XLI. NOUVEL ASPECT DE M. PLAYMORE.

En effet, par le courrier du soir, et bien que je n’eusse guère ma pensée à moi, j’écrivis à M. Playmore. Je lui rendais compte de ce qui s’était passé et je lui demandais le plus tôt possible son concours et ses conseils.

Les notes prises par Benjamin sur son agenda avaient été en partie écrites sténographiquement, et dans ces conditions ne pouvaient m’être d’une grande utilité. Je priai Benjamin d’en faire deux copies mises au net, et j’enfermai l’une de ces copies dans la lettre à M. Playmore. Quant à l’autre, j’eus soin, en me couchant, de la placer sur ma table de nuit.

Pendant les longues heures de la nuit où se prolongea ma veille, je lus et je relus les derniers mots tombés de la bouche de Miserrimus Dexter. Était-il possible de les entendre dans un sens utile ? Tout d’abord elles semblaient défier toute interprétation raisonnable. Après de longs et vains efforts pour arriver à la solution d’un problème insoluble, je fis ce que j’aurais dû faire tout de suite, je replaçai le papier sur ma table, désespérant d’y rien comprendre. Où étaient maintenant mes chimériques visions, mes volontés, mes espérances ? Évanouies, évaporées. Restait-il la plus faible chance que Dexter revint à la raison ? Je me rappelais trop bien ce que j’avais vu pour conserver une telle illusion. Les dernières lignes du rapport médical que j’avais lu dans le cabinet de M. Playmore revinrent à ma mémoire, dans le silence de la nuit : « Quand la catastrophe sera arrivée, ses amis ne devront pas nourrir le moindre espoir de guérison ; l’équilibre une fois rompu, sera rompu pour la vie. »

La confirmation de la terrible sentence portée sur Dexter par le docteur ne mit pas un long temps à me parvenir. Le lendemain matin, le jardinier m’apportait un billet contenant les informations que le médecin avait promis de m’envoyer.

Miserrimus Dexter et Ariel étaient encore où je les avais laissés la veille, dans la grande galerie. Les soins éclairés ne leur manquaient pas, en attendant la décision du plus proche parent de Dexter, un frère plus jeune que lui, qui habitait la province, et qu’on avait averti par un télégramme. Il n’avait pas été possible de séparer la fidèle Ariel de son maître, à moins d’avoir recours aux moyens coercitifs mis en usage dans les cas de folie furieuse. Le docteur et le jardinier, tous deux hommes robustes, n’avaient pas réussi à venir à bout de la pauvre créature, quand ils avaient essayé de l’éloigner. Dès qu’ils lui eurent permis de retourner près de son Maître, sa frénésie s’apaisa. Elle restait parfaitement calme et satisfaite, du moment qu’on la laissait à ses pieds et les yeux fixés sur lui.

Quelque tristes que fussent ces détails, ceux qui se rapportaient à Dexter lui-même étaient plus navrants encore.

« Mon malade est dans un état absolu d’imbécillité, » disait en termes exprès la lettre du docteur.

Le jardinier, dans son simple récit, me confirma la triste nouvelle. Miserrimus Dexter était absolument inconscient du dévouement d’Ariel, et ne paraissait même pas s’apercevoir de sa présence. Des heures durant il demeurait immobile au fond de son fauteuil, dans un état de complète léthargie. Il montrait l’instinct d’un animal pour la nourriture, et l’avidité d’un animal pour manger et pour boire autant d’aliments et de boisson qu’il en pouvait obtenir et qu’on voulait lui en donner. C’était tout.

« Ce matin, me dit l’honnête jardinier, nous avons cru qu’il allait se réveiller un peu. Il regardait tout autour de lui et faisait des drôles de signes avec ses mains. Mais je ne pouvais comprendre ce qu’il voulait dire. Elle, la pauvre créature, elle l’a compris. Elle est allée lui chercher sa harpe et lui a mis les mains dessus. Bah ! c’était bien inutile. Il n’a pas été plus capable d’en jouer que je ne l’aurais été, moi. Il a fait résonner les cordes au hasard, et puis il a fait la grimace en se parlant à lui-même. Non, il ne périra jamais. Tout le monde peut voir ça, sans le jugement des docteurs. Il a du plaisir à manger ; après ça, plus rien. Le mieux qui puisse lui arriver, c’est que le Seigneur le rappelle à lui. C’est tout ce qu’on peut dire. Adieu, madame. »

Il partit les yeux pleins de larmes, et il me laissa, je dois l’avouer, avec des larmes dans les yeux.

