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Limmeridge House, 27 novembre.

Mon pressentiment n’était que trop justifié ! Le mariage est fixé au 22 décembre.

Le lendemain de notre départ pour Polesdean Lodge, Mr Fairlie avait reçu une lettre de sir Percival, lui disant que les réparations et changements nécessaires dans sa maison du Hampshire prendraient beaucoup plus de temps qu’il ne l’avait cru. Aussi, afin d’avertir les entrepreneurs de la date où les travaux devraient être achevés, lui eût-il été agréable de savoir exactement quand aurait lieu la cérémonie du mariage. De même, il pourrait alors s’excuser auprès de certains amis qu’il avait invités à venir le voir cet hiver, et qu’il lui serait évidemment impossible de recevoir une fois la maison abandonnée aux mains des ouvriers. En réponse à cette lettre, Mr Fairlie avait demandé à sir Percival de proposer lui-même une date à Laura, date que, en tant que tuteur, il engagerait vivement la jeune fille à accepter. Par retour du courrier, sir Percival proposa donc la seconde quinzaine de décembre – le 22, le 24, ou tout autre jour que préféreraient miss Fairlie et son tuteur.

Miss Fairlie n’étant pas là pour donner son avis, son tuteur avait choisi le premier des jours proposés – le 22 décembre. Puis, il nous avait fait revenir ici.

Après m’avoir donné tous ces détails, hier, Mr Fairlie me demanda, de sa manière la plus aimable, de communiquer le message à miss Fairlie, afin d’obtenir son approbation. J’acquiesçai, mais en refusant de peser sur la décision de Laura. Mr Fairlie me complimenta sur ma « scrupuleuse conscience » et sembla enchanté d’avoir une fois de plus rejeté ses responsabilités familiales sur mes épaules.

J’ai parlé ce matin à Laura, et quoiqu’elle soit maintenant d’un calme étonnant, je dirai même d’une indifférence complète, elle ne put se défendre de sursauter à la nouvelle que je lui apportais. Elle devint extrêmement pâle.

– Oh ! pas si vite, Marian ! supplia-t-elle en tremblant, pas si vite !

J’en savais assez. Je bondis aussitôt pour aller trouver Mr Fairlie et lutter pour le bonheur de Laura, à sa place. Mais elle m’arrêta, devinant mon intention.

– Laissez-moi y aller, fis-je. Je veux dire à votre oncle que sir Percival et lui n’en feront pas toujours uniquement à leur tête.

– Non, Marian : c’est trop tard, soupira-t-elle tristement. Cela ne ferait que nous valoir de nouveaux ennuis, qu’envenimer davantage votre désaccord avec mon oncle d’abord et ramener ici sir Percival avec de nouvelles raisons de se plaindre !…

– Mais qu’importe ! m’écriai-je avec feu. Allez-vous briser votre cœur pour lui faire plaisir, Laura ? Aucun homme ne vaut un tel sacrifice ! Les hommes ! Mais ce sont les ennemis de notre innocence et de notre paix, ils nous accaparent corps et âme et pour nous donner quoi en retour ?… Laissez-moi aller, Laura, je deviens folle quand j’y pense !

Des larmes de rage me montaient aux yeux.

– Oh ! Marian, vous pleurez, vous !… mais, pauvre chérie, tout votre amour et votre dévouement n’empêcheront pas ce qui doit arriver. Laissez mon oncle agir à sa guise… promettez-moi seulement que vous resterez près de moi après mon mariage ! Promettez-le-moi, Marian !

Lorsque j’eus promis, elle changea brusquement de sujet :

– Pendant notre séjour à Polesdean, vous avez reçu une lettre, Marian…

À son ton hésitant et à la manière dont elle détournait les yeux, toute rougissante, je compris qu’elle faisait allusion à Walter.

– Je croyais, Laura, que nous avions décidé de ne plus jamais parler de lui, dis-je doucement.

– Comptez-vous lui répondre bientôt ? insista-t-elle.

J’hésitais à lui apprendre son départ et la part que j’y avais prise. D’ailleurs, là où il allait, aucune lettre ne lui parviendrait avant des mois, des années peut-être.

– Pourquoi, Laura ?

– Ne… Ne lui parlez pas du 22, Marian, et promettez-moi de ne plus jamais faire allusion à moi quand vous lui écrirez ?

