À l’université populaire

Février 1914

C’est le meilleur théâtre de Paris, le plus riche et le plus varié. La Comédie-Française, l’Odéon, au besoin l’Opéra et l’Opéra-Comique, lui fournissent des vedettes, le Parlement et l’Académie des conférenciers. Il a des chiens savants, des jongleurs ; c’est le seul endroit où les mimes prennent la parole et où l’on voit, comme dimanche soir, des chansonniers débuter dans la pantomime.

Et que parlez-vous de « troupes homogènes » ? L’interprétation de l’École des femmes rassemblait des comédiens de l’Odéon, de Femina, de l’Athénée, autour d’une surprenante Agnès, une fluette enfant du faubourg, touchante et neuve et pas même maquillée sous sa cornette de linge. La bonne volonté ébauche, à l’Université populaire, des miracles, que le public parachève. Car le « meilleur théâtre de Paris » s’emplit du « meilleur public ». Il n’y en a pas de plus avide, de plus sensible. Si la flatterie le blesse, s’il se replie sous la cordialité maladroite, il attend et reçoit la parole de l’orateur ou du comédien comme une chose précieuse et tangible ; certains visages tendus ont l’air, sur les bancs les plus proches de la scène, de vouloir happer un fruit.

C’est véritablement l’élite intelligente d’un peuple qui se rassemble ici, respectueuse des textes qu’on lui lit, courtoise au point de retenir, jusqu’au baisser du rideau, la toux et les applaudissements. Presque tous ceux qui viennent passer la soirée ici sacrifient quelques heures de leur sommeil. Ils portent encore sur eux, hommes et femmes, des brins de fils, des paillettes de métal moulu, des taches de vernis ou d’acide. La plupart des femmes et des jeunes filles appartiennent à la fine race de Paris, qui a des petites mains et des yeux vifs. Dimanche soir, parmi la foule qui s’écrasait dans la salle et montait le long des murs comme une eau refoulée, il n’y avait pas un seul homme qui eût « un verre de trop ». Et il faut bien que l’Université populaire soit un lieu unique, où le zèle des camarades machinistes, des camarades figurants, des camarades metteurs en scène est si contagieux qu’on pouvait, ce même dimanche, sous l’apparence un peu poudreuse d’un accessoiriste improvisé qui portait bravement une échelle, reconnaître M. Simyan, ancien ministre, rapporteur du budget des Beaux-Arts.

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