Généalogie de ma famille

En écrivant les différentes parties de ces Mémoires, je n’ai point dit le travail intérieur qu’ils m’ont coûté. Il était naturel qu’en m’occupant des hommes et des lieux, je voulusse connaître ce qu’étaient ces lieux et ces hommes. La passion de l’histoire m’a dominé toute ma vie. J’ai souvent entretenu des correspondances sur des faits qui n’intéressent personne : je me plais, par exemple, à savoir comment s’appelle un champ que j’ai vu sur le bord d’un chemin, qui possédait jadis ce champ, comment il est parvenu au propriétaire actuel ; je m’attache de même à découvrir ce que sont devenus des cadets disparus vers telle ou telle époque. C’est ainsi qu’ayant à parler de ma famille, je me suis livré à mes investigations favorites, sans autre intérêt que mon plaisir d’annaliste, indifférent d’ailleurs à tous les autres intérêts qu’on peut attacher à un nom : j’ai pensé mourir d’aise quand j’ai découvert que j’avais des alliances avec un prêtre de paroisse nommé Courte-Blanchardière de la Boucatelière-Foiret, qui demeurait dans un clocher.

J’avais donc réuni sur ma famille ce que j’en avais pu apprendre ; mais mon texte bourré de ma science devenait long : l’ennui que j’aime à trouver au fond de l’histoire n’est pas du goût de chacun ; c’est pourtant de la succession des terrains arides et féconds que se compose un pays.

Arrêté par mille difficultés, je résolus à ne mentionner dans mes Mémoires que ce qu’il fallait pour faire connaître les idées de mon père et l’influence qu’elles eurent sur ma première éducation. Une chose me décidait encore à la suppression de ces errements de famille : je possédais le mémorial des titres envoyés à Malte en 1789 pour mon agrégation à l’ordre ; mais je n’avais pas le travail des Chérin sur ces titres ; bien que ma présentation à Louis XVI fît preuve de ce travail, encore me manquait-il, et par conséquent la base de l’édifice. Les deux Chérin, Bernard et son fils Louis-Nicolas, étaient morts ; le dernier ayant embrassé la révolution, était devenu chef d’état-major de l’armée du Danube. On connaît la sévérité du père et du fils : le premier se plaignait des généalogistes chambrelants (ouvriers qui travaillent en chambre), gens sans études, qui, pour de l’argent, bercent les particuliers d’idées chimériques de noblesse et de grandeurs.

Les archives des Chérin avaient été dispersées quand le passé ne compta plus ; mais peu à peu les cartons cachés ou dérobés furent rapportés à notre vaste dépôt littéraire : ils y continuent aujourd’hui une série précieuse de manuscrits.

Le carton dans lequel il est question de ma famille est du nombre de ceux qui n’ont pas été perdus. M. Charles Lenormant, conservateur à la Bibliothèque du roi, sachant que je faisais des recherches, et pensant qu’une communication pouvait m’être utile, a bien voulu me faire part du dossier Chateaubriand. La pièce généalogique dont il m’a été permis de prendre copie est évidemment une minute composée d’abord par le premier Chérin, lorsqu’il fut chargé en 1782 d’examiner les titres de ma sœur Lucile pour son admission au chapitre de l’Argentière ; puis cette minute a été continuée par le second Chérin pour mon frère ; et enfin pour la rédaction du Mémorial des actes authentiques, quand je fus admis dans l’ordre de Malte.

Muni de ces documents, je ne puis plus reculer, car ils ne m’appartiennent pas ; c’est la propriété de mes neveux, aînés de ma famille ; je n’ai pas le droit, pour abonder dans mon opinion particulière, de les priver de ce qu’ils considèrent comme des épaves, produit de leur naufrage.

En plaçant ces arides reliques dans des casiers, je satisfais à ma piété envers mon père, soit que ses convictions aient été risibles ou raisonnables, chimériques ou fondées. J’ai fait les deux parts : les préjugés dans la note, mon indépendance dans le texte.

Une fois mon parti pris, j’ai cru qu’il était juste de joindre au travail des généalogistes des ordres du roi les autres documents que je possédais : ces documents ont repris leur valeur, mes propres recherches viennent de nécessité grossir ma collection.

Le nom que je porte ayant traversé beaucoup de siècles, beaucoup d’aventures se trouvent attachées à ce nom : je les mentionne toutes, afin de dissimuler autant qu’il m’a été possible l’ennui du sujet. Je combats aussi les historiens quand le point en litige en vaut la peine ; je montre comment ils se sont trompés, ou par imagination, ou par toute autre cause.

