ÉPILOGUE

Il nous reste maintenant à conter ce que devinrent les autres coupables.

Nous avons dit qu’en sortant de la dernière audience du tribunal ces autres condamnés avaient été séparés de Lesage et Soufflard.

Après avoir mené Alliette et la Vollard dans la division des femmes, on laissa les hommes ensemble. Ils devaient attendre jusqu’au lendemain, au dépôt, leur transfèrement à la Roquette.

La figure de Micaud rayonnait de joie.

– J’ai retrouvé mon argent, se disait-il en passant la main derrière sa tête pour palper le collet de sa redingote que lui avait rendue Soufflard.

En ce moment, malgré les murs qui séparaient, deux ou trois horribles cris retentirent.

Un sourire s’épanouit sur les lèvres du dénonciateur en entendant ces hurlements de douleur.

– Oui, répéta-t-il, j’ai mon argent et j’ai su rendre ma vengeance complète. La guillotine était trop douce pour Soufflard ; il n’aurait pas assez souffert, et je lui ai ménagé une agonie un peu soignée.

Les cris du mourant se firent encore entendre aux oreilles de Micaud qui continua de rire.

– J’avais bien raison de dire que, quand tu aurais ma poudre dans le tuyau, tu verrais bien si c’était de la guimauve. Crève comme un chien, mauvais voleur de femmes ! !…

Et tout heureux de son effroyable rancune satisfaite le coquin se frottait les mains en ajoutant :

– Oui, crève, et pendant que tu seras à cinq pieds sous le terreau à téter la laitue par la racine, ton ami Micaud trouvera bien, avec son argent reconquis, le moyen, de prendre la clef des champs et d’aller vivre tranquille dans quelque petit coin.

Tel était le dégoût que le dénonciateur inspirait à ses complices, qu’ils refusèrent de le laisser manger à côté d’eux quand les gardiens apportèrent le repas du soir.

Micaud fut obligé d’emporter sa gamelle à l’autre bout de la salle commune.

Malgré la terrible condamnation qui pesait sur lui, Leviel conservait sa gaieté pendant ce repas.

– Vingt ans de pré , disait-il à ses camarades ! on m’a fait bonne mesure. Je vais faire comme les gens riches, je passerai maintenant mes hivers dans le Midi.

– Le séjour de Toulon n’est pas si bon que ça pour ma santé ; je me serais bien passé de l’ordonnance, moi, répliqua Lemeunier.

– Ça n’empêche pas que c’est heureux que nous n’ayons pas pu faire bâtir des maisons à Paris, nous aurions été gênés pour toucher nos loyers, ajouta Leviel.

À ce moment, leur conversation fut interrompue par un cri de bête fauve ; Micaud s’était élancé de son coin, et, les cheveux hérissés, l’œil hagard, il arriva sur eux.

– Mon argent ! mon argent ! répétait-il d’une voix saccadée.

Il tenait d’une main sa redingote dont le collet était décousu ; de l’autre il agitait un grossier et épais morceau de papier qu’il avait trouvé dans la doublure, quand, tout à l’heure, en se voyant seul, il avait eu l’idée de découdre la partie du vêtement où il avait caché son argent.

– Mon argent ! mon argent ! qui m’a pris mon argent ? demanda-t-il encore avec le même ton égaré.

– Tiens, tu avais donc un sac ? Toi qui faisais le pauvre ! s’écria Lemeunier.

– Qui m’a pris mon argent ? quel est le voleur qui a écrit cela ? grinça Micaud en agitant le papier.

Leviel le lui arracha des mains et lut tout haut :

« Si Micaud n’avait pas fait le malin avec les amis, au lieu de lui prendre son argent, on en aurait rajouté. »

Tous les prisonniers se mirent à pouffer.

Micaud les regarda un instant d’un air hébété ; puis il partit d’un éclat de rire, mais vibrant et étrange, qui surprit ses compagnons.

– On dirait qu’il a le coco qui se fêle, dit Leviel en l’examinant.

– Oui, il vient de lui pousser un artichaut dans les idées, ajouta Lemeunier.