Je le promis.

– Si vous allez chez mon oncle, reprit-elle sans me regarder, dites-lui que je consens à tout ce qu’il décidera. Vous pouvez me laisser seule maintenant, je me sens mieux.

Je sortis. Si, à ce moment-là, j’avais pu envoyer au bout du monde sir Percival et Mr Fairlie, je l’aurais fait avec joie. Comme une trombe, j’entrai dans la chambre de ce dernier et lui criai aussi brutalement que possible : « Laura accepte le 22 ! » et je sortis en faisant claquer la porte avec violence.

J’espère avoir ébranlé son système nerveux pour tout le reste de la journée !

 

28 novembre.

En relisant ce matin la lettre d’adieu de Hartright, je vois que j’ai eu raison de ne pas parler de son voyage à Laura, car il me dit que l’expédition sera fatigante et périlleuse. Alors, pourquoi l’inquiéter ?…

Vais-je brûler cette lettre, de peur qu’un jour ou l’autre elle ne tombe malencontreusement en d’autres mains ? car non seulement ce que Hartright y dit de Laura doit rester secret, mais il me répète ses soupçons, aussi inexplicables qu’inquiétants, d’être surveillé depuis son départ de Limmeridge. Parmi la foule qui, sur les quais de Liverpool, regardait s’embarquer les membres de l’expédition, il prétend avoir revu les deux inconnus qui l’avaient suivi dans les rues de Londres, et il affirme avoir entendu le nom d’Anne Catherick prononcé derrière lui, comme il montait à bord. « Tout cela, écrit-il, cache une signification que l’on découvrira un jour. Le mystère d’Anne Catherick n’est pas encore éclairci. Sans doute cette femme ne croisera plus jamais mon chemin ; mais s’il arrive qu’elle croise le vôtre, profitez mieux que moi de l’occasion. Je suis convaincu de ce que je dis et je vous prie, mademoiselle, de ne pas l’oublier. » Pourrais-je l’oublier ! Je ne suis que trop disposée à me souvenir de la moindre allusion à Anne Catherick faite par Walter Hartright. Mais il y a danger à garder cette lettre ; on ne sait jamais qui peut la trouver… Si je tombais malade… si je venais à mourir… Mieux vaut la brûler tout de suite et avoir une inquiétude en moins.

Voilà, elle est brûlée. Sa lettre d’adieu, la dernière peut-être que j’aie de lui, ne forme plus qu’un minuscule tas de cendres noires au bord de l’âtre. Est-ce la triste fin de cette triste histoire ? Oh ! non… pas encore… sûrement pas encore…

 

29 novembre.

Les préparatifs du mariage sont commencés ; la couturière est déjà venue, mais Laura reste indifférente à tout. Comme c’eût été autre si le futur époux avait été Walter Hartright ! Elle se serait montrée fort difficile à contenter, et aurait rendu la tâche pénible à la couturière la plus experte !

 

30 novembre.

Chaque jour nous apporte des nouvelles de sir Percival. Il nous donne des détails sur les progrès des travaux à Blackwater, ce qui m’est bien égal. Si les maçons, les peintres et les tapissiers avaient le pouvoir de préparer le bonheur autant qu’une demeure belle et agréable, peut-être alors m’intéresserais-je aux transformations qu’ils apportent dans la maison qui sera celle de Laura. En réalité, la seule chose qui, dans sa dernière lettre, ne me laisse pas indifférente, ce sont ses projets pour le voyage de noces. Il propose d’emmener Laura à Rome et de demeurer en Italie jusqu’au début de l’été, à moins qu’elle ne préfère habiter un confortable et luxueux appartement à Londres même, durant l’hiver.

Pour Laura, je trouve que la première solution est de loin préférable, car nous sommes quand même destinées à être séparées. L’Italie, pour son tout premier voyage, lui procurera des joies nombreuses parce que diverses et lui fera mieux accepter sa nouvelle existence. Au contraire, elle n’est pas dans des dispositions telles qu’elle goûterait les plaisirs conventionnels de Londres. Et ces plaisirs ne lui rendraient que plus pénibles ces premiers mois de mariage ; je les redoute au-delà de toute expression – mais je nourris pourtant quelque espoir si elle voyage…

Avant trente jours, elle sera « sa » Laura au lieu d’être « la mienne » !… Quelle horreur ! Je ne puis pas me faire à cette idée. J’ai l’impression, en parlant de son mariage, de parler de sa mort.