Mais, une heure plus tard, arrivaient des nouvelles qui me ranimèrent. Je reçus un télégramme de M. Playmore conçu en ces termes :

« Obligé de partir pour Londres par l’express du soir. Attendez-moi à déjeuner demain matin. »

Le lendemain, à l’heure dite, l’homme de loi venait prendre place à notre table. Ses premières paroles me remplirent de surprise et de joie. Il ne partageait pas le moins du monde le sentiment de découragement avec lequel j’envisageais les choses.

« Assurément, dit-il, vous avez encore de sérieux obstacles à vaincre. Mais je ne serais pas venu ici, avant de m’occuper des affaires professionnelles qui m’appellent à Londres, si les notes de M. Benjamin n’avaient pas produit une très-profonde impression sur mon esprit. Pour la première fois je dirai que vous avez en main de réelles chances de succès. Pour la première fois je me crois en droit, sous certaines restrictions, de vous offrir mon appui. Ce misérable être, dans l’affaiblissement de son intelligence, a fait ce qu’il n’aurait jamais fait tant qu’il aurait été en possession de sa raison et de son astuce : il nous a permis d’entrevoir de précieuses lueurs de la vérité.

– Êtes-vous sûr que ce soit bien la vérité ?

– Oui, c’est la vérité, sur deux points importants. Sa mémoire, ainsi que vous le supposiez, est la dernière faculté qui ait survécu en lui et la dernière qui ait résisté à l’effort qu’il faisait pour dire son histoire. Je crois que c’est sa mémoire qui a parlé, sans qu’il en eût conscience, dans tout ce qu’il a dit, quand, vers la fin de son récit, il lui est échappé cette allusion à la lettre.

– Mais, qu’est-ce que c’est que cette allusion à la lettre ? demandai-je. Pour ma part, je reste sur ce point en pleines ténèbres.

– Moi aussi, répondit M. Playmore. Le principal obstacle, parmi ceux que j’entrevois, gît précisément dans cette lettre. La défunte Mme Eustache doit y être pour quelque chose. Sans quoi Dexter n’en aurait pas parlé, comme d’un poignard dans son cœur ; Dexter n’aurait jamais mêlé son nom à ce qu’il a dit de cette lettre déchirée, dont on aurait jeté les fragments. Je suis conduit avec quelque certitude à cette première conclusion. Mais je ne puis aller au delà. Je n’ai pas plus que vous idée de la personne qui avait écrit cette lettre et de ce que cette lettre pouvait contenir. S’il y a pour nous une chance au monde d’arriver à cette découverte, probablement la plus importante de toutes, nous aurons à faire nos premières recherches à mille lieues d’ici. Pour parler plus clairement, chère madame, il faudra envoyer en Amérique. »

Cette déclaration, comme bien on pense, me saisit de surprise. Pourquoi fallait-il envoyer en Amérique ? J’attendis avec une vive impatience l’explication de M. Playmore.

« Il dépendra de vous, continua-t-il, quand vous aurez entendu ce que j’ai à vous dire, de décider si vous voulez faire la dépense d’envoyer un homme à New-York. Je puis trouver l’homme qui convient pour le but que nous nous proposons, et j’estime la dépense, y compris un télégramme…

– Ne vous inquiétez jamais de la dépense ! m’écriai-je, perdant toute patience devant cette façon éminemment écossaise de donner l’importance et la priorité à la question d’argent. Je n’ai nul souci de la dépense, je ne m’inquiète que de savoir ce que vous avez découvert. »

M. Playmore eut un sourire qui signifiait clairement :

« Elle n’a nul souci de la dépense ! comme c’est bien d’une femme ! »

J’aurais pu répliquer :

« Il pense à la dépense avant tout, comme c’est bien d’un Écossais ! »

Mais, dans l’état des choses, j’étais trop anxieuse pour avoir de l’esprit. Je me contentai de tambouriner avec mes doigts sur la table, et de dire :

« Parlez !… parlez !… »

M. Playmore prit la copie mise au net des notes de Benjamin, et me montra, et me relut ces mots, dans la dernière partie des notes :

«  Qu’allons-nous faire de la lettre ? Brûle-la à l’ instant, – Pas de feu dans l’âtre. Pas d’allumettes dans la boîte. La maison est sans dessus dessous. Tous les domestiques sont partis… »

« Comprenez-vous réellement ce que ces mots veulent dire ? demandai-je.

