SCÈNE XI ET DERNIÈRE

DON RODRIGUE, FRÈRE LÉON, DEUX SOLDATS.

La même nuit.

Deux Soldats, Frère Léon, Don Rodrigue enchaîné, sur un bateau qui se dirige vers la terre. Un gros falot attaché au mât éclaire la scène.

La musique se compose : 1° d’instruments à vent (flûtes diverses) extrêmement verts et acides qui tiennent indéfiniment la même note jusqu’à la fin de la scène ; de temps en temps, l’un des instruments s’arrête, découvrant les lignes sous-jacentes qui continuent à filer ; 2° trois notes pincées en gamme montante sur les instruments à corde ; 3° une note avec l’archet ; 4° roulement sec avec des baguettes sur un petit tambour plat ; 5° deux petits gongs en métal ; 6° ventral et au milieu détonations sur un énorme tambour. Le tout pianissimo.

DON RODRIGUE, à l’un des soldats qui tient une lettre à la main.

Je vous prie de me donner cette lettre qui m’appartient.

FRÈRE LÉON

Donne-lui cette lettre, Manuelito.

LE SOLDAT

Je la lui donnerai si ça me plaît. Je n’aime pas qu’on fasse le Roi d’Angleterre avec moi.

DON RODRIGUE

Cette lettre m’appartient.

LE SOLDAT

C’est toi, mon vieux Rodrigue, qui m’appartiens. Le Roi dans sa grande miséricorde ayant jugé bon de pardonner à un traître,

T’a donné en toute propriété à son chambellan, qui t’a donné à son tour à son valet de chambre en payement de dix pièces d’or que lui avait prêtées ce fils de chien.

Qui à son tour ne sachant que faire de ce vieux N’a-qu’une-jambe,

T’a donné, pour un certain service, à moi, c’est une belle prise, demain je vas te faire tambouriner dans tout Majorque, je tirerai bien dix sous de toi au prix qu’est la peau de traître.

DON RODRIGUE

Veuillez considérer, Monsieur, que cette lettre est de ma fille.

LE SOLDAT

Eh bien, si tu veux, nous allons la jouer aux dés. Si tu gagnes, elle est à toi.

Il remue les dés dans un cornet qu’il lui présente.

DON RODRIGUE

Frère Léon, je ne peux pas prendre ce cornet à cause de mes chaînes. Je vous prie de jouer à ma place.

Le moine remue le cornet et lance les dés par terre.

LE SOLDAT, regardant les dés.

Trois as ! ce n’est pas mauvais.

(Il lance les dés à son tour.)

Quatre as ! j’ai gagné.

FRÈRE LÉON

Donne-lui la lettre quand même, mon fils !

LE SOLDAT

Je ne lui donnerai pas la lettre, mais je veux bien la lui lire. Qui sait s’il n’y a pas des complotations là-dedans contre Sa Majesté ?

(Il ouvre la lettre et s’approchant du fanal se met en devoir de lire.)

Ha ! ha !

Il rit aux éclats.

DEUXIÈME SOLDAT

Qu’est-ce qui te fait rire ?

PREMIER SOLDAT

Mon cher papa, qu’elle dit.

DEUXIÈME SOLDAT

Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?

PREMIER SOLDAT

Il lui a fait croire qu’il était son papa ! Son papa est Cacha-diablo comme on l’appelait, Don Camille, un autre renégat dans le temps, comme lui, qui faisait de la piraterie sur la côte du Maroc,

Et qui avait pour maîtresse la veuve d’un ancien Capitaine général des Présides, attends un peu, elle s’appelait un drôle de nom, quelque chose comme Ogresse ou Bougresse, Prouhèze.

FRÈRE LÉON

Ce n’était pas sa maîtresse, mais sa femme. Je le sais, c’est moi qui les ai mariés tous deux autrefois quand j’étais à Mogador.

DON RODRIGUE

Eh quoi, mon père, vous avez connu Prouhèze ?

PREMIER SOLDAT

Paraît que c’est tout de même Rodrigue qui est le papa. Mon cher papa, qu’y a d’écrit. Ho ! ho !

DEUXIÈME SOLDAT

Attends un peu, il a quelque chose à dire. Monsieur a quelque chose à dire ?

