SCÈNE XII

Deux mois plus tard, la flotte espagnole au large de Mogador, une sombre après-midi sans un souffle de vent.

Entre le Capitaine tenant une longue vue qu’il remet au Vice-Roi.

LE VICE-ROI, regardant la terre.

C’est fini. Les Mores se sauvent à toutes jambes. Morbleu, ils ont eu leur compte. Ils ne recommenceront plus l’attaque aujourd’hui.

LE CAPITAINE

Ochiali, ma foi, est un raide bonhomme. Il serait dommage qu’il finisse sa carrière autrement qu’au bout d’une corde chrétienne.

LE VICE-ROI

Peut-être vous auriez voulu que nous lui prêtassions main-forte contre les Infidèles ?

LE CAPITAINE

Oui, ma foi, toute l’armée avec plaisir se serait portée au secours de Cacha-diablo.

LE VICE-ROI

C’est bien plus amusant de le voir périr ainsi sous mes yeux sans tirer un coup de canon.

Je l’imagine chaque matin regardant la mer et cette morne présence de nos bateaux jour et nuit qui ferme l’horizon.

Je n’avais pas besoin de prendre toutes ces troupes à Don Ramire. Il y avait à prévoir que dès que nos intentions seraient connues les Mores ne voudraient pas nous laisser une proie si riche et Mogador de nouveau à l’Espagne.

LE CAPITAINE

Mais les Mores à Mogador, est-ce que cela vaut beaucoup mieux pour nous que Camille ?

LE VICE-ROI

C’est une tentation que je supprime, cette vieille vérole africaine que nous avons dans le sang.

Je coupe court à tous ces malsains tripotages, nous préparant de nouveau quelque expédition à la Don Sébastienne

Il n’entre pas dans mes vues que l’Espagne de nouveau s’intéresse à l’Afrique. Le Nouveau-Monde suffit.

LE CAPITAINE

Mais que dira le Roi d’Espagne ?

LE VICE-ROI, avec son rire sec.

Je n’ai rien fait, Monsieur. Je n’ai pas tiré un coup de canon.

Est-ce ma faute si ce calme intempestif nous retient depuis quinze jours devant Mogador ?

Suis-je responsable de l’explication que ces sauvages imbéciles ont donné à notre présence ?

Et pouvais-je deviner que les forces de notre renégat étaient prêtes à se mutiner ?

LE CAPITAINE

Mais ne ferez-vous rien du moins pour la veuve de Don Pélage que ce brigand retient captive ?

LE VICE-ROI

Non point captive, Monsieur, pour autant que je puisse savoir, mais son épouse honorée.

LE CAPITAINE

Peut-être la relâcherait-il, si nous lui faisions quelque promesse.

LE VICE-ROI

Je n’ai pas de promesse à faire. J’attends ses propositions.

LE CAPITAINE, saisissant la longue-vue et la braquant vers la terre.

Un signal ! Je vois un drapeau blanc qui monte et descend au mât de la citadelle. On demande à nous envoyer un parlementaire.

(Silence.)

Que dois-je répondre ?

LE VICE-ROI

Je n’ai pas envie de répondre.

LE CAPITAINE

Monseigneur, je vous supplie d’entendre ce que ces malheureux Espagnols ont à dire.

LE VICE-ROI

C’est bien. Qu’ils envoient leur parlementaire.

Un officier va porter l’ordre. Silence.

LE CAPITAINE

Je vois un bateau qui quitte le port.

Il y a une femme dedans ! c’est une femme. Oui, il y a une femme et un enfant dans le bateau.

LE VICE-ROI

Donnez-moi la longue-vue. Non, vous pouvez mieux voir que moi. Vous êtes absolument sûr qu’il y a une femme ?

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