VIII

Ainsi que nous l’avons annoncé, l’auberge du Franc-Roulier, où la bande de la belle Alliette devait se réunir le soir, était tenue par le fourgat de la troupe.

La destinée de l’homme qui travaille sans capitaux, a-t-on dit, quel que soit, d’ailleurs, le métier qu’il exerce, est d’être continuellement exploité par ceux qui possèdent. Les voleurs subissent la loi commune ; ils volent tout le monde, mais, à leur tour, ils sont volés par les fourgats, qui ne craignent pas de leur payer cent francs ce qui vaut quatre fois autant. Aussi les fourgats habiles font-ils promptement fortune, tandis que ceux aux dépens desquels ils s’enrichissent, vont pourrir dans les prisons et les bagnes.

Malheureusement pour Louis Rigobin, le propriétaire du Franc-Roulier, l’envie d’aller trop vite l’avait jeté dans la voie d’un désastreux cumul. À son titre de fourgat, il joignait celui de Père des voleurs. – Ceux que le bagne rendait à Paris et qui, sans ressources, avaient besoin d’un certain temps pour se refaire la main ; ceux qu’une active poursuite, après un bon coup fait, obligeait de se cacher, ou bien ceux qui, soit qu’ils ne fussent pas en veine, soit qu’ils eussent un poupard à nourrir , se trouvaient momentanément sans argent ; tous, disons-nous, étaient cachés et nourris à crédit au Franc-Roulier.

Il en résultait que ce qui arrivait par le vol s’en allait par le crédit. Rigobin voyait souvent la prison lui confisquer un débiteur qu’il avait longtemps soutenu dans l’espoir d’un important recel.

Une condamnation à perpétuité, équivalant à une banqueroute, soldait le compte que le confiant aubergiste avait cru pouvoir ouvrir à ce garçon qui lui paraissait plein d’avenir.

Rigobin aurait bien voulu liquider sa situation ; mais, outre que les fonds en circulation étaient d’une rentrée difficile, il avait à craindre qu’un débiteur trop harcelé se débarrassât de lui par une dénonciation qui, au lieu de la jolie retraite en Touraine que le recéleur rêvait pour sa vieillesse, pouvait l’envoyer finir ses jours à Toulon ou à Rochefort.

Il ne faudrait pourtant pas croire que Rigobin n’eût jamais de moment d’impatience. Il lui arrivait quelquefois de vouloir se soustraire à ce crédit forcé qu’il était obligé de faire.

Il se trouvait précisément dans un de ces moments de révolte, quand se présenta l’avant-garde de la troupe d’Alliette, qui, débusquée du Gros-Caillou, venait chercher un refuge au Franc-Roulier.

Enjôlé par la belle blonde, Rigobin avait accordé une ardoise à chacun des bandits. Mais depuis longtemps, sans doute par suite de l’emprisonnement de ses deux chefs, Soufflard et Lesage, la troupe avait peu travaillé. En revanche, elle avait largement bu et mangé, de sorte que le chiffre de la dette avait atteint un assez joli total pour que le créancier songeât à être remboursé par le produit de quelque beau vol.

– Ces feignants-là boiront sans travailler jusqu’au jugement dernier, si je ne secoue pas leur paresse, s’était dit le digne recéleur.

Telles étaient les dispositions hostiles de l’aubergiste quand se présenta Alliette, suivie de Soufflard, Lesage, Lemeunier, Champenois, le Pendu et le charmant Alfred qui, n’ayant pu trouver un chien à voler sur sa route, avait décroché un gigot à l’étal d’un boucher.

– Du zèle, Rigobin, cria la blonde, nous mourons de faim, vieux fourgat, sers-nous une belle ripaille au plus vite.

Et elle passa sans faire attention à l’air refrogné du cabaretier.

– Tenez, gros père, j’ai apporté notre dessert, vous nous le servirez avec un peu de thé, ajouta le moucheron, en jetant sur le comptoir d’étain son gigot, qui pouvait peser six livres.

Au fond d’une seconde cour, loin de la rue et des regards curieux, l’auberge possédait une salle bien connue de la troupe d’Alliette. C’est là que les garçons, deux ex-détenus de Poissy, préparèrent la table.

