XII

Je suis retournée voir tante Wilhelmine, dimanche, à son jour.

L’omnibus passe devant chez Luce… J’ai craint de la rencontrer. Elle n’hésiterait pas devant une scène de larmes en public, et je me sens les nerfs mal solides.

Ma tante, aplatie par la chaleur, ayant quitté son jour, elle m’a marqué un peu d’étonnement de ma visite. Je n’ai pas fait beaucoup de grandes phrases.

– Tante, ça ne va pas du tout. Je veux retourner à Montigny, Paris me mange les sangs.

– Ma petite fille, il est vrai que vous n’avez pas très bonne mine, et je trouve vos yeux trop brillants… Pourquoi ne venez-vous pas plus souvent me voir ? Votre père, je ne parle pas de lui, il est incurable.

– Je ne viens pas, parce que je suis mauvaise et irritée de tout. Je vous peinerais, j’en suis très capable.

– N’est-ce point là ce qu’on nomme le mal du pays ? Si Marcel au moins était ici ! Mais ce petit cachottier ne vous a pas dit, sans doute, qu’il passait la journée à la campagne ?

– Il a bien raison, il verra des feuilles. Il est tout seul ? Ça ne vous inquiète pas, tante ?

– Oh ! non, dit-elle avec son sourire si doux et si peu varié, c’est son ami Charlie qui l’emmène.

– Oh ! alors !… fais-je en me levant brusquement, il est en bonnes mains.

Décidément cette vieille dame est un peu bête. Ce n’est pas à elle non plus que je ferai mes confidences et mes gémissements d’arbre déraciné. Je piétine ; elle me retient avec un peu d’inquiétude :

– Voulez-vous voir mon médecin ? Un vieux médecin fort instruit et sagace, en qui j’ai toute confiance ?

– Non, je ne veux pas. Il me dira de me distraire, et de voir du monde, et d’avoir des amies de mon âge… Des amies de mon âge ! Elles sont indignes !

Cette sale Luce tout de même…

– Adieu ; ma tante, si Marcel peut venir me voir, il me fera plaisir.

Et j’ajoute pour atténuer ma brusquerie :

– Je n’ai que lui comme amie de mon âge.

Tant Cœur me laisse partir, cette fois sans insister. Je trouble sa quiétude de grand-mère aveugle et tendre, Marcel est tellement plus facile à élever !

Ah ! Ah ! ils cherchent la fraîcheur sous les arbres, dans la banlieue, ces deux jolis garçons ! La verdure les attendrit, anime leurs joues, teinte en aigue-marine les yeux bleus de Marcel et éclaircit les yeux noirs de son ami cher… Ça serait rudement drôle, s’ils se faisaient pincer ensemble. Dieu ! que j’aurais du goût ! Mais ils ont l’habitude, ils ne se feront pas pincer. Ils rentreront par les trains du soir, mélancoliques, au bras l’un de l’autre, et se sépareront avec des yeux éloquents… Et moi, je serai comme maintenant toute seule.

Honte sur toi, Claudine ! Est-ce que ça va finir, cette obsession, cette angoisse de la solitude ?

Toute seule, toute seule ! Claire se marie, je reste toute seule.

Eh ! ma chère, c’est toi qui l’as voulu. Reste donc seule – avec tout ton honneur.

Oui. Mais je suis une pauvre petite fille triste, qui se réfugie le soir au poil doux de Fanchette pour y cacher sa bouche chaude et ses yeux cernés. Je vous jure, je vous jure, ce n’est pas, ce ne peut pas être là l’énervement banal d’une qui a besoin d’un mari. J’ai besoin de bien plus que d’un mari, moi…

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