 

1er décembre.

Journée mélancolique !… Je me suis décidée ce matin à communiquer à Laura les propositions de sir Percival au sujet du voyage de noces. Persuadée que je l’accompagnerais, la pauvre enfant… car c’est une véritable enfant encore !… était presque heureuse à l’idée de voir Rome, Naples et Florence. J’avais le cœur brisé de devoir lui ôter ses illusions et la mettre en face de la réalité brutale. Je lui expliquai qu’aucun homme n’admettrait la présence d’un tiers dans son voyage de noces et que de sa soumission en ces premiers mois dépendrait sans doute la possibilité pour moi de venir habiter près d’elle, après son retour.

Je distillai le poison profanateur de nos conventions sociales dans ce cœur pur et innocent, tandis que ce qu’il y a de meilleur en moi frémissait de devoir accomplir une tâche aussi affreuse ! C’est chose faite à présent : Laura a appris la dure et inévitable leçon. Toutes les illusions de sa jeunesse se sont envolées…

Ils iront donc en Italie. En attendant, il me faut parler à sir Percival du désir de Laura de m’avoir auprès d’elle à leur retour. En d’autres mots, je dois, pour la première fois de ma vie, demander une faveur personnelle, et la demander à l’homme envers qui il me déplaît souverainement d’avoir une obligation, quelle qu’elle soit. Mais, pour Laura, je ferais plus encore !

 

2 décembre.

Lorsque je relis mon journal, je constate que je ne parle de sir Percival que pour le dénigrer. Dans l’état où en sont les choses, je vais tâcher de ne plus laisser apparaître mon parti pris contre lui et même de l’oublier une fois pour toutes. J’avoue sincèrement que je ne m’explique pas les sentiments que j’éprouve à son égard.

 

16 décembre.

Je n’ai pas grand-chose à dire des quinze jours qui viennent de s’écouler sinon que je me sens mieux disposée envers le fiancé de ma sœur. Le trousseau de Laura est prêt, les nouvelles malles sont arrivées de Londres. La pauvre chérie ne me quitte pas une seconde.

Ils se marieront à l’église de Limmeridge et, grâce au Ciel, on n’invitera pas les voisins ! C’est notre vieil ami Mr Arnold qui viendra de Polesdean pour conduire Laura à l’autel, Mr Fairlie étant trop délicat pour se risquer au-dehors par un temps aussi froid.

Sir Percival arrive demain. Il nous avait offert d’aller, jusqu’au jour du mariage, loger chez le pasteur, pour se conformer aux conventions, mais nous avons refusé. Dans cette grande maison perdue au milieu de la lande, il nous est certes permis de ne pas nous arrêter à des futilités dont les gens s’encombrent ailleurs.

 

17 décembre.

Il est arrivé ce matin, l’air fatigué et inquiet, mais il parle et il rit comme l’homme le plus content de la terre. Il a offert à Laura de très beaux bijoux qu’elle a reçus de bonne grâce et, en apparence du moins, avec un calme parfait. Le seul signe qui me fasse deviner à quel point elle lutte pour ne rien laisser paraître de sa tristesse, c’est la crainte de se trouver seule.

Plus que jamais, elle s’attache à mes pas.

– Faites que je sois occupée tout le temps, Marian, et surtout ne me laissez pas seule afin que je ne puisse pas penser !

La fièvre qui brûle ses joues et illumine ses yeux la rend plus attrayante que jamais, et sir Percival s’imagine en être la cause. Au dîner, elle a parlé sans arrêt avec une animation et une gaieté si forcées que j’avais hâte de l’emmener, mais sir Percival, lui, semblait être ravi autant que surpris. L’inquiétude que j’avais lue sur ses traits au moment de son arrivée avait complètement disparu et, vraiment, je lui aurais donné dix ans de moins.

Malgré tous les préjugés que j’entretiens contre sir Percival, je dois reconnaître que c’est un bel homme, possédant le charme et les qualités qui doivent plaire aux femmes. Même Mr Gilmore, qui ignore le secret de Laura, a été conquis par lui. Pour ma part, je lui reproche deux choses : sa nervosité extrême et sa façon méprisante de parler aux domestiques. Mais, après tout, ce n’est pas très grave ! Voilà, je suis satisfaite de lui avoir rendu justice !