– Le patron va vous apporter lui-même le premier plat, dit l’un d’eux en se retirant après le couvert mis.

– À table ! cria Leviel.

Tous prirent place sur les bancs.

Après une pareille journée d’émotion, la faim et surtout la soif faisaient rage chez les convives.

– Tiens ! dit Soufflard, ils ont oublié de nous donner du vin.

En effet deux sales carafes d’eau se dressaient sur la table.

– Moi, je ne veux pas boire d’eau, cria le moucheron : on dit que ça fait venir des sangsues dans le ventre.

À ce moment, Rigobin parut à la porte.

Il portait gravement un plat couvert qu’il posa devant Alliette, placée au centre de la table.

La belle enleva le couvercle.

Une longue feuille de papier s’étendait au fond du plat.

– C’est la note de ce qu’on me doit, dit sèchement Rigobin. L’œil est crevé, mes enfants, payez ou pas de fricot.

Cette exigence inattendue consterna la troupe.

– Au moins, rends-moi le gigot, cria le moucheron.

– Je le garde en acompte. Il est déduit sur la note, voyez plutôt.

Et du doigt, Rigobin montra cette mention :

« AVOIR, un gigot de 6 livres… DOUZE SOUS. »

C’était à peu près dans cette portion-là que l’honnête recéleur achetait et payait à ses clients les objets volés.

– Voyons, Rigobin, demanda Leviel, ne peux-tu pas attendre encore ? Tu sais que nous te payerons au premier jour.

– Voilà trop longtemps que je l’attends, ce premier jour. Vous lanternez toujours en vous disant : « Papa Rigobin est bon là. » C’est assez, je ne veux plus nourrir des paresseux.

– Allons, fourgat, fit Alliette de sa plus douce voix, un peu de patience nous allons maintenant marcher de l’avant, car voici Lesage et Soufflard délivrés depuis ce matin.

Rigobin resta insensible au ton de prière de la femme.

– À propos, fit Soufflard, dis donc, Rigobin, ce matin, en quittant la prison, Delsaive m’a chargé de lui donner de tes nouvelles et de lui faire savoir si tu es toujours gentil avec les camarades.

Ce nom fit pâlir l’aubergiste.

Ce Delsaive en savait sans doute assez long sur le fourgat pour que, si l’envie lui prenait de parler, sa dénonciation fît évanouir le beau rêve d’une retraite en Touraine, que caressait le recéleur.

Il comprit la menace sérieuse qui se cachait dans la phrase de Soufflard.

– Si, au moins, vous aviez quelque joli coup sur la planche !… dit-il d’un ton radouci.

– Nous en chercherons un.

– Ah ! oui, chercher, toujours chercher, quand il vous faudrait avoir.

– Ceux que nous avons ne sont pas encore mûrs.

La veuve Vollard avait écouté sans rien dire. Tout à coup, elle fit un signe pour réclamer le silence.

– Un beau coup, j’en connais un tout cuit, moi, il n’y a qu’à le manger.

– Conte-nous cela.

La veuve promena ses regards sur tous les convives.

– Oui, mais il faut que ceux qui s’en chargeront soient deux gaillards qui n’aient pas froid aux yeux, je vous en préviens.

Un petit frisson courut autour de la table.

– Il y a donc un rude coup de collier à donner, la mère ? demanda Lemeunier.

– Mieux que ça, mon garçon.

– Quoi donc ?

– Cela peut finir par la grande soulasse .

Lesage et Soufflard échangèrent un regard.

Ils s’étaient compris !

Les deux bêtes féroces sentaient déjà le sang.

– Voyons, conte-nous la trouvaille, demanda tranquillement Alliette.

– Non, mangeons d’abord, plus tard les affaires, répliqua la veuve.

– Eh bien, Rigobin, seras-tu toujours inébranlable ?

– Dame ! non ; du moment que vous devenez raisonnables. Qu’est-ce que je voulais, moi, vous voir travailler. Je connais la Vollard ; ce n’est pas une petite folle qui vous dérangerait pour rien ; j’ai confiance en elle, et je consens à attendre. Dans cinq minutes, vous serez servis.

Et le brave aubergiste courut à sa cuisine.

