Au Salon de l’Aviation

Le Matin, 18 décembre 1913

Il y a quatre ans seulement qu’à Dijon j’assistais au départ timide, puis au vol hésitant, enfin à la chute lente d’un aéroplane, piloté par un novice aviateur. Je me souviens comment l’oiseau blanc, en touchant le sol, s’écrasa avec un sec crépitement de fagot qu’on casse, je me souviens qu’il ne resta de lui qu’un peu de bois brisé, de fer, une aile blanche flasque et fendue – et l’homme heureusement sauf. La foule, étonnée, un peu déçue, cherchait, dans le débris mince et plat, la forme du beau monoplan dont l’ombre était si grande tout à l’heure sur le pré…

Pourquoi me rappeler cette chute de pigeon blessé, encore soutenu par l’air ? Du fer fourbi, du cuivre rose, de l’acier bleuté, le gris froid de l’aluminium, le noir de la fonte ; des moteurs en rosaces lourdes, des cylindres, des tubes, des bras, des crampons – du métal, du métal et encore du métal ! – tout ce qui peut inspirer et nourrir l’idée de poids, d’immobilité, de force revêche et inflexible est là, devant moi, et tout cela est destiné au royaume de l’air. Ils volent, ces lingots, ces bastions, ces tonnelets, ces troncs polis.

Ces tours et ces plates-formes de fer progressent sur un chemin de nuées… Et l’oiseau blanc, l’oiseau de toile craquante, dont un coup de brise démettait l’aile, a vécu ; voici, sélectionnée, transformée par l’impitoyable génie des éleveurs, sa descendance presque méconnaissable : ce petit monstre impétueux, le monocoque trapu, rigide, blindé de partout, avec son nez court de boxeur, son corps aux flancs effacés. De profil, il est expressif et vivant, un peu comique à la manière de certaines bêtes rageuses. L’un d’eux, accroupi sur ses pattes pliées, se cramponne à ses roues, guette le vide d’un air d’élan et d’impatience, et déploie, épaissie, abrégée, l’armature d’un organe qui s’atrophie : l’aile, bientôt inutile à sa vitesse de bolide.

Share on Twitter Share on Facebook