XXIII

Le jeudi matin, avant-veille de l’évasion projetée, le gardien vint chercher Soufflard pour la promenade au préau.

Quand ils remontèrent, ils virent le brigadier surveillant ses aides, qui installaient un second lit dans la cellule.

– Ah ! Soufflard, dit-il, j’ai une bonne nouvelle à vous donner. L’instruction de votre affaire étant terminée, votre secret se trouve à peu près levé, et vous aurez à l’avenir un compagnon de cellule.

Le prisonnier retint un mouvement de rage.

Ce nouveau venu allait tout compromettre, car le lampiste ne consentirait pas à faire évader deux personnes.

– Allons, dit le brigadier, je vais vous envoyer votre compagnon dont on dresse en ce moment l’écrou au greffe.

Cinq minutes après, la porte se rouvrit.

Un individu entra dans la cellule.

C’était Micaud ! !

À la vue de Micaud, son dénonciateur, dont la présence devait faire manquer son évasion, Soufflard fût pris d’un accès de fureur insensée.

Il se précipita sur lui et le prit à la gorge afin de l’étrangler. Heureusement pour Micaud, les gardiens n’étaient pas encore assez loin pour ne pas entendre le cri de détresse qu’il poussa. On accourut aussitôt à son secours et on le délivra des mains de Soufflard qui, écumant de colère, se débattait contre ses gardiens, faute grave qui entraînait le cachot.

Ordre de l’y mener fut donné par le brigadier :

– Merci ! s’écria celui-ci, en voilà un qui est né pour la société. Après six mois d’isolement, quand on lui donne un compagnon, il le traite de la belle manière.

Le séjour du cachot calma la fureur de Soufflard.

– Tant mieux ! se dit-il, après quelques jours passés ici, on me remettra en cellule et on évitera de me placer avec Micaud. Si je ne m’évade pas samedi prochain, ce sera partie remise pour le samedi suivant. Attendons.

Depuis si longtemps que durait l’instruction, le meurtrier ne songeait plus que pouvait venir l’heure du jugement.

Du vendredi au mardi, il patienta. Seulement le samedi, en entendant sonner neuf heures du soir à l’horloge de la prison, il s’était dit :

– Sans cette canaille de Micaud, je serais maintenant en train de filer.

Le mercredi d’après, au matin, un bruit de pas retentit dans l’escalier qui descendait au cachot :

– Ah ! se dit-il, voilà qu’on vient me chercher pour me remettre en cellule. Dans trois jours je serai libre.

La porte fut ouverte par le brigadier-chef, suivi de deux gardiens.

– Venez ! lui dit-on.

Soufflard les suivit empressé.

Mais, en haut de l’escalier, il remarqua avec étonnement qu’on ne tournait pas du côté des secrets. Immédiatement l’inquiétude le prit.

Arrivé dans la cour neuve, Soufflard pâlit tout à coup à la vue d’une de ces voitures longues, servant au transport des prisonniers, qu’on appelait alors le panier à salade.

– Montez, dit le gardien-chef en lui ouvrant la porte placée à l’arrière.

– Où me conduit-on ? demanda Soufflard quand il fut en place.

– Parbleu ! mon garçon, répliqua le brigadier, aviez-vous donc cru qu’on vous laisserait ici mourir d’ennui ? C’est après-demain que vous passez en jugement, cela vous donnera un peu de distraction.

À cette nouvelle, Soufflard, atterré, s’affaissa sur son banc. Son espoir d’évasion faisait tout à coup place à l’affreuse réalité. On allait le mener au Dépôt, d’où il savait qu’on ne peut plus fuir, et, dans trois jours, la justice lui demanderait compte du sang versé.

Vingt minutes après, il était enfermé à la Conciergerie dont il ne devait plus sortir que pour paraître devant ses juges.

En même temps que Soufflard, on avait extrait des diverses prisons, pour les amener au Dépôt, tous les autres inculpés.

Ils étaient au nombre de treize.

M. Henri Fouquier, le continuateur émérite de l’Annuaire de Lesur, en parlant de cette cause, nous apprend que le nombre des individus inculpés avait été d’abord de quarante-six.

Après une longue instruction, le 26 novembre, la chambre du conseil avait déclaré :

« 1°Qu’il n’y avait aucune charge contre trente inculpés, parmi lesquels un Soumagnac, dit Magny (ce dernier était le célèbre Pied-Noir ; le chef de la bande des Habits-Noirs, prise plus tard) ;

2°Qu’il n’y avait pas charges suffisantes contre Champenois, femme Bicherelle, fille Dosion, Lemeunier et femme Lemeunier ;

3°Qu’il y avait charges suffisantes : contre Louis-Simon LESAGE, dit le Vieillard, âgé de trente-huit ans, et contre Jean-Victor SOUFFLARD, dit Frotté, dit Gaillard, dit Alliette-Victor, âgé de trente-trois ans, ébéniste, accusés d’avoir commis le crime d’assassinat et de vol sur la personne de la femme Renault ;

» Contre Jeanne Lesage, veuve VOLLARD, âgée de quarante-deux ans, journalière ; et contre Eugénie ALLIETTE, dite Eugénie Villers, âgée de vingt-quatre ans, brodeuse, accusées de s’être rendues leurs complices ;

» Contre Alphonse-André MICAUD, âgé de vingt-six ans, commis voyageur, accusé de s’être rendu complice du vol commis par Soufflard et Lesage.

» En conséquence, Lesage, Soufflard, Micaud, la femme Vollard et la fille Alliette étaient envoyés par la chambre des mises en accusation devant le tribunal.

» À l’acte d’accusation d’assassinat, l’instruction avait joint celui d’accusation de quatorze vols commis avec circonstances aggravantes, à diverses époques, par les accusés d’assassinat et par huit autres individus, les nommés Leviel, Bicherelle, Paulier, Guérard, Lemeunier, Calmel, Marchal et la femme Hardel. »

En tout, treize accusés, comme nous l’avons dit.

Ce fut le 8 mars 1839 que s’ouvrirent enfin les débats sur cette affaire qui, depuis neuf mois, tenait l’attention publique en éveil.

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