58 LA CLARTÉ DE LA LUNE SUR LE PLANCHER

Qu’était-il arrivé pendant ces heures de ténèbres ?

Telle fut la première pensée d’Anne, quand les rayons du soleil pénétrèrent par sa fenêtre et l’éveillèrent le matin.

Elle s’informa auprès de la servante.

La fille ne pouvait parler que pour elle.

Rien n’était venu la déranger, depuis qu’elle s’était mise au lit. Son maître, à ce qu’elle croyait, était tranquille dans sa chambre. Mrs Dethridge était à son ouvrage.

Anne descendit à la cuisine.

Hester vaquait en effet à ses occupations habituelles ; elle préparait le déjeuner.

Les légers signes d’animation qu’Anne avait remarqués la veille sur son visage avaient disparu ; ses yeux avaient repris leur regard fixe et morne, et une sorte de torpeur particulière se remarquait dans tous ses mouvements.

Anne lui demanda s’il était arrivé quelque chose pendant la nuit, elle secoua lentement la tête et fit de la main un signe qui signifiait : Rien.

En quittant la cuisine, Anne vit Julius dans le jardin, sur le devant de la maison ; elle sortit et alla le rejoindre.

– J’ai à vous remercier des quelques heures de repos que j’ai pu prendre grâce à vous, dit-il. Il était 5 h du matin quand je me suis éveillé. J’espère que vous n’avez pas eu à regretter de m’avoir laissé dormir. Je suis allé dans la chambre de Geoffrey. Je l’ai trouvé s’agitant dans son lit, et je lui ai fait prendre une seconde dose de la potion. La fièvre a disparu. Il semble plus faible et plus pâle, mais sous tous les autres rapports, il est redevenu lui-même. Nous reparlerons tout à l’heure de sa santé. J’ai quelque chose à vous dire d’abord, au sujet des changements qui peuvent se produire dans votre existence ici.

– A-t-il consenti à la séparation ?

– Non. Il est aussi opiniâtre que jamais sur ce sujet. Je lui ai présenté la question sous toutes les faces. Il refuse, positivement, une provision qui pourrait faire de lui un homme indépendant durant toute sa vie.

– Est-ce la provision qu’il aurait eue, lord Holchester, si…

– S’il avait épousé Mrs Glenarm ?… Non. Il m’est impossible, à cause de mes devoirs envers ma mère et de ce que je dois à la position dans laquelle la mort de mon père m’a placé, de lui offrir une fortune égale à celle de Mrs Glenarm. Néanmoins, c’est un beau revenu et qu’il est fou de refuser. Je persisterai à le presser à ce sujet. Il faut qu’il accepte, et il acceptera.

Anne ne sentit aucun espoir revivre en elle par ces paroles. Elle aborda un autre sujet.

– Vous avez quelque chose à me dire, dit-elle. Vous avez parlé d’un changement…

– C’est vrai. La propriétaire de cette maison est une étrange personne, et elle a fait une étrange chose. Elle a donné avis à Geoffrey d’avoir à quitter ce logement.

– Quitter ce logement ?… répéta Anne avec surprise.

– Oui. Dans une lettre qu’elle m’a remise toute ouverte dès que j’ai été levé ce matin. Il m’a été impossible de tirer d’elle aucune explication. La pauvre muette s’est contentée d’écrire sur son ardoise : « Je lui rendrai son argent, s’il le désire, mais il partira ! » À ma grande surprise, car cette femme lui inspire la plus grande aversion, Geoffrey refuse de s’en aller avant l’expiration du terme de sa location. J’ai fait la paix entre eux pour aujourd’hui. Mrs Dethridge, après la plus grande résistance, a consenti à lui accorder encore 24 heures. C’est là qu’en sont les choses pour le moment.

– Quel peut être le motif de cette femme ? dit Anne.