– En me reportant en arrière dans mes souvenirs, je comprends parfaitement ce que ces mots veulent dire.

– Et pouvez-vous me les faire comprendre à moi-même ?

– Facilement. Dans ces phrases inintelligibles Dexter a fidèlement rappelé certains faits. Je n’ai qu’à vous faire connaître ces faits, et vous serez aussi éclairée que moi-même. À l’époque du procès, dit-il, votre mari, chère madame, me surprit et m’affligea, en insistant pour le renvoi immédiat de tous les domestiques employés à Gleninch. Je reçus pour instructions de leur payer un trimestre de leurs gages d’avance, de leur délivrer d’excellents certificats que leur moralité et leurs bons services méritaient d’ailleurs, et de leur notifier de quitter la maison dans le délai d’une heure. Le motif qui faisait agir Eustache était celui-là même qui détermina sa conduite envers vous, « Si je dois jamais revenir à Gleninch, » me dit-il, « je ne puis me retrouver en face de mes honnêtes serviteurs, quand j’aurai passé, comme accusé de meurtre, par l’infamie d’un procès criminel. » Telle était sa raison. Rien de ce que je pus dire au pauvre garçon ne parvint à ébranler sa résolution. Je congédiai donc les domestiques. N’ayant qu’une heure devant eux, ils laissèrent leur ouvrage sans être fait. Les seules personnes aux soins de qui resta confié Gleninch, habitaient aux extrémités du parc ; c’étaient le concierge, sa femme et sa fille. Le dernier jour du procès, je dis à la fille de faire de son mieux pour mettre les chambres en état. Elle était pleine de bonne volonté, mais elle était assez incapable. Il ne pouvait pas lui entrer dans la tête de préparer les feux de manière à ce qu’il n’y eût qu’à les allumer, de regarnir les boîtes d’allumettes, qui étaient vides, etc. Les mots dits par Dexter avaient trait, sans aucun doute, à l’état d’abandon de la maison, quand il est revenu d’Édimbourg à Gleninch, avec Eustache et sa mère. Qu’il ait déchiré la lettre mystérieuse dans sa chambre à coucher, ne trouvant sous la main aucun moyen de la brûler, et qu’il en ait jeté les morceaux dans le panier aux vieux papiers, telle semble être la conclusion la plus naturelle à tirer de ce que nous savons. Dans tous les cas, on n’a pas laissé à Dexter beaucoup de loisir. Tout a été fait à la hâte dans cette journée ; Eustache et sa mère, accompagnés par Dexter, partirent pour l’Angleterre, le même soir, par le train de nuit. C’est moi-même qui fermai la maison et qui remis les clefs au concierge. Il était entendu qu’il prendrait soin de tenir en bon état de conservation les salons de réception du rez-de-chaussée, et que sa femme et sa fille se partageraient les soins à donner aux chambres des étages supérieurs. Hier, au reçu de votre lettre, je me suis rendu tout de suite à Gleninch, pour questionner la vieille femme sur les chambres à coucher, et tout spécialement sur celle de Dexter. Elle s’est rappelé l’époque où la maison avait été fermée, en l’associant dans son souvenir à celle où elle avait été retenue au lit par une attaque de sciatique. Elle est sûre de n’avoir pas passé le seuil de sa loge pendant une semaine au moins, après que Gleninch fut laissé sous leur garde, à son mari et à elle. Tout ce qui a été fait pour aérer les chambres et les mettre en bon état de propreté durant sa maladie, c’est sa fille qui l’a fait. C’est elle, elle seule, qui a dû balayer les ordures qui se trouvaient sur le parquet de la chambre de Dexter. Pas un vestige de papier déchiré, je puis le certifier, ne reste aujourd’hui dans aucun coin de cette chambre. Cette fille a-t-elle trouvé les morceaux de la lettre ? Et si elle les a trouvés, qu’en a-t-elle fait ? Telles sont, si vous le jugez bon, les questions pour lesquelles nous aurions à envoyer, à mille lieues d’ici, quelqu’un qui se chargerait de les transmettre et d’en rapporter la réponse. Et cela par l’excellente raison que la fille du concierge s’est mariée, il y a plus d’un an, et qu’elle est allée avec son mari s’établir à New-York. C’est à vous, maintenant, madame, de décider ce qu’il convient de faire. Dieu me garde de vous influencer en faisant briller à vos yeux de fausses espérances et de vous donner la tentation de gaspiller inutilement votre argent. Dites-vous bien que, même dans le cas où cette femme se rappellerait ce qu’elle a fait des morceaux de papier, il y a cent à parier contre un qu’après un si long temps écoulé, nous ne retrouverons pas la moindre parcelle des papiers. Ne vous hâtez donc pas de prendre une décision. J’ai affaire dans la Cité… je puis vous donner toute la journée pour réfléchir.