Un quart d’heure après, le souper faisait son apparition sur la table.

– Oui, s’écria Alliette, la Vollard nous dira la chose au dessert, entre la poire et le fromage ; jusque-là, rigolons.

– Bravo ! rigolons ! cria-t-on en chœur.

Ils rigolèrent si bien que, deux heures après, ils étaient à peu près ivres, sauf Calmel-le-Pendu qui pleurait.

Ce bandit qui, à jeun, ne redoutait rien, avait l’ivresse triste, peureuse, et débordant d’une douce morale.

– Oui, mes frères, en vérité je vous le dis, répétait-il en secouant la tête, nous glissons sur la pente du mal.

– Ah ! tu m’embêtes ! criait le moucheron, va pleurer dans le verre de maman, moi j’aime le vin pur.

– Arrêtez-vous ! arrêtez-vous ! répétait l’ivrogne, tout cela peut vous mener trop loin, croyez-en un homme qui a été déjà pendu !

– Ah ! une idée ! fit Leviel, s’il nous contait comment il a été pendu en Angleterre.

– Oui, ce doit être cocasse.

– Allons ! Calmel, joue de la langue, mon bonhomme, et dis-nous à quoi tu pensais quand tu avais la corde au cou.

– Oui, oui, cria la société.

– Puisse mon histoire vous faire réfléchir, dit gravement le scélérat que le vin rendait repentant et sensible.

Et il commença son récit .

« Il était quatre heures de l’après-midi. La permission de ma largue étant expirée, le geôlier la fit sortir ; et quand elle fut partie, il me sembla que j’avais fait la dernière action de ma vie. J’aurais souhaité de mourir à l’heure même. Mais à mesure que le crépuscule arrivait, ma prison devenait plus froide et plus humide ; la soirée était sombre et brumeuse et je n’avais ni feu ni chandelle… par cette soirée de janvier.

– Cancres d’Anglais ? Ils lésinent pour leurs pendus ! fit Lemeunier.

» Mon cœur s’affaissa sous la désolation de tout ce qui m’entourait, et peu à peu la pensée de ma largue, de ce qu’elle deviendrait, commença à céder devant le sentiment de ma propre situation. Ce fut la première fois que je compris l’arrêt que j’allais subir dans quelques heures ; une terreur horrible me gagna, comme si jusque-là je n’eusse pas su réellement que je devais mourir.

– Pas gaie, la situation ! dit Leviel le nez dans son verre.

» Je n’avais rien mangé depuis vingt-quatre heures ; et il y avait là de la nourriture que le geôlier m’avait envoyée de sa propre table, mais quand je la regardais, je pensais aux animaux qu’on engraisse pour les tuer. Une sorte de bourdonnement sourd résonnait à mes oreilles, et, quoiqu’il fût nuit close, des étincelles lumineuses passaient devant mes yeux. Tout à coup, il me sembla que toute cette terreur était vaine, que je ne resterais pas là pour attendre la mort. Je me levai d’un seul bond, je m’élançai aux grilles du cachot, je m’y attachai d’une telle force que je les courbai.

» Une prostration subite suivit cet effort, et je m’évanouis. Quand je revins à moi, j’entendis l’horloge du Saint-Sépulcre sonner dix heures. Alors, l’aumônier de la prison entra. Il m’exhorta à ne plus songer au monde, à réconcilier mon âme avec le ciel, puis il partit…

» Je m’assis sur mon lit, et je m’efforçai de me préparer à mon sort. Je me répétai que je n’avais plus que peu d’heures à vivre ; qu’au moins fallait-il mourir en homme. J’essayai alors de me rappeler ce que j’avais entendu dire sur la mort par la pendaison ; que ce n’était que l’angoisse d’un moment, qu’elle causait peu de douleur, qu’elle tuait vite.

» Peu à peu ma tête commença à s’égarer encore une fois. – Je portai mes mains à ma gorge ; je la serrai fortement comme pour essayer de la sensation d’étrangler. Ensuite je tâtai mes bras aux endroits où la corde devait être attachée ; je la sentais passer et repasser jusqu’à ce qu’elle fût nouée solidement ; mais la chose qui me faisait le plus d’horreur était de sentir sur ma figure l’ignoble bonnet blanc qu’on abaisse sur le visage du condamné avant d’ouvrir la trappe. Si j’avais pu éviter cela, le reste était moins horrible.