J’ai reporté les notes A et B tout à la fin et hors de mes Mémoires. Mais si ce m’était un devoir de produire la généalogie de ma famille, personne n’est obligé de la lire : ce hors-d’œuvre peut être passé sans le moindre inconvénient.

Chateaubriand ayant déjà donné, au tome I des Mémoires, de la page 4 à la page 17 (Livre Premier de la Première Partie), un résumé très complet de la Généalogie de sa famille, on a cru inutile de reproduire ici les nombreuses pièces et documents qu’il avait réunis à ce sujet, et qui, dans les éditions précédentes, où il sera du reste facile au lecteur de les retrouver, n’occupent pas moins de 122 pages.

Ce livre a été écrit en partie en 1834, et en partie en 1841, du 25 septembre au 16 novembre. Le cardinal Fleury méritait peut être mieux que cette épigramme. On lit dans le Journal de Charles C.-F. Greville, à la date du 24 janvier 1833 : « Nouveau dîner hier à l’ambassade de France. Talleyrand a « causé », comme l’on dit. Il est venu à parler du cardinal Fleury qu’il considère comme un des plus grands ministres ayant jamais gouverné la France, laquelle lui doit la Lorraine et vingt années de paix, et il prétend que l’histoire ne lui rend pas justice. » Guerre pour la succession de Pologne. Charles-Édouard, dit le Prétendant. Traité signé le 15 août 1761, entre les rois de France, d’Espagne et le duc de Parme, et ainsi nommé parce que tous les contractants appartenaient à la famille des Bourbons. Ce traité, dont le duc de Choiseul fut le principal auteur, avait pour but de prévenir, par l’union des forces françaises, espagnoles et italiennes, la supériorité de la marine anglaise. Dominique-Joseph Garat (1749-1833) ; conventionnel, ministre de la Justice en 1792, ministre de l’Intérieur en 1793, ambassadeur à Naples en 1797, député au Conseil des Anciens, sénateur, comte de l’Empire, représentant à la Chambre des Cent-Jours, etc., au demeurant un des plus plats valets de l’époque révolutionnaire. Le 20 janvier 1793, en sa qualité de ministre de la Justice, il fut chargé d’aller notifier à Louis XVI sa condamnation. Il se présenta devant le roi, le chapeau sur la tête : « Louis, dit-il, la Convention nationale a chargé le Conseil exécutif provisoire de vous signifier ses décrets des 15, 16, 19 et 20 janvier. Le secrétaire du Conseil va vous en faire la lecture. » Le secrétaire Grouvelle déploya alors son papier, et d’une voix faible, tremblante, lut la sentence. (Louis Blanc, Histoire de la Révolution, t. VIII, p. 65.) « Depuis David jusqu’à notre temps, les rois ont été appelés ; les nations semblent l’être à leur tour. » Manuscrit de 1834. « Le déluge de la démocratie les gagne. » Manuscrit de 1834. Voir l’Appendice no VI : L’Avenir du Monde. L’abbé de Chaulieu, dans sa pièce à Fontenay. Lamennais, poursuivi devant la Cour d’assises de la Seine pour un de ses écrits politique, le Pays et le Gouvernement, avait été condamné, le 26 décembre 1840, à un an de prison et à 2 000 francs d’amende. La brochure de Lamennais venait de paraître, lorsqu’à l’automne de 1841 Chateaubriand écrivait ces dernières pages des Mémoires. Lamennais fut enfermé à Sainte-Pélagie de janvier à décembre 1841. C’est là qu’il composa une Voix de prison, — un admirable petit volume qui renferme, à côté des colères furieuses du pamphlétaire, des pages d’une poésie exquise. Lamennais est mort, six ans après Chateaubriand, le 27 février 1854. Ses funérailles eurent lieu presque furtivement, le 1er mars. L’heure en fut avancée par l’autorité qui craignait des troubles ; six ou huit personnes suivaient le corbillard, dont la force armée éloignait la foule. « Le cercueil, raconte M. Blaize (Essai biographique sur M. F. de La Mennais), fut descendu dans une de ces longues et hideuses tranchées où l’on enterre le peuple. Lorsqu’il fut recouvert de terre, le fossoyeur demanda : Faut-il une croix ? M. Barbet répondit : Non. M. de La Mennais avait dit : « On ne mettra rien sur ma fosse. » Pas un mot ne fut prononcé sur la tombe. — Que n’a-t-il été donné à Chateaubriand de vivre assez pour assister son compatriote à l’heure de la mort ? Que serait-il arrivé si l’auteur du Génie du Christianisme avait pu, avec « son ardente foi », dire les paroles suprêmes à l’auteur de l’Essai sur l’indifférence ? Nous savons, par un témoin peu suspect (M. Forgues, Correspondance de Lamennais, Introduction, p. cxviii), que, sept heures avant de rendre le dernier soupir, La Mennais voulut parler, mais que, ne pouvant plus se faire comprendre, il se retourna vers la muraille, avec un mouvement d’impatience découragée. Que se passa-t-il alors dans cette âme, lorsque, séparée des vivants, elle se trouva seule avec elle-même ? Ne lui fut-il pas donné, ainsi qu’elle l’avait souhaité jadis à d’autres, (Correspondance, t. II p. 146) de sonder d’un regard l’abîme, à la lueur de cette lumière pénétrante, inexorable, qui nous apparaît aux derniers moments comme le crépuscule de l’éternité ! C’est le secret de Dieu. M. Ch. Lenormant, savant compagnon de voyage de Champollion, a préservé la grammaire des obélisques que M. Ampère est allé étudier aujourd’hui sur les ruines de Thèbes et de Memphis. Ch.