 

18 décembre.

Me sentant déprimée ce matin, j’ai confié Laura à Mrs Vesey et suis allée me promener dans la lande. Quelle ne fut pas ma surprise de rencontrer sir Percival venant de Todd’s Corner ! Il m’expliqua s’y être rendu afin de s’informer si Mrs et Mr Todd n’avaient pas reçu des nouvelles d’Anne Catherick… sans succès d’ailleurs.

– Je commence à craindre sérieusement de l’avoir perdue. L’artiste, Mr Hartright, ne pourrait-il nous renseigner, lui ? me demanda-t-il en me fixant dans les yeux.

– Il n’a jamais plus entendu parler d’elle depuis qu’il a quitté Limmeridge, répondis-je.

– Dommage ! reprit sir Percival comme déçu et soulagé à la fois. Je suis très ennuyé de n’avoir pu la remettre entre les mains des médecins !

En effet, il semblait, cette fois, fort soucieux. Je lui exprimai ma sympathie, et nous passâmes à un autre sujet. Assurément, en le rencontrant ainsi par hasard dans la lande, j’ai découvert chez lui un trait de caractère qui est tout à son honneur ! N’est-ce pas bienveillance extrême de sa part, à la veille de son mariage, de penser à Anne Catherick et d’aller à Todd’s Corner afin de demander de ses nouvelles, alors qu’il aurait pu passer agréablement la matinée avec Laura ? Il n’a pu agir ainsi que par charité, aussi sa conduite mérite-t-elle un extraordinaire éloge. Eh ! bien, voilà : je l’ai fait, cet éloge !

 

19 décembre.

Vraiment, sir Percival est d’une générosité sans borne ! J’avais à peine fait allusion à l’espoir de Laura de m’avoir près d’elle à Blackwater, à leur retour de voyage de noces, qu’il me saisit les deux mains avec effusion en me disant que c’était son désir le plus cher. J’étais, précisait-il, la compagne qu’il souhaitait pour sa jeune femme, et il m’était profondément reconnaissant de lui avoir fait cette suggestion.

Je le remerciai vivement de la grande bonté qu’il nous témoignait à toutes deux, puis il m’entretint de leur voyage en Italie et du projet qu’il avait de faire connaître à Laura tous ses amis de Rome, tous des compatriotes, à l’exception du comte Fosco, un Italien, qui était son ami intime. Je fus contente de penser que, grâce à cette amitié, Laura aurait l’occasion de se réconcilier avec sa tante, car celle-ci, vraisemblablement, ne pourrait plus persister à ne pas vouloir voir Laura. Dans sa jeunesse, celle-ci était la personne la plus insolente que je connusse. Capricieuse, exigeante et vaniteuse au plus haut point ! Si son mari était parvenu à la mater, il aurait mérité la reconnaissance de toute la famille. J’ai hâte de le connaître ! Tout ce que je sais de lui, c’est qu’il a sauvé la vie à sir Percival, attaqué par des voleurs et des assassins sur les marches de l’église Trinité des Monts, à Rome. C’est de là d’ailleurs que provient la cicatrice qu’il porte à la main. Je me souviens aussi qu’à l’époque où le regretté Mr Fairlie s’opposait de façon si absurde au mariage de sa sœur, le comte lui écrivit une lettre modérée et fort sensée, lettre qui, j’ai honte à le dire, est restée sans réponse. Je ne sais rien d’autre de l’ami de sir Percival. Je me demande s’il viendra un jour en Angleterre ? Je me demande si j’aurai de la sympathie pour lui.

Je laisse courir ma plume sur le papier, et je m’éloigne de ce qui m’intéresse réellement. Il est certain que ce n’est pas seulement avec politesse et amabilité, mais avec affection, que sir Percival m’a répondu quand je lui ai timidement proposé de vivre à Blackwater avec Laura et lui. Et je suis sûre qu’il n’aura aucune raison de se plaindre de moi, dans les dispositions où je suis. J’ai déjà dit qu’il était bel homme, très courtois, très bon et généreux envers les malheureux, et plein d’égards pour moi. Je l’avoue ici, je me reconnais à peine dans mon nouveau rôle d’amie très cordiale de sir Percival !

 

20 décembre.

