'il protestait devant Dieu qu'il était à présent sincère dans cette déclaration, et qu'il s'y tiendrait jusqu'à son dernier soupir, tant en Ecosse qu'en Angleterre et en Irlande. »

Cependant Charles II n'était ni sans honneur ni sans courage. Jeune encore, il avait combattu pour son père, à la tête des forces de terre et de mer. Mais c'était bien le prince le moins fait qu'il y eût au monde pour entendre six sermons de presbytériens par jour. Lorsque, accablé de ces prédications, il cherchait quelque distraction, il ne pouvait sortir d'Edimbourg, sans passer sur les membres mutilés de Montross, attachés aux portes de la ville. Montross, en mourant, avait souhaité que son corps fut mis en autant de morceaux qu'il y avait de villes dans les trois royaumes, afin qu'on rencontrât partout des témoins de sa fidélité. Un de ses bras fut exposé sur un gibet à Aberdeen ; les habitants l'enlevèrent secrètement et le cachèrent : après la restauration, ils le mirent dans une cassette couverte de velours cramoisi brodé d'or, et le portèrent en triomphe dans toute leur ville.

Cromwell marcha contre les Ecossais à la tête de dix-huit mille hommes. Il les attaqua à Duntar, et les défit (3 septembre 1650). L'année suivante, après avoir conquis une partie de l'Ecosse, il s'attacha aux pas de Charles II, qui s'était avancé en Angleterre avec une armée : il l'atteignit à Worcester. Le génie si fatal au père n'est pas moins fatal au fils ; le combat se livre le 3 septembre 1651, jour anniversaire de la bataille de Dunhar : deux mille royalistes sont tués ; huit mille prisonniers sont encore vendus comme esclaves. On retrouve cette habitude de trafiquer les hommes jusque sous Jacques II.

Le jeune roi fuit seul, se coupe les cheveux, de peur, comme Absalon ou comme les rois chevelus, d'être reconnu au bel ornement de sa tête. Ce prince nous a laissé le récit de ses aventures : son déguisement en bûcheron ; sa tentative pour entrer dans le pays de Galles avec le pauvre Pendrell ; sa journée passée avec le colonel Careless au haut du chêne qui retint le nom de chêne royal ; ses aventures chez un gentilhomme appelé Lane, dans le comté de Strafford ; son voyage à Bristol, voyage qu'il fit à cheval, menant en croupe la fille de son hôte ; son arrivée chez M. Norton ; sa rencontre d'un des chapelains de la cour qui regardait jouer aux quilles, et d'un vieux serviteur qui le nomma en fondant en larmes ; son passage chez le colonel Windham ; le danger qu'il courut par la sagacité du maréchal, qui, visitant les pieds des chevaux, affirma qu'un de ces chevaux avait été ferré dans le nord ; enfin l'embarquement de Charles à Brightelmsted, et son débarquement en Normandie, firent de ce moment de la vie de ce prince un moment de gloire romanesque qui lutta avec la gloire historique de Cromwell. Ludlow se contente de dire que Charles s'enfuit avec une mistress Lane.

Cromwell revint triompher à Londres. Le parlement envoya une députation au-devant de lui. Le général fit présent à chaque commissaire d'un cheval et de deux prisonniers : toujours même mépris des hommes parmi ces républicains. Les historiens n'ont pas remarqué ce trait de moeurs qui distingue les Anglais d'alors de tous les peuples chrétiens de l'Europe civilisée et les rapproche des peuples de l'Orient. Monk, laissé en Ecosse par Cromwell, l'acheva de soumettre. Le royaume de Marie Stuart fut réuni par acte du rump à l'Angleterre, ce que n'avaient pu faire les plus puissants monarques de la Grande-Bretagne.

Autant le corps législatif était méprisé, autant le conseil exécutif avait montré de vigueur et de talent : c'est ce qu'on a vu en France, sous les fameux comités émanés de la Convention. Les terres du clergé avaient été mises en vente ainsi que les domaines de la couronne, et ceux-ci tant en Angleterre qu'en Ecosse. Les propriétés nationales, proposées d'abord au prix de dix années de leur affermage annuel, s'élevèrent avec les succès de la république au taux de quinze, seize, et dix-sept années de leur revenu net : on vendait les bois à part. Les royalistes dont les biens avaient été séquestrés ou confisqués en obtenaient le retour ou la mainlevée moyennant une finance plus ou moins forte payée argent comptant. Une taxe de 120 mille livres sterling par mois suffisait avec ces différentes sommes au besoin des services de l'Etat.