Le 28 avril 1847, en adressant à M. Mandaroux-Vertamy, l’un de ses exécuteurs testamentaires, le manuscrit de ses Mémoires, Chateaubriand accompagnait cet envoi de la note suivante :

« Voilà tous mes manuscrits compris généralement sous le nom de Mémoires, ils commencent par ces mots : « Comme il m’est impossible de prévoir le moment de ma fin » et finissent par ceux-ci : « Il ne me reste qu’à m’asseoir au bord de ma fosse, après quoi je descendrai hardiment, le crucifix à la main, dans l’éternité. » Ces manuscrits se composent de quarante-deux livres ; ils appartiennent à la Société formée en mars 1836 pour les publier. Cette Société est représentée par MM. Sala et Cie, qui me payent avec exactitude la somme annuelle et viagère à laquelle elle s’est obligée envers moi.

« Je termine mes travaux au moment même de quitter ce monde ; je me prépare à aller chercher dans l’autre le repos éternel que j’ai toujours désiré [**] .

« Chateaubriand. »

J’avais avancé, dans mon Introduction, que Chateaubriand avait maintenu, jusqu’à la fin de sa vie, la division de ses Mémoires en Livres. La note de 1847 achève de mettre ce point hors de contestation. — Je dois ce précieux document à une obligeante communication de M. Charles de Lacombe.