DON RODRIGUE

Nullement. Je m’associe à votre simple gaieté. C’est défendu de rire ? Votre camarade a un rire communicatif qui indique une heureuse nature.

DEUXIÈME SOLDAT

Et ça vous fait rien qu’on vous appelle un traître ?

DON RODRIGUE

Cela me ferait quelque chose si j’en étais un.

DEUXIÈME SOLDAT

Mais c’est vrai que vous en êtes un !

DON RODRIGUE

Alors on a su s’arranger pour que je ne fasse de mal à personne.

DEUXIÈME SOLDAT, au Premier Soldat.

Lis-nous la suite.

PREMIER SOLDAT, lisant.

« Le Roi vous a donné l’Angleterre. Vous n’avez plus besoin de moi. » Ha ! ha ! ha !

Il rit aux éclats.

DEUXIÈME SOLDAT

Le Roi lui a donné l’Angleterre, c’est drôle ! Il n’y a plus qu’à la prendre !

PREMIER SOLDAT

Mon vieux, il y a une actrice appelée, appelée quelque chose, elle lui a fait croire que c’était elle Marie, la reine d’Angleterre.

Elle est allée se jeter à ses pieds pour lui demander de voler à son secours et d’accepter un royaume de sa main.

DEUXIÈME SOLDAT

C’est drôle.

PREMIER SOLDAT

C’est alors qu’ils ont fait toute espèce de petits arrangements ensemble contre le Roi d’Espagne. Elle a tout raconté.

DEUXIÈME SOLDAT

J’aurais voulu être là quand il a posé ses conditions au Roi pour accepter l’Angleterre ! Tout le monde en rit sur la mer !

DON RODRIGUE

Vous voyez là un exemple, mon Père, des situations ridicules où peut se mettre un homme d’imagination. Rien ne lui paraît surprenant.

Comment ne pas croire une jolie femme qui absorbait tout ce que je disais de la bouche et des yeux, une personne charmante qui dessinait si bien et qui du bout de son pinceau ramassait mes moindres intentions ?

PREMIER SOLDAT, approchant la lettre du falot.

Où en étais-je ? « … l’Angleterre, vous n’avez plus besoin de moi. »

FRÈRE LÉON

Manoel, j’ai là dans ma poche quatre pièces d’argent que les âmes charitables m’ont données pour mon couvent,

Je te les donne si tu me donnes cette lettre.

PREMIER SOLDAT

Je vous la donnerai quand je l’aurai lue.

DON RODRIGUE

Laissez-le lire, Frère Léon.

PREMIER SOLDAT

« Je pars pour rejoindre Jean d’Autriche. » Ça, c’est une nouvelle. Tu as entendu, le vieux ? Elle part pour rejoindre Jean d’Autriche.

DEUXIÈME SOLDAT

Jean d’Autriche va l’épouser pour sûr. Il n’y aura plus à s’occuper de son établissement.

PREMIER SOLDAT

Elle a su qu’on arrêtait son père. Il n’y avait plus qu’à déguerpir au plus vite. Ce vieux bancal qu’on met en prison, il n’y a plus qu’à le lâcher. Ce n’est pas pour rien qu’on est la fille de deux traîtres.

DEUXIÈME SOLDAT

C’est le moment de rejoindre Jean d’Autriche.

PREMIER SOLDAT

L’aura-t-elle rejoint seulement ? Tout à l’heure j’ai entendu dire que les pêcheurs venaient de ramasser dans l’eau une jeune fille qui est morte entre leurs mains.

FRÈRE LÉON

Comment pouvez-vous être tous les deux si méchants et si cruels ?

PREMIER SOLDAT

C’est lui qui nous défie et qui se moque de nous avec son air supérieur et tranquille.

On dirait que c’est Monsieur qui nous a invités et qui ressent une sincère satisfaction de la joie qu’il nous cause en nous agréant au nombre de ses domestiques.

FRÈRE LÉON, à Don Rodrigue, lui mettant la main sur la main.

Don Rodrigue, ce n’est pas vrai, ou alors c’est une autre jeune fille.