Toutes les puissances de l'Europe, et l'Espagne la première, avaient reconnu la république. L'Irlande était domptée, l'Ecosse soumise et réunie à l'Angleterre ; une flotte, commandée par le fameux Robert Blake, devenu amiral de colonel qu'il était, gardait les mers autour des îles Britanniques ; une autre, sous le pavillon d'Edouard Popham, croisait sur les côtes du Portugal. Les Indes occidentales, les Barbades et la Virginie, soulevées d'abord, furent réduites à l'obéissance. Le fameux acte de navigation proposé par le conseil d'Etat au parlement en 1651, rendu exécutoire le 1er décembre de cette même année, n'est point, comme on l'a écrit mille fois, l'ouvrage de l'administration de Cromwell, mais de la république avant l'établissement du protectorat. Cet acte fit éclater la guerre entre la Hollande et la Grande-Bretagne en 1652. Blake, Aiskew, Monk et Dean soutinrent en onze combats, depuis le 17 mai 1652, vieux style, jusqu'au 10 août 1653, l'honneur du pavillon anglais contre Tromp, Ruyter, Van Galen et de Witte.

Les classes populaires, que les révolutions font monter à la surface des sociétés, donnent un moment aux vieux peuples une énergie extraordinaire ; mais ces classes, chez qui l'ignorance et la pauvreté ont conservé la vigueur, se corrompent vite au pouvoir, parce qu'elles y arrivent avec des besoins violents et des appétits longtemps excités par la misère et l'envie ; elles prennent et exagèrent les vices des grands qu'elles remplacent, sans avoir l'éducation qui du moins tempère ces vices. Une nation ainsi renouvelée par l'invasion d'une sorte de barbares indigènes ne conserve que peu de jours son énergie ; n'étant plus jeune par nature, elle n'est jeune que par accident ; or, les moeurs ne se renouvellent pas comme les pouvoirs, et tant que les premières ne sont pas changées, il n'y a rien de durable.

Cromwell s'aperçut que ce reste d'assemblée, soumis d'abord et humilié, commençait à être jaloux du pouvoir que lui, Cromwell, avait acquis. L'autorité dictatoriale des camps avait dégoûté le futur usurpateur de l'autorité légale : son ambition, comme son caractère et son génie, le poussait à la souveraine puissance.

Il avait manoeuvré longtemps entre les divers partis, tour à tour presbytérien, niveleur et même royaliste, mais s'appuyant toujours sur l'armée, où l'esprit républicain dominait autant que cet esprit peut exister au milieu des armes. Les officiers voulaient l'égalité et la liberté, avec la fortune, les honneurs et le pouvoir absolu : c'est ainsi que sous la tente, depuis les légions romaines jusqu'aux mamelouks, on a toujours compris la république.

Cromwell, après ses victoires, ayant repris son siège au parlement (16 septembre 1651), pressa la rédaction du bill pour mettre fin à ce parlement interminable : il ne le put obtenir qu'à la majorité de deux voix, quarante-neuf contre quarante-sept ; encore l'exécution du bill fut-elle remise au 3 novembre 1654.

Ce bill procédait à la réforme radicale parlementaire, si souvent et si inutilement demandée depuis. La chambre des communes devait être composée à l'avenir de quatre cents membres, sans compter les députés de l'Irlande et de l'Ecosse. Les bourgs pourris disparaissaient ; on ne donnait le droit d'élire qu'aux villes et aux bourgs principaux ; deux cents livres sterling en meubles ou immeubles étaient la propriété exigée du citoyen pour l'exercice du droit électoral.

Cromwell ne désirait la dissolution du rump que dans l'espoir d'obtenir le suprême pouvoir, au moyen de députés choisis par son influence et dévoués à ses intérêts. Afin de préparer les idées à un changement de choses, il avait encouragé des discussions sur l'excellence du gouvernement monarchique ; mais n'ayant pu amener le rump à prononcer la dissolution, il prit un chemin plus court pour y parvenir.

Le rusé général avait eu l'adresse de remplir toutes les places de ses créatures : les soldats lui étaient dévoués. Depuis la bataille de Worcester, qu'il appela, dans sa lettre au parlement, la victoire couronnnante, il dissimulait à peine ses projets. La modération, besoin de tout homme qui près d'arriver au pouvoir s'y veut maintenir, était devenue l'arme de Cromwell : il avait fait publier une amnistie générale, et se montrait favorable aux royalistes ; il les trouvait par principe moins opposés que les autres partis à l'autorité d'un seul, et à son tour il avait besoin de fidélité.

Les communes qui se sentaient attaquées, essayèrent de se défendre : tantôt elles se plaignaient des calomnies que Cromwell faisait semer contre elles ; tantôt elles songeaient encore à se perpétuer d'une manière moins directe, en procédant à l'élection des places vacantes au parlement. Cromwell ne s'endormait pas ; il présidait à des assemblées, à des colloques, à des traités entre les partis, et trompait tout le monde. Le colonel Harrison, franc républicain, mais aveugle d'esprit, prétendait toujours que le général, loin de se vouloir faire roi, ne songeait qu'à préparer le règne de Jésus. « Que Jésus vienne donc vite, répondit le major Streater, ou il arrivera trop tard. » Cromwell, de son côté, déclarait que le psaume CXe l'encourageait à mettre la nation en république : et à cette fin il engageait le comité d'officiers à présenter des pétitions qui devaient amener, par l'opposition des parlementaires, la destruction de la république. Une de ces pétitions demandait le payement des arrérages de l'armée et la réforme des abus ; une autre sollicitait la dissolution immédiate du parlement et la nomination d'un conseil pour gouverner l'Etat jusqu'à la prochaine convocation du parlement nouveau. Emportées par leur ressentiment, les communes déclarèrent que quiconque présenterait à l'avenir de pareilles doléances serait coupable de haute trahison. On vint apprendre cette résolution à Cromwell, qui s'y attendait. Il s'écria, animé d'une feinte colère, au milieu des officiers : « Major général Vernon, je me vois forcé de faire une chose qui me fait dresser les cheveux sur la tête. » Il prend trois cents soldats, marche à Westminster, laisse les trois cents soldats en dehors, et pénètre seul dans la chambre : il était député.

