Propos d’une parisienne

Le Matin, 28 août 1914

Si j’avais dit à cette ravissante femme blonde, qui quittait son hôtel en automobile : « Votre beauté offense les yeux », elle eût été aussi surprise que peinée ; mais je lui aurais tout de suite expliqué :

– Votre beauté offense les yeux, parce qu’elle brille sous le costume des infirmières de la Croix-Rouge. Ne protestez pas, ne vous indignez pas ! je n’ai pas fini. Cette blouse blanche rehaussée d’une croix éclatante de sang pur, ce sac antiseptique, voyez, je vous en prie, ce que vous en avez fait : tirée ici, ajustée là, refaite selon la coupe du bon faiseur, elle révèle ce qu’elle devrait surtout cacher : un charmant corps de femme coquette. Et que de cheveux fous hors de votre voile en serre-tête ! quel désordre seyant et quasi nocturne – car je vois bien qu’il n’est pas de mousseline, votre voile, mais de gaze soyeuse – et combien vous avez l’air, en toute innocence peut-être, non d’une servante presque sans sexe, mais d’une élégante surprise en son sommeil, et qui n’eut le temps que de se poudrer le visage et de se frotter les joues avec le tampon rose…

« Votre longue automobile, puissante et muette, vous mène au Bois prendre le frais du soir, et sans doute l’avez-vous bien gagné, vous et les autres Dames, de blanc vêtues, que vous rencontrerez dans l’allée des Acacias. Votre voiture, promise aux blessés, est déjà pavoisée comme une ambulance, mais elle ne porte, en ce moment que vous seule, offerte, et mieux qu’offerte, signalée à la curiosité publique par un glorieux uniforme – glorieux et déplacé. Je vous en prie, gardez-la, cette sévère chemise, pour la claire salle d’hôpital où elle passe inaperçue, blanche sur le mur blanc. Gardez-la pour la chambre des malades, qu’elle illuminera. Ne l’usez pas trop tôt. Et quand vous aurez besoin d’une heure d’air pur, ne transformez pas votre promenade hygiénique en garden-party costumée. »

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