NOTE A

Je n’ai pas le désir d’accumuler dans les dernières pages de cet ouvrage d’inutiles extraits des relations de journaux que chacun peut consulter. Mais les désordres survenus à la Commémoration d’Oxford, en 1869, et le sac de la bibliothèque de Christ Church, qui a eu lieu à la même université en 1870, présentent une si remarquable relation entre la cause et l’effet, qu’un exposé succinct des faits qui se sont passés dans ces deux occasions peut être considéré comme offrant un épisode de l’histoire de l’Angleterre de notre temps.

Pour les lecteurs français, il peut être nécessaire d’expliquer que la Commémoration d’Oxford est une réunion annuelle de dignitaires de l’université, d’étudiants, et d’invités ; l’objet de la réunion est de conférer les degrés honorifiques et de donner lecture des compositions en vers et en prose. Qu’on nous permette de rappeler à ce sujet, à nos lecteurs, tant anglais qu’étrangers, que ces scènes de désordre, se produisant dans la galerie des étudiants, sont devenus un usage toléré depuis des années. La destruction des œuvres d’art dans la bibliothèque de Christ Church, qui est survenue quelques mois après, apparaîtra sous son véritable jour, si on la considère comme le résultat nécessaire d’un mauvais système d’administration de l’université, heureusement sans parallèle dans tout le monde civilisé.

MANIÈRES ET COUTUMES DES JEUNES GENTLEMEN ANGLAIS
PREMIER SPÉCIMEN

Rapport abrégé sur les troubles arrivés à la fête de la Commémoration d’Oxford, en 1869. Le Times du 10 juin 1869.

« L’orage préluda par quelques cris provoqués par les chapeaux que quelques étrangers, tout récemment entrés, avaient gardés sur leurs têtes, mais ces murmures furent bientôt étouffés par les vociférations furieuses soulevées par un malheureux jeune homme qui, sans réflexion, avait orné son cou d’une cravate de couleur voyante. Des cris de : “À bas le nœud vert !” s’élevèrent et furent répétés pendant près de trois quarts d’heure. Le jeune homme en question fut invité à se retirer, ses voisins furent interpellés avec injonction de le mettre à la porte. On le pria de changer le nœud de sa cravate ou de l’ôter. Tout, pendant près d’une heure, sembla devoir être inutile, mais il fallut céder enfin à l’importunité ; le délinquant, au milieu de tonnerres d’applaudissements, quitta la salle et la jeunesse académique put donner son attention à d’autres sujets.

» Le vice-chancelier ouvrit la séance assez tranquillement ; mais le discours prononcé par l’orateur public fut le signal de nouveaux troubles. L’orateur fut assailli par un feu roulant de questions et d’observations, plus spirituelles que flatteuses, et fort peu de son discours arriva à d’autres oreilles que les siennes. Quand il se rassit, le vice-chancelier se leva, et après avoir à grand-peine obtenu le silence, annonça que si de nouvelles interruptions survenaient, la séance serait immédiatement close. La lecture des compositions commença alors, mais il ne fut pas possible d’en entendre grand-chose ; le Newdigate seulement fut écouté avec un peu d’attention et moins interrompu que d’habitude.

» La série des lectures touchait à sa fin, quand l’attention fut malheureusement attirée par un chapeau blanc tenu, quoique non porté, par un gentleman dans l’auditoire. L’étudiant d’Oxford est affligé d’une maladie qu’à défaut d’un meilleur nom nous pouvons appeler pileo-albophobia. À la vue d’un chapeau de cette malencontreuse couleur, il écume et crie, et il n’est plus maître de ses actions.

» Le solennel avertissement donné par le vice-chancelier, avertissement qui, bien entendu, implique tout au moins la probabilité de l’abolition de la fête de la Commémoration, pour l’avenir, et dont chacun devrait pouvoir apprécier les terribles conséquences, reste sans effet. Tout est inutile. Quand elle a devant les yeux l’odieux chapeau blanc, la multitude furieuse des étudiants ne peut que s’exalter jusqu’au délire et pousser des cris, et le vice-chancelier, incapable d’obtenir l’attention, se lève de son siège et sort de la salle, accompagné par tous les docteurs. »

SECOND SPÉCIMEN

Amusements des étudiants à leurs heures de loisir. Éléments d’un feu de joie à l’université tirés de la bibliothèque. Observations sur ce qui s’est passé à Christ Church, Oxford. Le Times du 18 mai 1870.

» … Le plus brutal et le plus stupide acte de vandalisme qui pouvait déshonorer notre siècle a été commis par les membres du grand établissement de Christ Church, jeunes gens appartenant aux plus hautes classes de la société, élevés au milieu de tous les raffinements de la civilisation et recevant la plus coûteuse éducation que l’Angleterre puisse offrir.

» Dans la soirée du mardi de la semaine dernière, la bibliothèque de Christ Church fut envahie, et plusieurs bustes et une statue de marbre représentant une Vénus, œuvres d’art d’un grand prix, furent emportés par des étudiants. Dans le cours de la soirée, un bûcher, composé de fagots et de paillassons, fut élevé, les sculptures furent placées sur ce bûcher, on y mit le feu, et les œuvres d’art furent complètement détruites.

» Il n’y a pas eu de rapports officiels sur ces méfaits et leurs auteurs, mais naturellement les faits sont fort connus dans le cercle des étudiants. Deux séries de jeunes gens prirent part, dit-on, à cette triste affaire. Les uns enlevèrent les sculptures de la bibliothèque et les placèrent dans Peckwater (l’une des cours de l’établissement) avec l’intention de faire une plaisanterie ; les autres les trouvèrent dans Peckwater, les renversèrent, firent un feu de joie et les détruisirent.

» … La pensée suggérée nécessairement par ces faits, c’est qu’il y a absence de discipline quand les frasques des étudiants sont poussées jusque-là. On n’arrive pas tout d’un coup à ces excès dans le mal, et des jeunes gens capables d’actes pareils ne se produiraient pas, si des délits moins sérieux n’avaient pas été tolérés antérieurement. S’il en est ainsi, nous ne pouvons que penser qu’il est du devoir des autorités d’intimer aux étudiants que de pareils abus seront sérieusement punis à l’avenir. Ce sont simplement de stupides traditions qui se transmettent d’une année à l’autre.

» Des choses pires encore se passaient dans l’armée il y a quelques années ; un nouveau venu impopulaire, par exemple, était soumis dans sa propriété et dans sa personne à des persécutions véritablement incroyables. L’indignation publique, provoquée par un cas particulier, força l’administration de la guerre à agir, et la destruction des effets mobiliers et autres excès de ce genre cessèrent à l’instant. La même fermeté produirait le même effet à l’Université.

» Il est nécessaire d’ajouter que les personnes impliquées dans ces désordres ont reçu la punition que les autorités de l’Université avaient le pouvoir de leur infliger. Que feront ces autorités, après cet avertissement, pour améliorer la discipline et répandre les bienfaits de la civilisation parmi les étudiants ? Voilà ce qu’il faudra voir.

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