Il écoute un moment en silence la délibération, puis appelant Harrison, membre comme lui de l'assemblée, il lui dit à l'oreille : « Il est temps de dissoudre le parlement. » Harrison répondit : « C'est une dangereuse affaire, songez-y bien. »

Cromwell attend encore ; puis se levant tout à coup, il accable les communes d'outrages, les accuse de servitude, de cruauté, d'injustice : « Cédez la place, s'écrie-t-il en fureur, le Seigneur en a fini avec vous ! il a choisi d'autres instruments de ses oeuvres. » Sir Peters Wentworth veut répondre ; Cromwell l'interrompt : « Je ferai cesser ce bavardage. Vous n'êtes pas un parlement ; je vous dis que vous n'êtes pas un parlement. »

Le général frappe du pied : les portes s'ouvrent ; deux files de mousquetaires, conduits par le lieutenant-colonel Worsley, entrent dans la chambre et se placent à droite et à gauche de leur chef. Vane veut élever la voix : « Oh ! sir Henri Vane ! Sir Henri Vane ! dit Cromwell : le Seigneur me délivre de sir Henri Vane ! » Désignant alors tour à tour quelques-uns des membres présents : « Toi, dit-il, tu es un ivrogne, toi un débauché (c'était Martyn, ce régicide dont il avait barbouillé le visage d'encre), toi un adultère, toi un voleur. » Ce qui était vrai. Harrison fait descendre l'orateur de son fauteuil en lui tendant la main. Le troupeau épouvanté sort pêle-mêle ; tous ces hommes s'enfuient sans oser tirer l'épée que la plupart portaient au côté. « Vous m'avez forcé à cela, disait Cromwell ; j'avais prié le Seigneur nuit et jour de me faire mourir plutôt que de me charger de cette commission. »

Alors, montrant du doigt aux soldats la masse d'armes « Emportez ce jouet . » Il sort le dernier, fait fermer les portes, met les clefs dans sa poche, et se retire à Whitehall. Le lendemain on trouva suspendu à la porte de la chambre des communes un écriteau ainsi conçu : Chambre à louer, non meublée . Ainsi fut chassé de Westminster le parlement : la liberté y resta.

Remarquons les justices du ciel : ces députés qui avaient tué leur prince légitime, prétendant qu'il avait violé les droits du peuple ; ces députés qui avaient eux-mêmes précipité violemment de leur siège un grand nombre de leurs collègues, furent dispersés par un de leurs complices, bien autrement coupable que Charles envers les droits de la nation. Mais souvent ce que l'on conteste à la légitimité, on l'accorde à l'usurpation : les hommes dans leur orgueil se consolent de l'esclavage lorsqu'ils ont eux-mêmes choisi leur maître parmi leurs égaux.

Buonaparte à Saint-Cloud fit sauter les républicains par les fenêtres, avec moins de fermeté et moins de décision politique que Cromwell n'en mit à dissoudre le long parlement. L'Angleterre républicaine accepta le joug : les tempêtes avaient enfanté leur roi ; elles s'y soumirent.

La véritable république ne dura en Angleterre que quatre ans et trois mois, à compter de la mort du roi (30 janvier 1649) jusqu'à la dislocation totale du rump (20 avril 1653). Cette courte république ne fut pas sans gloire au dehors ni même sans vertu, sans liberté et sans justice au dedans. Les membres des communes s'exclurent, il est vrai, mutuellement de l'assemblée législative ; mais ils ne se décimèrent point, ne s'assassinèrent point tour à tour comme les Conventionnels. La république française exista douze années, de 1792 à 1804, à 1'érection de l'empire, temps de gloire et de conquête au dehors, mais de crimes, d'oppression et d'iniquités au dedans. Cette différence entre deux révolutions qui ont cependant produit, en dernier résultat, la même liberté, vient du sentiment religieux qui animait les novateurs de la Grande-Bretagne, et des principes d'irréligion qu'affichaient les artisans de nos discordes. Quelques vertus peuvent exister dans la superstition, il n'y en a point dans l'impiété. Les révolutionnaires anglais, fanatiques connurent le repentir ; les révolutionnaires français, athées, ont tous été sans remords : ils étaient insensibles à la fois comme la matière et comme le néant.

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