– Il est inutile de le rechercher. Son esprit a évidemment perdu son équilibre. Une seule chose est claire, c’est que Geoffrey ne peut pas vous garder ici plus longtemps. Ce changement prochain aura pour résultat de vous faire quitter cette triste demeure, ce qui sera toujours quelque chose de gagné, et il est possible que le changement de lieu et de vie dans un autre voisinage exerce sur lui une salutaire influence. Sa conduite autrement serait incompréhensible, et ne peut être d’ailleurs que le résultat d’une irritation nerveuse dont l’assistance du médecin pourra triompher. Je n’essaierai pas de vous dissimuler ou de me cacher à moi-même que votre position est déplorable. Mais avant de désespérer de l’avenir, cherchons au moins s’il n’est pas possible de trouver une explication à la conduite de mon frère, dans l’état présent de sa santé. J’ai réfléchi à ce que m’a dit le docteur. La première chose à faire, c’est de prendre sur son état l’avis d’un plus habile médecin. Qu’en pensez-vous ?

– Je n’ose pas vous dire ce que je pense, lord Holchester. J’essaierai… ce sera un bien faible retour pour toutes vos bontés… j’essaierai de voir ma position avec vos yeux et non avec les miens. Le meilleur avis que vous puissiez obtenir, au point de vue médical est celui de Mr Speedwell. C’est lui qui, le premier, a reconnu que votre frère était dans un mauvais état de santé.

– C’est précisément l’homme qu’il nous faut. Je l’enverrai ici aujourd’hui ou demain. Y a-t-il autre chose que je puisse faire pour vous ? Je verrai sir Patrick dès mon arrivée à Londres. Avez-vous quelque message pour lui ?

Anne hésita.

En la regardant attentivement, Julius remarqua qu’elle avait changé de couleur quand il avait mentionné le nom de sir Patrick.

– Voulez-vous lui dire que je le remercie de la lettre que lady Holchester a été assez bonne pour me remettre hier ? répondit-elle, et voulez-vous le prier de ne pas s’exposer pour moi à…

Elle hésita et finit sa phrase, les yeux fixés vers la terre.

– … À ce qui pourrait arriver s’il venait ici et s’il insistait pour me voir.

– Se proposerait-il de faire cela ?

Elle hésita encore, et la légère contraction nerveuse qui se manifestait souvent au coin de sa bouche fut alors plus marquée que de coutume.

– Il m’écrit que son inquiétude est insoutenable et qu’il est résolu à me voir, répondit-elle avec douceur.

– Il est probable qu’il tiendra à sa résolution, dit Julius. Quand je l’ai vu hier, sir Patrick a parlé de vous dans les termes d’une admiration bien vive.

Il s’arrêta, des larmes brillaient dans les yeux d’Anne, une de ses mains pressait nerveusement un objet caché dans le corsage de sa robe, la lettre de sir Patrick peut-être.

– Je le remercie de tout mon cœur, dit-elle d’une voix émue ; mais il vaut mieux qu’il ne vienne pas ici.

– Voudriez-vous lui écrire ?

– Je crois que je préférerais que vous lui transmissiez mon message.

Julius comprit que ce sujet ne devait pas être poussé plus loin.

La lettre de sir Patrick avait produit sur la jeune femme une impression que, dans sa délicatesse, elle semblait ne pas vouloir avouer même à elle-même.

Ils retournèrent au cottage.

Une surprise les y attendait sur le seuil.

Hester Dethridge, habillée, son chapeau sur la tête, à cette heure de la matinée, se disposait à sortir.

– Allez-vous déjà au marché ? demanda Anne.

Hester secoua la tête.

– Quand reviendrez-vous ?

Elle écrivit sur son ardoise :

« Pas avant la nuit. »

Sans plus d’explication, elle abaissa son voile sur son visage et se dirigea vers la porte.

La clef se trouvait dans la salle à manger où Julius l’avait déposée après avoir reconduit le docteur.

Hester la tenait à la main. Elle ouvrit la porte et la ferma derrière elle, en laissant cette clef dans la serrure.

Au bruit de la porte qui se refermait, Geoffrey apparut dans le corridor.

– Où est la clef ? demanda-t-il ; qui est sorti !…

Son frère répondit à ses questions.

Il regarda alternativement Julius et Anne d’un air soupçonneux.

– Que va-t-elle faire dehors, à cette heure ? dit-il. A-t-elle quitté la maison pour éviter ma présence ?

Julius pensa que cela était possible.

Geoffrey alla fermer la porte et revint avec la clef dans sa poche.