DON RODRIGUE

J’en suis sûr. Que pourrait-il m’arriver de mauvais par une nuit si belle ?

DEUXIÈME SOLDAT

C’est une belle nuit pour vous que celle où l’on vous emmène pour vous mettre en prison ou pour vous vendre comme esclave ?

DON RODRIGUE

Je n’ai jamais vu quelque chose de si magnifique ! On dirait que le ciel m’apparaît pour la première fois. Oui, c’est une belle nuit pour moi que celle-ci où je célèbre enfin mes fiançailles avec la liberté !

DEUXIÈME SOLDAT

Tu as entendu ce qu’il dit ? Il est fou.

PREMIER SOLDAT

Achevons notre lecture : « Je vais rejoindre Jean d’Autriche. Adieu. Je vous embrasse. Nous nous retrouverons… » Je ne peux pas lire.

FRÈRE LÉON

Donnez-moi la lettre.

PREMIER SOLDAT

« … au ciel. Nous nous retrouverons au ciel. »

DEUXIÈME SOLDAT

Au ciel ou bien ailleurs. Ainsi soit-il.

FRÈRE LÉON

Il n’y a pas autre chose ?

PREMIER SOLDAT

« Votre fille qui vous aime. Marie de Sept-Épées. »

DEUXIÈME SOLDAT

Ça termine bien la lettre.

PREMIER SOLDAT

Il y a encore une ligne. « Quand je serai arrivée avec Jean d’Autriche, je dirai que l’on tire un coup de canon. Faites attention. »

APPEL DE FEMME dans la nuit sur la mer.

Oh ! de la barque !

PREMIER SOLDAT

On nous appelle. Il y a une barque là-bas qui nous fait signe avec un falot.

Tous les deux vont dans une autre partie du bateau.

DON RODRIGUE, à voix basse.

Est-ce vrai, Frère Léon ? pensez-vous que ce soit vraiment mon enfant que les pêcheurs ont ramassée dans la mer ?

FRÈRE LÉON

Non, mon fils. Je suis sûr que ce n’est pas vrai.

DON RODRIGUE

Brave Sept-Épées ! Non, non, ni ton père ni toi ne sommes de ceux que la mer engloutit ! Celui qui a un bras vigoureux et qui respire à pleine poitrine l’air de Dieu, il n’y a pas de danger qu’il enfonce ! Il surmonte joyeusement cette grosse vague magnifique et qui ne nous veut aucun mal !

FRÈRE LÉON

Il faut lui pardonner.

DON RODRIGUE

Lui pardonner, dites-vous ? il n’y a rien à pardonner. Ah ! que n’est-elle ici, chère enfant, pour que je la serre entre ces bras chargés de chaînes !

Va à ta destinée, mon enfant ! va combattre pour Jésus-Christ, mon agneau, à côté de Jean d’Autriche,

L’agneau que l’on voit sur les peintures avec sa petite bannière sur l’épaule.

FRÈRE LÉON

Frère Rodrigue, ne serait-ce pas le moment de m’ouvrir votre cœur chargé ?

DON RODRIGUE

Il est chargé de péchés et de la gloire de Dieu, et tout cela me vient aux lèvres pêle-mêle quand j’essaye de m’ouvrir !

FRÈRE LÉON

Dites-moi donc tout à la fois.

DON RODRIGUE

Ce qui vient le premier, c’est ma nuit au fond de moi comme un torrent de douleurs et de joie à la rencontre de cette nuit sublime !

Regardez !

On dirait toute une population autour de nous qui ne vit que par les yeux !

FRÈRE LÉON, montrant le ciel.

C’est là dedans, Rodrigue, que vous allez célébrer vos fiançailles avec la liberté !

DON RODRIGUE, à voix basse.

Frère Léon, donnez-moi votre main. Essayez de vous rappeler. C’est vrai que vous l’avez vue ?

FRÈRE LÉON

De qui voulez-vous parler ?

DON RODRIGUE

Cette femme que vous avez mariée autrefois à Mogador. Ainsi vous l’avez vue ? C’est vrai que vous l’avez vue ? Qu’est-ce qu’elle vous a dit ? Comment était-elle, ce jour-là ? Dites-moi s’il a jamais existé au monde une femme plus belle ?