– Envoyez l’homme en Amérique par le premier paquebot, telle est ma décision immédiate, monsieur Playmore ; vous n’avez pas besoin d’attendre. »

Il secoua la tête avec une expression de sérieuse désapprobation pour ma vivacité. Dans ma première entrevue avec lui, la question n’avait pas été touchée. C’était maintenant, pour la première fois, que j’avais occasion de faire connaissance avec le côté purement écossais de son caractère.

« Mais vous ne savez même pas ce que cela vous coûtera ! s’écria-t-il, en tirant son agenda avec l’air d’un homme aussi surpris que scandalisé. Attendez que j’aie fait le total, en monnaie anglaise et américaine.

– Je ne puis attendre. Je suis toute à mon anxiété… toute à mon espérance… toute à cette idée que nous sommes sur la voie de nouvelles découvertes. »

Sans tenir compte de mon interruption, il s’était mis à ses calculs.

« L’homme prendra un billet de seconde classe, un billet d’aller et retour. Très-bien. Son billet comprend la nourriture, et comme, Dieu merci ! c’est un homme sobre, il ne gaspillera pas d’argent en consommation de liqueurs à bord. Arrivé à New-York, il ira se loger dans un hôtel allemand, un hôtel à bon marché, et où je sais de bonne source qu’il pourra avoir la table et le logement a raison de… »

Ma patience était à bout ; je pris mon livre de chèques dans le tiroir de la table, je l’ouvris, et je mis ma signature au bas d’un chèque en blanc, que je lui tendis.

« Remplissez-le pour la somme qui sera nécessaire à cet homme, et, pour l’amour du ciel, revenons à Dexter. »

M. Playmore se renversa dans son fauteuil et leva sa main et ses yeux vers le plafond. Je ne me laissai nullement toucher par ce solennel rappel à la puissance méconnue de l’arithmétique, et de l’argent, et j’insistai pour obtenir de nouveaux éclaircissements.

« Allons ! soit ! soupira-t-il. Écoutez donc ceci, reprit-il, en lisant les notes prises par Benjamin : Numéro 9, Caldershaws. Demander Dandie. Vous n’aurez pas le Journal. Que je vous dise un secret à l’oreille : le Journal le fera pendre. »

– Oui, c’est singulier, repris-je. Comment Dexter pouvait-il savoir ce qu’il y avait dans le Journal de mon mari ? Et que voulait-il dire par numéro 9, Caldershaws, et le reste ? Sont-ce des faits encore ?