Ils avaient raison, Micaud était tout à coup devenu fou furieux.

Après les premiers soins demeurés inutiles, le misérable fut transporté à Bicêtre où, six ans après, il mourut dans une horrible crise, sans avoir jamais prononcé d’autres mots que « Mon argent ! »

Il nous est impossible de suivre chacun des complices de la bande. Disons tout de suite que la Vollard et Leviel moururent avant l’expiration de leur peine.

Le moucheron parvint-il à soustraire les vingt mille francs de Micaud à la surveillance de ses gardiens ? Comment les dépensa-t-il ? nous l’ignorons. À sa majorité, il sortit de la prison de la Roquette, et, un mois plus tard, il se faisait condamner à deux ans de prison pour vol. Il n’y avait que cinq jours qu’il avait fini de subir cette condamnation quand éclata la terrible insurrection de Juin. Le moucheron se mêla aux insurgés ; mais pendant que ceux-ci se faisaient tuer sur les barricades, le moucheron s’occupait à dévaliser les maisons désertes.

Il fut pris sur le fait et fusillé aussitôt au coin d’une borne.

Son cynisme ne l’abandonna pas au dernier instant, car, en voyant les fusils s’abaisser vers lui, il eut encore le temps de dire :

– V’là des imbéciles qui vont m’abîmer mon gilet de flanelle !…

Il nous reste maintenant à dire au lecteur ce que devint Alliette.

Quand, après sa condamnation, elle fut transférée de la Conciergerie à Saint-Lazare, Alliette, en gagnant la voiture qui allait l’emmener, dut traverser les rangs des policiers chargés de surveiller la mise en voiture du grand convoi de prisonnières au nombre desquelles elle se trouvait.

Sur son passage elle vit se dresser une figure pâle et maigre.

C’était le pauvre l’Écureuil.

– J’attendrai, lui dit-il d’une voix pleine de larmes.

Alliette, dans sa prison, fut un modèle de bonne conduite. Les mois s’écoulèrent lentement pour elle.

Quelquefois, en pensant à celui dont l’amour l’avait rendue meilleure, le désespoir prenait la prisonnière, qui alors tentait l’épreuve des boulettes…

Cette épreuve des boulettes est la bonne aventure des prisons, et voici comment elle se pratique :

Le prisonnier fait autant de boulettes de mie de pain qu’il veut adresser de questions au sort. Chaque question est écrite sur un mince papier qu’on enferme dans une boulette ; puis on les jette dans un verre d’eau.

La réponse du sort est donnée par la première boulette, que l’humidité fait entr’ouvrir.

– Ferai-je mon temps ?

– Dois-je mourir en prison ?

– Aurai-je une remise de peine ?

Telles étaient les trois questions que la pauvre Alliette posait à l’oracle qui toujours répondait par la boulette de la remise de peine.

Et pourtant trois années s’étaient déjà écoulées ! Mais le roman amoureux du brave policier avait transpiré parmi ses chefs ; on s’intéressait à ce garçon si intelligent, si actif, et comme la conduite de la prisonnière témoignait un sincère repentir, il arriva qu’un beau matin l’Écureuil fut appelé chez son chef.

Ce chef ne lui dit qu’une seule phrase, mais elle suffit pour faire bondir de joie l’amoureux policier.

Une heure après, ayant donné sa démission, et porteur de ses économies accrues par un récent petit héritage, l’Écureuil attendait à la porte de Saint-Lazare la sortie d’Alliette à laquelle la clémence royale faisait remise du reste de sa peine.

Alliette parut, toujours belle.

À la vue de l’Écureuil, elle pâlit.

L’amoureux marcha vers elle, et lui dit d’une voix que l’anxiété faisait trembler :

– Tu as vingt-sept ans, Alliette ; à cet âge on peut encore recommencer sa vie. Veux-tu suivre un honnête homme qui ne te rappellera jamais le passé ?

Alliette était trop émue pour répondre, mais elle posa sa petite main sur le bras de l’Écureuil.

Le soir même, ils avaient quitté ce Paris qu’ils ne devaient plus revoir.

FIN

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