– Je suis obligé de veiller sur cette porte, dit-il, le voisinage fourmille de mendiants et de vagabonds. Si vous avez à sortir, ajouta-t-il en se tournant vers Anne, je suis à votre service comme tout bon mari doit être.

Après un déjeuner pris à la hâte, Julius se disposa à partir.

– Je n’accepte pas votre refus, dit-il à son frère devant Anne. Vous me reverrez.

Geoffrey persista obstinément encore.

– Quand vous viendriez ici tous les jours de votre vie, s’écria-t-il, ma résolution sera toujours la même.

La porte se referma sur Julius.

Anne retourna à la solitude de sa chambre.

Geoffrey entra dans le salon, plaça le Calendrier de Newgate sur la table devant lui et reprit la lecture qu’il n’avait pu continuer la veille au soir.

Des heures passèrent tandis qu’il s’absorbait dans les causes criminelles ; il avait dévoré une bonne moitié de cette horrible chronique et son attention ne faiblissait point.

Cependant, il alluma une pipe et s’en alla dans le jardin réfléchir sur ce qu’il avait lu.

Quelques différences qui existassent entre les diverses atrocités dont il venait de se repaître, elles avaient un point de ressemblance qu’il n’avait pas prévu et qui se rencontrait dans toutes les causes…

« tôt ou tard le cadavre du mort était découvert, apportant toujours son muet témoignage contre le crime, portant les traces du poison ou de la violence. »

Il allait et venait lentement, réfléchissant sur ce problème et, comme la veille, il regardait les fenêtres d’Anne et se disait : « Comment ?… »

Cette question, il se l’était posée depuis le moment où l’homme de loi avait anéanti son espérance d’obtenir le divorce.

Cette question restait toujours présente à son esprit.

Il n’y trouvait pas de réponse dans sa cervelle, il n’y trouvait pas de réponse dans le livre qu’il avait consulté.

Tout aurait tourné en sa faveur s’il avait pu seulement trouver la solution de ce : « Comment ? »

Il tenait sa femme à sa merci, dans un lieu fermé de tous les côtés aux regards curieux, et il avait bien formé la résolution de rester au cottage, même après l’insulte que la propriétaire lui avait faite en lui notifiant d’avoir à le quitter.

Tout avait été préparé, tout avait été sacrifié à l’accomplissement de son but. Mais comment ?… Comment atteindre ce but ?…

Le problème demeurait toujours aussi insoluble que le premier jour où il se l’était posé.

Quelle autre possibilité avait-il ?

Accepter la proposition que Julius lui avait faite ?

En d’autres termes, renoncer à sa vengeance sur Anne et abandonner le splendide avenir que lui offrait le dévouement de Mrs Glenarm.

Jamais !

Il retournerait à ses livres. Il n’était pas encore arrivé à la fin de sa lecture, et la plus légère indication dans les pages qui lui restaient à étudier pouvait le mettre sur une bonne piste.

Le moyen de se débarrasser d’Anne sans éveiller les soupçons d’une créature vivante dans la maison ou dehors, voilà ce qu’il pouvait encore trouver.

Un homme de son rang peut-il raisonner d’une façon aussi brutale ?

Bien certainement la pensée de ce qu’il était sur le point de faire devait le troubler et le troublait.

Mais réfléchissez un moment et regardez son passé.

Avait-il éprouvé des remords quand il avait comploté de trahir Arnold, dans le jardin de Windygates ?

Il n’avait pas en lui le sentiment du remords.

Ce qu’il était devenu n’était que la conséquence naturelle de ce qu’il avait toujours été.

Une tentation plus sérieuse allait le pousser à commettre un plus grand crime.

Comment y eût-il résisté ?

Son habileté à manier l’aviron, sa vitesse à la course, son admirable force de résistance à tous les exercices du corps, lui pouvaient-elles être de quelque secours pour remporter une victoire, purement morale, sur son égoïsme et sur sa cruauté ?

Non.

La négligence qu’il avait toujours eue de lui-même sous le rapport moral et intellectuel, tacitement encouragée par les gâteries du public, le laissait à la merci de ses pires instincts, de tout ce qu’il y a de plus vil et de plus dangereux dans l’homme à l’état de nature.

Quant à ses camarades, ils ne commettaient généralement aucun mal sortant de la ligne commune, parce qu’ils n’avaient pas rencontré devant eux une situation sortant de la ligne commune.