– Des faits encore, répondit M. Playmore ; des faits mêlés les uns avec les autres, comme vous pouvez vous en apercevoir, mais des faits de tout points positifs. Caldershaws, vous devez le savoir, est un quartier mal famé d’Édimbourg. L’un de mes clercs, en qui j’ai toute confiance, m’a offert d’aller s’enquérir de Dandie au n° 9. C’était une affaire épineuse sous tous les rapports. Mon clerc prit avec lui une personne connue dans le quartier. Le n° 9 se trouve être, ostensiblement, une boutique pour la vente et l’achat des vieux chiffons et des vieilles ferrailles ; mais Dandie était soupçonné d’exercer secrètement une autre industrie, celle de receleur d’objets volés. Grâce à l’influence de son compagnon, appuyée par l’offre d’une banknote… elle pourra être portée sur la note des dépenses en Amérique… mon clerc réussit à faire parler cet homme. Sans entrer dans des détails inutiles, voici, en substance, le résultat obtenu. Quinze ou vingt jours avant la date du décès de Mme Eustache, Dandie fit deux clés sur des empreintes en cire qui lui avaient été fournies par un client inconnu. Le mystère qu’observait l’agent de cette négociation inspira quelque défiance à Dandie. Il fit secrètement épier cet homme avant de livrer les clés, et il acquit la certitude que son véritable client était Miserrimus Dexter. Attendez encore un peu, je n’ai pas tout dit. Rapprochez ce renseignement de l’incompréhensible connaissance que Dexter avait du Journal de votre mari, et vous arrivez à un résultat évident : c’est que les empreintes envoyées à la boutique du marchand de vieilles ferrailles, de M. Caldershaws, avaient été prises par un voleur sur les clefs du Journal même et du tiroir de la table qui le renfermait. J’ai mes idées à moi sur les révélations qui sont encore à obtenir si cette filière est bien suivie. Mais ne vous en préoccupez pas pour le moment. Dexter, je vous le redis encore, a sa part de responsabilité dans la mort de la première Mme Eustache. Comment et dans quelle mesure ce malheureux Dexter est-il responsable ? c’est là une première question à se poser. Je crois que vous êtes en bonne voie pour résoudre celle-là et les autres. Bien plus, je vous dis maintenant ce que je ne me serais pas aventuré à vous accorder jusqu’ici : c’est un devoir pour vous, un devoir tant envers la justice qu’envers votre mari, de faire éclater la vérité au grand jour. Quant aux obstacles que vous pourrez rencontrer, je ne pense pas qu’ils vous arrêtent. On triomphe, en fin de compte, des plus grandes difficultés, par l’alliance de la patience, de la résolution… et de l’économie. »

Après avoir fortement accentué ce dernier mot, mon digne conseiller, songeant à la fuite du temps et aux affaires professionnelles qui le réclamaient, se leva pour prendre congé de moi.

« Un mot encore, lui dis-je, au moment où il me tendait la main ; est-ce que vous pourrez faire en sorte de voir Miserrimus Dexter avant de repartir pour Édimbourg ? D’après ce que le Jardinier m’a dit, son frère doit être auprès de lui maintenant ; ce serait un soulagement pour moi d’avoir des nouvelles plus récentes de lui, et de les avoir par vous.

– Il entre dans le cercle des affaires qui m’amènent à Londres, de le voir, dit M. Playmore ; mais, songez-y bien, je ne garde pour lui aucun espoir de rétablissement. Je veux seulement m’assurer que son frère a les moyens et la volonté de prendre soin de lui. Quant à ce qui nous intéresse, madame Eustache, croyez bien que ce malheureux homme a dit tout ce qu’il avait à dire. »

Il ouvrit la porte, s’arrêta, réfléchit, et revint à moi.

« En ce qui touche la question de l’envoi d’un agent en Amérique, reprit-il, je me propose d’avoir l’honneur de vous soumettre un petit devis…

– Oh ! monsieur Playmore !

– Un petit devis écrit, madame Eustache, des dépenses nécessaires ou utiles. Vous serez assez bonne pour l’examiner, en faisant, en vue de l’économie, les observations que son examen vous suggérera à vous-même. Et si vous approuvez mes évaluations, vous serez assez bonne pour remplir le chèque en blanc que vous avez signé, en inscrivant en lettres et en chiffres la somme jugée indispensable… Non, madame, non, reprit-il, ma conscience ne me permet pas d’emporter une pièce aussi élastique et aussi imprudente que l’est un chèque en blanc. C’est un mépris complet, sous la forme d’une petite bande de papier, des premières lois imposées par la prudence et l’économie, et l’accepter serait me mettre en contradiction avec les principes qui ont été la règle de toute mon existence. Je ne puis me soumettre à une telle contradiction. Adieu, madame Eustache… adieu. »

Il laissa mon chèque sur la table, me fit un profond salut, et se retira. Parmi les étranges manifestations de la bêtise humaine qui s’offrent journellement à nos regards, assurément une des moins excusables, est celle qui, à notre époque persiste à s’étonner de voir les Écossais si bien réussir dans la vie !

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