» Au milieu de ces imaginations, un engourdissement général gagna, petit à petit, mes membres. Une stupeur pesante vint diminuer la souffrance causée par mes idées, quoique je continuasse à penser. L’horloge de l’église sonna minuit. J’avais le sentiment du son, mais il m’arrivait indistinctement, comme à travers plusieurs portes fermées. Peu à peu, je vis les objets qui erraient dans ma mémoire disparaître partiellement, puis tout à fait. Je m’endormis. »

Le bandit fit une pause ; ses auditeurs en profitèrent pour échanger des plaisanteries.

Pendant cette interruption, Calmel-le-Pendu se versa et dégusta lentement un grand verre d’eau-de-vie. Le bandit avait beau boire, il ne pouvait s’enivrer davantage ; seulement il devenait plus triste et plus sombre. Ses complices l’écoutaient avec cette vive attention de gens qui se savent appelés, d’un instant à l’autre, à passer par de pareilles transes.

Quant à Alliette et Soufflard, retirés dans un coin de la salle et les mains enlacées, ils parlaient d’amour. Ces deux êtres, souillés de crimes et peut-être à la veille de verser le sang, oubliaient tout pour faire d’amoureux projets d’avenir.

Calmel but encore et continua :

« Je dormis jusqu’à l’heure qui devait précéder l’exécution. Il était sept heures lorsqu’un grincement de la porte de mon cachot m’éveilla. J’entendis le bruit comme dans un rêve, quelques secondes avant d’être complètement réveillé, et ma première sensation ne fut que l’humeur d’un homme fatigué qu’on réveille en sursaut. J’étais las, je voulais dormir encore ; je n’avais pas retrouvé le sentiment de la situation. Le geôlier entra, portant une petite lampe et suivi du directeur de la prison et de l’aumônier. Je levai la tête. Un frisson semblable à un choc électrique, à un plongeon dans un bain de glace, me parcourut tout le corps. Un coup d’œil avait suffi pour tout me rappeler.

» Le sommeil s’était dissipé comme si je n’eusse jamais dormi, comme si jamais plus je ne devais dormir. Le geôlier me fit lever et l’aumônier me demanda que je me joignisse à lui pour prier. Je me ramassai sur moi-même et je restai assis sur le bord du lit. Mes dents claquaient et mes genoux s’entrechoquaient en dépit de moi.

» Il ne faisait pas encore grand jour, et comme la porte du cachot restait ouverte, je voyais la petite cour pavée. L’air était épais et il tombait une pluie lente et continue.

» – Il est sept heures et demie passées, me dit le geôlier en chef.

» Je rassemblai mes forces pour demander qu’on me laissât seul jusqu’au dernier moment. J’avais trente minutes à vivre. Le prêtre voulut parler. Je lui fis signe et il se retira.

» Lorsqu’ils furent partis, je restai à la même place sur le lit. J’étais engourdi par le froid, probablement par le sommeil et par le grand air inaccoutumé qui avait pénétré dans ma prison. Je demeurai roulé, pour ainsi dire, sur moi-même, afin de me tenir plus chaud. Mon corps semblait un poids que je ne pouvais soulever.

» Le jour éclairait de plus en plus, quoique jaunâtre et terne, et la lumière se glissait par degrés dans mon cachot, me montrant les murs humides et le pavé noir : et je ne pouvais m’empêcher de remarquer ces choses puériles, quoique la mort m’attendit l’instant d’après.

» Pendant cette anxiété, j’entendis la cloche de la chapelle commencer à sonner l’heure et je pensai que ce ne pouvait être encore que les trois quarts après sept heures ! ! L’horloge tinta les trois quarts… elle tinta le quatrième… puis elle sonna huit heures !… l’heure de ma mort ! ! !