Pour lui, le cas était tout différent.

Il se trouvait aux prises avec une tentation extraordinaire.

Comment était-il préparé à s’en défendre ?

Il se trouvait littéralement et exactement dans la condition où son éducation l’avait laissé.

Contre une tentation, petite ou grande, c’était un homme désarmé.

Geoffrey rentra au cottage.

La servante l’arrêta dans le corridor pour lui demander à quelle heure il désirait dîner.

Au lieu de répondre, il s’enquit avec colère de Mrs Dethridge.

Mrs Dethridge n’était pas encore revenue.

L’après-midi était fort avancée et elle était sortie de grand matin : cela n’était encore jamais arrivé.

De vagues soupçons sur elle, tous plus monstrueux les uns que les autres, commencèrent à prendre naissance dans l’esprit de Geoffrey.

Julius lui avait dit que, sous l’influence de la boisson et de la fièvre, il avait eu du délire pendant une partie de la nuit.

Avait-il laissé échapper quelques paroles imprudentes ?

Hester les avait-elle entendues ?

Fallait-il chercher là l’explication de sa longue absence et du congé qu’elle lui avait notifié ?

Il résolut, sans lui laisser voir qu’il la soupçonnait, d’éclaircir ce doute aussitôt qu’elle serait de retour.

La nuit vint.

Il était plus de 9 heures quand la sonnette de la porte extérieure se fit entendre.

La servante vint pour demander la clef.

Geoffrey se leva et voulut aller ouvrir lui-même.

Il changea d’idée avant d’avoir quitté la chambre.

En supposant que ce soit Hester qui attendait qu’on l’introduisît, s’il allait lui-même lui ouvrir la porte quand la servante était là pour le faire, il s’exposait à éveiller ses soupçons.

Il donna la clef à la fille et se tint hors de vue.

« Morte de fatigue ! » se dit la servante en voyant sa maîtresse à la clarté du bec de gaz qui surmontait la porte extérieure.

« Morte de fatigue ! » se dit Geoffrey en observant Hester quand elle passa devant lui dans le corridor, se rendant à l’étage supérieur pour quitter son chapeau et son châle.

« Morte de fatigue ! » se dit Anne en la rencontrant dans le corridor du premier étage, et en recevant de ses mains une lettre de l’écriture de Blanche, que lui avait remise le facteur, qu’elle avait trouvé à la porte du cottage.

Après avoir remis la lettre à Anne, Hester se retira dans sa chambre.

Geoffrey ferma la porte du salon, dans lequel les bougies étaient allumées, et passa dans la salle à manger, où il n’y avait pas de lumière.

Ayant eu soin de laisser la porte tout contre, il attendit, comptant saisir Hester au passage, quand elle se rendrait à la cuisine pour le souper.

Hester, avec un air de fatigue extrême, ferma la porte, alluma les chandelles et mit l’encre et une plume sur la table. Cela fait, elle fut obligée de s’asseoir pendant quelques minutes pour retrouver des forces et reprendre sa respiration.

Après un moment, elle put enfin dégrafer le haut de son corsage, prendre dans la poche secrète de son corset le manuscrit portant cette mention : « MA CONFESSION ».

Elle écrivit sur la dernière page une nouvelle note, à la suite de celle qu’elle avait écrite la nuit précédente :

« Ce matin je lui ai notifié d’avoir à quitter ma maison, et je lui ai offert de lui rendre son argent s’il le désirait. Il a refusé de partir. Il partira demain… ou je mets le feu à la maison. Toute la journée, je l’ai évité en restant absente. Pas de repos pour soulager mon esprit, pas de sommeil pour fermer mes yeux. Je porte humblement ma croix, aussi longtemps que mes forces me le permettront. »

Après ces mots, la plume lui tomba des doigts.

Sa tête s’inclina sur sa poitrine.

Elle se réveilla en sursaut.

Le sommeil était l’ennemi qu’elle redoutait : le sommeil amenait les rêves.

Elle ouvrit les volets de la fenêtre et regarda au-dehors.

La douce clarté de la lune se répandait dans le jardin.

Les transparentes profondeurs du ciel avaient quelque chose de si calme, de si beau à voir.