FRÈRE LÉON

Oui, elle était très belle.

DON RODRIGUE

Ah ! ah ! cruelle ! ah ! quel atroce courage ! ah ! comment a-t-elle pu me trahir et épouser cet autre homme ! et moi je n’ai tenu qu’un moment sa belle main contre ma joue ! Ah ! après tant d’années la plaie est toujours là et rien ne pourra la guérir !

FRÈRE LÉON

Tout cela un jour vous sera expliqué.

DON RODRIGUE

Vous devez vous rappeler. Le jour que vous l’avez mariée, est-ce qu’elle avait l’air heureuse à côté de ce nègre ? Est-ce qu’elle lui a donné volontiers sa belle main, le doigt de sa main pour qu’il y passe l’anneau ?

FRÈRE LÉON

Il y a si longtemps. Je ne me rappelle plus.

DON RODRIGUE

Vous ne vous rappelez plus ? Eh quoi, même ces yeux si beaux ?

FRÈRE LÉON

Mon fils, il ne faut plus regarder que les étoiles.

DON RODRIGUE

Vous ne vous rappelez plus ?

Ah ! ce sourire radieux et ces yeux pleins de foi qui me regardaient ! Des yeux que Dieu n’a pas faits pour voir ce qu’il y a de vil et de mort en moi !

FRÈRE LÉON

Abandonnez ces pensées qui vous déchirent le cœur.

DON RODRIGUE

Elle est morte, morte, morte ! Elle est morte, mon Père, et je ne la verrai plus ! Elle est morte et jamais elle ne sera à moi ! Elle est morte et c’est moi qui l’ai tuée !

FRÈRE LÉON

Elle n’est pas si morte que ce ciel autour de nous et cette mer sous nos pieds ne soient encore plus éternels !

DON RODRIGUE

Je le sais ! C’était cela qu’elle était venue m’apporter avec son visage !

La mer et les étoiles ! Je la sens sous moi ! Je les regarde et je ne puis m’en rassasier !

Oui, je sens que nous ne pouvons leur échapper et qu’il est impossible de mourir !

FRÈRE LÉON

Fouillez dedans tant que vous voudrez ! Vous n’arriverez pas au bout de ces trésors inépuisables ! Il n’y a plus moyen de leur échapper et d’être ailleurs ! On a retiré autre chose que Dieu ! On a enchaîné l’exacteur ! Tout ce qui en vous s’accrochait misérablement aux choses une par une et successivement ! C’est fini des œuvres serviles ! On a mis aux fers vos membres, ces tyrans, et il n’y a qu’à respirer pour vous remplir de Dieu !

DON RODRIGUE

Vous comprenez ce que je disais quand tout à l’heure j’ai ressenti obscurément que j’étais libre ?

Choc, le bateau est abordé par un autre bateau.

VOIX DE FEMME

Aidez-moi !

Une vieille religieuse, suivie par une autre plus jeune, monte à bord.

PREMIER SOLDAT

Salut à la sœur glaneuse !

LA RELIGIEUSE

Bonjour, mon petit soldat ! Il n’y a rien pour moi sur ton bateau ?

PREMIER SOLDAT

Si, il y a un tas de vieux bouts et débris de toutes sortes, vieilles armes, vieux chapeaux, vieux drapeaux, fers cassés, pots fendus, chaudrons fêlés, qu’on m’a donné à vendre à Majorque.

LA RELIGIEUSE

Montre voir, mon petit soldat.

PREMIER SOLDAT

C’est trop sale et trop vilain pour vous.

LA RELIGIEUSE

Il n’y a rien de trop sale et trop vilain pour la vieille sœur chiffonnière. Tout est bon pour elle. Les déchets, les rognures, les balayures, ce qu’on jette, ce que personne ne veut, c’est ça qu’elle passe son temps à chercher et ramasser.

PREMIER SOLDAT

Et vous faites de l’argent avec ça ?

LA RELIGIEUSE

Assez d’argent pour nourrir beaucoup de pauvres et de vieillards et pour bâtir les couvents de la Mère Thérèse.

DON RODRIGUE

C’est la Mère Thérèse de Jésus qui vous envoie ainsi la mer glaner ?