» Mes souvenirs sont très précis jusque-là, mais pas à beaucoup près aussi distincts sur ce qui suivit. – Je me rappelle cependant très bien comment je sortis de mon cachot pour passer dans la grande salle. Deux hommes, sombres et muets, vêtus de noir, me soutenaient. Je sais que j’essayai de me lever quand je vis entrer le geôlier-chef avec ses hommes, mais je ne pus pas. J’étais en plomb. – Dans la grande salle étaient déjà deux malheureux qui devaient subir leur supplice avec moi. Ils avaient les mains liées derrière le dos, et ils étaient assis sur un banc, en attendant que je fusse prêt. Un vieillard, à cheveux blancs, lisait haut à l’un d’eux ; il vint à moi et me dit quelque chose… que nous devrions nous embrasser, à ce que je crois.

» La chose la plus difficile pour moi était de me retenir de tomber ; le cœur me manquait comme si le plancher se dérobait sous moi. Je ne pus que faire signe au vieillard à cheveux blancs de me laisser.

» Quelqu’un intervint et l’écarta de moi. On acheva de m’attacher les bras. J’entendis un officier dire à demi voix à l’aumônier que tout était prêt !… Comme nous sortions, un homme noir porta un verre d’eau à mes lèvres, mais je ne pus l’avaler.

» Nous commençâmes à nous mettre en marche à travers les passages voûtés qui conduisent de la grande salle à la potence. J’entendis les coups pressés de la cloche et la voix grave de l’aumônier, qui lisait en marchant devant nous : « Je suis la résurrection et la vie, a dit le Seigneur, celui qui croit en moi, quand même il serait mort, vivra. » – C’était le service des morts récité pour nous qui étions vivants.

» Je sentis tout à coup la transition brusque de ces passages souterrains, chauds et étouffés, à la plate-forme de l’échafaud en plein air. La brise humide et froide vint frapper mon visage. – J’étais arrivé sous la corde fatale ! ! ! – Je vois tout encore aujourd’hui ; l’horrible perspective est tout entière sous mes yeux ; l’échafaud, la pluie, les figures de la multitude, le peuple grimpant sur les toits, la fumée qui se rabattait pesamment le long des cheminées, l’église du Saint-Sépulcre dont tintait la cloche, les charrettes remplies de femmes regardant de la cour de l’auberge en face. J’entends encore le murmure bas et rauque qui circula dans la foule quand nous parûmes. Jamais je ne vis tant d’objets à la fois, si distinctement, qu’à ce coup d’œil ; mais il fut court.

» À dater de ce moment, tout ce qui suivit fut nul pour moi. Les prières de l’aumônier, l’attache du nœud fatal, le bonnet dont l’idée m’inspirait tant d’horreur, mon exécution, ne m’ont laissé aucun souvenir ; tout s’arrête à la vue de l’échafaud et de la rue. Je m’étais évanoui !

» Ce qui, pour moi, semble suivre immédiatement, poursuivit le conteur, est mon réveil d’un sommeil profond. Je me trouvai dans une chambre, sur un lit, près d’un homme qui, lorsque j’ouvris les yeux, me regardait attentivement. C’était un médecin qui avait acheté au bourreau mon corps pour le disséquer. Il paraît que le nœud avait été mal fait, et, me trouvant un reste de chaleur, le docteur m’avait rappelé à la vie. »

À la fin de son récit, l’ancien pendu était arrivé au paroxysme de cette ivresse triste et prêcheuse qui lui était familière.

Il se leva, la main tendue :

– En vérité, mes frères, je vous le dis, quittez le sentier du mal…

Un hourra général lui coupa la parole.

– Allons ! voilà qu’il devient désagréable en société à présent.

– Qu’on le couche !

– Faites-lui avaler un bouchon, ça empêchera sa morale de sortir.

Calmel continua quand même.

– Quittez la voie funeste, ou mal vous adviendra. Croyez-en un revenant sorti pour vous de la tombe.

– Ah ! bon, voilà qu’il pose au revenant.

– Est-ce qu’il y a des revenants ?

– Montrez m’en un, criait Alfred, que je lui coupe les cheveux, et…

Le gamin n’acheva pas sa phrase. La figure pâle, la bouche béante, il s’arrêta en tournant vers la porte des yeux agrandis par la peur.

Tous les yeux suivirent la direction de son regard.

Un cri de surprise sortit de chaque poitrine.

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