Je hais sir Percival ! Toutes ses apparences sont fausses ! Hier soir, les cartes de visite du futur couple sont arrivées de Londres. Laura, ouvrant le paquet, vit imprimé pour la première fois son nom de femme mariée. Sir Percival, qui regardait par-dessus son épaule les cartes qui transformaient miss Fairlie en lady Glyde, eut un sourire suffisant et lui murmura quelques mots à l’oreille. J’ignore quoi, car Laura a refusé de me le dire, mais je l’ai vue blêmir. Lui ne s’en est même pas aperçu. Oh ! comme je le hais !

 

21 décembre.

Je commence à me demander si l’énervement de ces derniers jours n’a pas un peu ébranlé mes facultés. J’ai l’idée fixe que quelque chose va se produire qui empêchera le mariage ; or, je ne sais quoi.

Tout ce qui s’est passé aujourd’hui a été bien pénible. Comment pourrais-je avoir le courage d’en parler ? Et pourtant je sens qu’il me faut écrire… mettre mes tristes pensées sur le papier, et non les garder pour moi seule.

La bonne Mrs Vesey a commencé par offrir à Laura un beau châle en laine de Shetland, qu’elle avait mis plusieurs mois à tricoter en secret. Laura éclata en sanglots, en recevant ce merveilleux présent de celle qui l’avait aimée et dorlotée comme une mère depuis sa naissance.

J’étais à peine remise de l’émotion produite par cette scène touchante que je fus appelée chez Mr Fairlie pour entendre la nomenclature des dispositions destinées à assurer sa tranquillité le jour du mariage. La chère Laura recevrait son cadeau de noces (une misérable bague avec, comme ornement, quelques cheveux de son oncle affectionné au lieu d’une pierre précieuse, et portant une inscription en français sur les sentiments à entretenir vis-à-vis de sa famille).

» La chère Laura recevrait donc ce tribut d’affection par mon entremise, afin de lui donner le temps de se remettre de son émotion, avant de paraître devant son oncle.

» La chère Laura lui ferait une courte visite de remerciement ce soir même et ne lui ferait aucune scène d’attendrissement.

» La chère Laura lui ferait une deuxième visite demain matin en robe de mariée, mais toujours sans scène.

» La chère Laura lui ferait une troisième et dernière visite avant de partir, sans larmes surtout, sans larmes surtout, pour l’amour de Dieu ! »

J’étais tellement écœurée et exaspérée par l’odieux égoïsme de Mr Fairlie que je m’apprêtais à lui dire les vérités les plus cinglantes qu’il ait jamais entendues de sa vie, quand j’en fus empêchée par l’arrivée de Mr Arnold, ce qui m’obligea à descendre. Le reste de la journée fut indescriptible. L’agitation, les ordres et les contrordres, les imprévus de toutes sortes contribuèrent à la confusion générale.

Sir Percival était intenable et toussait sans arrêt. Il sortait, il rentrait, et une nouvelle sorte d’inquiétude, eût-on dit, le poussait à questionner d’un ton méfiant les fournisseurs ou toute autre personne qui s’arrêtait un instant chez nous. Laura et moi, nous évitions de nous trouver tête à tête. J’écris ces lignes, passé minuit. Je viens d’aller jeter un dernier regard sur Laura qui repose calmement dans son petit lit blanc de jeune fille. La tête appuyée sur un bras, elle ne dort pas, car dans la pénombre j’ai vu des larmes couler sur ses joues. Le petit souvenir que je lui ai donné, une simple broche, est posé sur sa table de chevet à côté de son livre de prières et d’une miniature de son père qui ne la quitte jamais.

Pauvre chérie ! Comme elle est seule au monde !

 

22 décembre.

7 heures. – Matin triste et brumeux. Elle vient de se lever. Je la trouve plus calme qu’hier.

10 heures. – Laura est habillée. Nous nous sommes embrassées en nous promettant de ne pas perdre courage. L’idée que quelque chose va arriver, qui empêchera le mariage, me hante et cependant c’est ridicule ! Dans une demi-heure, nous partons vers l’église.

Sir Percival doit avoir la même pensée que moi, car je le vois inquiet et agité, allant d’une voiture à l’autre.

11 heures. – Tout est consommé ! Ils sont mariés !…

3 heures. – Ils sont partis ! Je ne vois plus clair d’avoir pleuré !

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