LA RELIGIEUSE

Oui, mon garçon, je glane pour elle et pour tous les couvents d’Espagne.

Le Soldat est allé chercher une brassée de vieux vêtements et d’objets hétéroclites qu’il jette sur le pont. La Religieuse les examine et les remue du bout de sa canne à la lueur de la lanterne.

LA RELIGIEUSE

Qu’est-ce que tu veux de tout ça ?

PREMIER SOLDAT

Trois pièces d’or !

LA RELIGIEUSE

Trois pièces d’or ! Je veux bien t’en donner deux.

DON RODRIGUE

Mère glaneuse ! Mère glaneuse ! Puisque vous êtes amateur, pourquoi est-ce que vous ne me prenez pas aussi avec les vieux drapeaux et les pots cassés ?

LA RELIGIEUSE, au Soldat.

Qu’est-ce que c’est que celui-là ?

PREMIER SOLDAT

C’est un traître que le Roi m’a donné à vendre au marché.

LA RELIGIEUSE, à Don Rodrigue.

Eh bien, mon garçon, tu entends ? tu es un traître, que veux-tu que je fasse d’un traître ? Si encore tu avais tes jambes au complet.

DON RODRIGUE

Vous m’aurez pour pas cher !

LA RELIGIEUSE, au Soldat.

Est-ce qu’il est à vendre pour de bon ?

PREMIER SOLDAT

Il est à vendre, pourquoi pas ?

LA RELIGIEUSE

Et qu’est-ce que tu sais faire ?

DON RODRIGUE

Je sais lire et écrire.

LA RELIGIEUSE

Et est-ce que tu sais faire la cuisine ? Ou coudre et tailler les vêtements ?

DON RODRIGUE

Je sais parfaitement bien.

LA RELIGIEUSE

Ou raccommoder les souliers ?

DON RODRIGUE

Je sais aussi.

PREMIER SOLDAT

Ne l’écoutez pas. Il ment.

LA RELIGIEUSE

Ce n’est pas beau de mentir, mon garçon.

DON RODRIGUE

Du moins je peux relaver la vaisselle.

PREMIER SOLDAT

Si vous la lui donnez, il cassera tout.

DON RODRIGUE

Je veux vivre à l’ombre de la Mère Thérèse ! Dieu m’a fait pour être son pauvre domestique.

Je veux écosser les fèves à la porte du couvent. Je veux essuyer ses sandales toutes couvertes de la poussière du Ciel !

FRÈRE LÉON

Prenez-le, Mère glaneuse.

LA RELIGIEUSE

C’est pour vous faire plaisir, mon Père. Je le prends, mais je ne veux rien payer pour lui.

PREMIER SOLDAT

Ce n’est pas que j’y tienne, mais il faut me donner une petite douceur. Un petit sou d’argent, histoire de dire que j’en ai retiré quelque chose.

LA RELIGIEUSE

Alors tu peux le garder.

FRÈRE LÉON

Donne-le, soldat. Il sera en sûreté. Personne ne sait ce qui peut encore sortir de ce vieux Rodrigue.

PREMIER SOLDAT

Alors vous pouvez le prendre.

LA RELIGIEUSE

Et j’aurai en plus cette espèce de chaudron en fer que je vois là et dont vous ne faites rien ? Ou alors je ne le prends pas.

PREMIER SOLDAT

Prenez-le ! Prenez tout ! Prenez ma chemise !

LA RELIGIEUSE

Emballez tout cela, ma sœur. Et toi, viens avec moi, mon garçon.

Fais attention à l’échelle avec ta pauvre jambe.

DON RODRIGUE

Écoutez !

Trompette au loin sonnant triomphalement.

LA RELIGIEUSE

Cela vient du bateau de Jean d’Autriche.

DON RODRIGUE

Elle est sauvée ! mon enfant est sauvée !

Coup de canon dans le lointain.

FRÈRE LÉON

Délivrance aux âmes captives !

Les instruments de l’orchestre se taisent un par un.


EXPLICIT OPVS MIRANDVM.

Paris, mai 1919.

Tokyô, décembre 1924

Share on Twitter Share on Facebook