** Voir l’Appendice no VII : Les Dernières années de Chateaubriand.

Voir au tome 1, la note 1 de la page 178. Sur Julie de Chateaubriand, voir, au tome I des Mémoires, les pages 177-181. Vies des justes dans les plus hauts rangs de la Société, par l’abbé Carron. Paris, chez Rusand, 1817, in-12. Tome IV. Supplément aux Vies des justes dans les conditions ordinaires de la Société, p. 349 et suiv, Ch. Le 2 septembre 1763. En 1782. Pauline-Zoé Marie de Farcy de Montavallon, née à Fougères le 15 juin 1784. décédée à Rennes le 24 décembre 1850. Le 16 novembre 1814, elle avait épousé Hyacinthe-Eugène-Pierre de Ravenel du Boisteilleul, capitaine d’artillerie, décoré sur le champ de bataille de Smolensk. M. du Boisteilleul est mort à la Tricaudais en Guichen le 13 juin 1868. Mme de Farcy fut arrêtée le 21 octobre 1793, et enfermée à Rennes au couvent du Bon-Pasteur, devenu la prison de la Motte. Elle ne retrouva la liberté que le 5 novembre 1794. — Voir, pour les détails, au tome I des Mémoires, la note 1 de la page 146 et la note 1 de la page 147 (notes 20 et 21 du Livre III de la Première Partie). Voir, au tome IV, 298-299, les pages de Chateaubriand sur le comte de la Ferronnays (Livre IX de la Troisième Partie). Lagrené (Marie-Melchior-Joseph-Théodore de), né à Anvers le 14 mars 1800, mort à Paris le 26 avril 1862. Après avoir été attaché quelque temps (1822) au ministère des Affaires étrangères, sous Mathieu de Montmorency, il accompagna cet homme d’État au Congrès de Vérone et fut, l’année suivante, envoyé auprès de M. de La Ferronnays, ambassadeur en Russie. Après avoir été, de 1836 à 1843, ministre de France en Grèce, M. de Lagrené remplit en Chine, de 1843 à 1846, une mission qui fut couronnée du plus complet succès. Pair de France de 1846 à 1848, représentant de la Somme à l’Assemblée législative de 1849, il quitta définitivement les affaires au lendemain du coup d’État. Le comte Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie à Paris. Discours du roi Louis XVIII, prononcé à l’ouverture de la session des Chambres, le 23 mars 1824. Le comte Capo d’Istria (1776-1831), ministre des Affaires étrangères en Russie de 1816 à 1822. Traité du 31 mars 1815, signé à Vienne, pendant le Congrès, entre l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et la Russie. Strangford (Parcy-Clinton-Sydney-Smith, vicomte de) lord Penhurst, né en 1780, mort en 1855. Ambassadeur d’Angleterre à Stockholm (1817), à Constantinople, de 1822 à 1825, époque à laquelle il devint ambassadeur à Saint-Pétersbourg. Titre donné en Turquie au ministre des Affaires étrangères. Ambassadeur d’Angleterre près la cour de Russie. Ambassadeur d’Autriche à Saint-Pétersbourg. Il venait d’être nommé ambassadeur de Russie à Madrid. Le comte David d’Alopeus, ministre plénipotentiaire de Russie à la cour de Berlin. Voyez sur lui, au tome IV des Mémoires, la note de la page 187 (note 14 du Livre VIII de la Troisième Partie). Ambassadeur d’Angleterre à Madrid. Louis-Justin-Marie, marquis de Talaru, ambassadeur de France à Madrid. — Voir sur lui, au tome II des Mémoires, la note 2 de la page 300. (note 15 du Livre II de la Deuxième Partie) Guillaume I er, né le 27 septembre 1781, roi de Wurtemberg depuis le 30 octobre 1816. Marié en 1808 avec la princesse Caroline-Auguste de Bavière et divorcé d’avec elle en 1814, il avait épousé, le 24 janvier 1816, la sœur de l’empereur Alexandre, Catherina-Paulowna, veuve, en premières noces, le 27 décembre 1812, du prince Pierre-Frédéric-Georges de Holstein-Oldenbourg. La princesse Catherina-Paulowna étant morte en 1819, Guillaume Ier épousa en troisièmes noces, en 1820, sa cousine Pauline, fille du prince Louis de Wurtemberg, de laquelle il eut Charles Ier, depuis roi de Wurtemberg. Le comte Georges de Caraman, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de France à Stuttgard. Beroldingen (Joseph-Ignace, comte de), né dans le Wurtemberg en 1780. Après avoir servi dans les rangs français jusqu’en 1813, avec le grade de général, il fut nommé, en 1814, ambassadeur à Londres. En 1823, il fut appelé par le roi Guillaume Ier au poste de ministre des Affaires étrangères, qu’il devait conserver pendant vingt-cinq ans. Il ne quitta le pouvoir qu’en 1848. Michaël-Paulowitch, né le 8 février 1798, frère de l’empereur Alexandre. Il avait épousé le 19 février 1824, la princesse Frédéricque-Charlotte-Marie de Wurtemberg. Voir au tome V, la note 1 de la page 195 (note 53 du Livre XIII de la Troisième Partie). Ambassadeur d’Angleterre à Paris. — Sur sir Charles Stuart, voir au tome V des Mémoires la note 2 de la page 354 (note 21 du Livre XV de la Troisième Partie). Le comte de Modène était de famille française. Son père, après avoir été ministre plénipotentiaire de France en Suède, était devenu, en 1771, gentilhomme d’honneur du comte de Provence, puis gouverneur du palais du Luxembourg. Il avait émigré avec le prince et était resté près de lui jusqu’à sa mort en 1799. Le comte de Modène, dont parle ici M. de La Ferronnays, avait donc passé sa jeunesse à la cour du comte de Provence, le futur Louis XVIII. Sur Bernard Chérin, voir au tome I des Mémoires, la note 2 de la page 5 (note 8 du Livre Premier de la Première Partie).
I Chateaubriand et l’hirondelle
II Le mariage morganatique de la duchesse de Berry
III Fragments inédits des « Mémoires d’Outre-Tombe »
IV Madame Tastu et les « Mémoires d’Outre-Tombe »
V Le prince de Talleyrand et les Traités de Vienne
VI L’avenir du monde
VII Les dernières années de Chateaubriand

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