Quoi ?… la clarté disparaît déjà ?… les nuages ?… l’obscurité ?… Non !

Elle avait encore failli s’endormir.

Elle fit un effort pour se réveiller.

La lune resplendissait sur le jardin d’une clarté aussi brillante que jamais.

Que les rêves dussent venir ou non, elle ne pouvait lutter plus longtemps contre la fatigue qui l’accablait.

Elle ferma les volets, se mit au lit et mit sa confession à sa place accoutumée, sous son oreiller.

Elle regarda autour de la chambre et frissonna.

Chaque coin de la pièce évoquait les terribles souvenirs de la nuit passée.

Les tortures de ses rêves ou la terreur de l’apparition veillant près de son lit, voilà ce qui l’attendait.

Et pas de remède ! Pas de bienfaisante sauvegarde sous laquelle elle pût se résigner tranquillement à dormir !

Une idée lui traversa l’esprit.

Le bon livre… la Bible.

Si elle dormait avec la Bible sous son oreiller, il y avait un espoir en l’influence de ce livre divin, l’espoir de dormir en paix.

Elle n’avait pas besoin de remettre son corset et sa robe qu’elle avait quittés.

Son châle la couvrirait suffisamment.

Il était également inutile de prendre de la lumière.

Les volets n’étaient pas fermés au rez-de-chaussée à cette heure de la soirée. S’ils l’étaient, elle pouvait parfaitement atteindre la Bible dans le parloir sur la tablette où elle était placée, même dans l’obscurité.

Elle reprit la confession sous l’oreiller, ne pouvant se décider à la laisser pour une minute dans sa chambre, pendant qu’elle en était dehors.

Tenant le manuscrit fermé et caché dans sa main, elle descendit doucement l’escalier.

Ses genoux tremblaient sous elle, elle était obligée de s’appuyer sur la rampe de la main qu’elle avait de libre.

Geoffrey l’observait de la salle à manger et la regardait descendre l’escalier.

Il attendit pour voir ce qu’elle ferait, avant de se montrer et de lui parler.

Au lieu d’aller dans la cuisine, elle s’arrêta court et entra dans le parloir.

Autre circonstance suspecte !

Qu’allait-elle faire dans le parloir, sans lumière, et à cette heure ?

Elle alla droit à l’étagère.

Sa silhouette était parfaitement visible à la clarté de la lune qui éclairait la pièce.

Elle chancela et porta la main à sa tête. Un étourdissement, sans doute produit par l’excès de la fatigue, venait de la saisir.

Elle revint à elle et prit le livre sur la tablette.

Alors elle s’appuya contre le mur, trop fatiguée pour remonter l’escalier avant d’avoir pris un peu de repos.

Son fauteuil était près d’elle.

Elle pensa qu’elle se reposerait mieux, pendant une minute ou deux, en s’asseyant qu’en restant appuyée à ce mur.

Elle s’assit donc lourdement et plaça le livre sur ses genoux.

Un de ses bras pendait au-dessus du bras du fauteuil ; la main était fermée et tenait son manuscrit…

Sa tête roula sur sa poitrine.

Elle était endormie, profondément endormie.

Les muscles de sa main fermée qui pendait au-dessus du bras du fauteuil se détendirent.

Quelque chose en tomba et resta par terre.

Le plancher était éclairé par la lune.

Geoffrey ôta ses lourds souliers et entra sans bruit dans la pièce. Il ramassa l’objet blanc qui gisait sur le plancher.

Il vit que c’étaient plusieurs feuilles de papier très fin soigneusement reliées ensemble et couvertes d’écriture.

De l’écriture ? Et tant qu’elle était restée éveillée elle avait gardé cet écrit caché dans sa main !

Avait-il dit quelque chose de compromettant pendant que la fièvre lui troublait le cerveau, la nuit précédente ?

Avait-elle mis par écrit ce qu’il avait dit pour produire ce document contre lui ?

Il avait la méfiance d’une conscience coupable, et ce doute prit tout de suite de la probabilité dans son esprit.

Il quitta le parloir sans bruit, comme il y était entré, et alla chercher la lumière dans le salon, résolu à examiner le manuscrit qu’il avait dérobé.

Après l’avoir replié avec soin sur la table, il tourna le premier feuillet et lut ce qui suit.

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